Un vendredi pas comme les autres pour les expatriés libanais de la ville portuaire de Djeddah, en Arabie saoudite, car en ce jour d’élections législatives et pour la première fois, ils n’auront pas à faire le déplacement jusqu’au Liban pour glisser leur bulletin dans l’urne.
La satisfaction des uns et des autres est palpable : ils arrivent en famille, souvent accompagnés de très jeunes enfants, dans l’enceinte du bâtiment flambant neuf du consulat du Liban à Djeddah, dans le nord de la ville, à quelques encablures de la mer Rouge. Près de la porte principale du bâtiment, les listes des électeurs sont affichées sur deux grands tableaux qui se font face. Chacun cherche fébrilement son nom dans la liste qui correspond à sa circonscription.
À l’intérieur, le grand auditorium a été transformé en salle d’attente, les chaises disposées pour accommoder le plus grand nombre d’électeurs, face aux bureaux de vote numérotés selon les circonscriptions. Le consul du Liban, Ali Karanouh, fraîchement nommé à ce poste après avoir servi à New York, veille au grain. Il parle aux uns et aux autres, et les exhorte de s’adresser à lui s’ils rencontreraient d’éventuels problèmes.
Justement, Mohammad ne retrouve pas son nom. Il est originaire de Mazraa et il est certain de s’être correctement enregistré. Le diplomate consulte les listes qu’il a imprimées en double, il demande aussi aux représentants des partis de vérifier également de leur côté. Il apparaîtra par la suite que Mohammad est bien inscrit… mais pour voter à Beyrouth.
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Des personnes « malintentionnées »
Une source autorisée affirme à cet égard que de nombreuses erreurs se sont glissées dans les listes, car certains citoyens expatriés ont compté sur les représentants des partis pour les enregistrer et dans certains cas ces derniers n’ont pas coché le bon lieu de résidence. « Par exemple, au lieu de choisir Djeddah comme lieu de résidence, ils ont coché Riyad (NDLR : à deux heures d’avion), ce qui veut dire que ces électeurs-là devront faire le déplacement jusqu’à la capitale s’ils veulent pouvoir voter. Il y a quelques failles dans le système aussi, certains n’ayant pas reçu d’email de confirmation comme cela était prévu. »
Les délégués du parti des Forces libanaises sont partout, attentifs et soucieux de s’attirer la sympathie des électeurs. Ils sont facilement repérables grâce à leur tee-shirt rouge vif. Ceux du courant du Futur sont plus discrets, et l’unique représentant du Courant patriotique libre a choisi de ne pas porter de tee-shirt orange. Quelques minutes plus tard, une autre électrice ne retrouve pas son nom sur le tableau d’affichage. Un représentant des FL se précipite pour l’aider. « Attendez, je vais contacter Beyrouth et vérifier. » Georges saisit son portable, envoie les nom, prénom et numéro de registre personnel à son contact à Beyrouth et revient victorieux quelques secondes plus tard. « Vous y êtes », affirme-t-il radieux à la jeune femme. Celle-ci s’adresse alors au consul qui sort de son enveloppe brune A3 les listes qu’il serre précieusement contre lui : « En effet, voici votre nom. » Elle pourra voter, mais ne saura pas pourquoi, en revanche, la feuille sur laquelle son nom était inscrit a été arrachée du tableau d’affichage. « Ce sont des choses qui, je le crains, peuvent arriver, affirme la source autorisée précitée. Certaines personnes malintentionnées arrachent les feuilles, cela prend une seconde. Nous veillons à revérifier régulièrement le tableau d’affichage et le nombre de feuilles qui s’y trouvent. »
En termes de logistique toutefois, l’organisation est quasi parfaite et tout est fait pour assurer le confort des électeurs. Chaises en nombre suffisant pour attendre, mais aussi, dans une salle fermée au fond de l’auditorium, rafraîchissements et collations pour ceux à qui l’attente ouvrirait l’appétit. À l’intérieur de chaque bureau électoral, une caméra filme en continu le déroulement de l’opération et envoie en temps réel la vidéo aux ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères. Chaque citoyen reçoit un numéro et attend d’être appelé à voter. Avant d’être glissée dans l’urne, l’enveloppe est fermée à la main par l’électeur, mais non scellée. Interrogée sur ce point, la source autorisée explique qu’« une fois les bureaux de vote fermés, nous viderons les urnes et classerons les bulletins par régions dans des enveloppes. Celles-ci seront par la suite mises dans une grande enveloppe scellée à la cire rouge. Tout cela se déroulera sous la surveillance des délégués des différents partis et sous les caméras qui filment en continu. Ensuite, un représentant de la société de courrier rapide DHL – avec laquelle l’État libanais a passé un contrat – viendra récupérer les enveloppes pour les acheminer au Liban par voie aérienne ».
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« Zone grise »
À la question de savoir qui se trouvera à bord de l’avion, mis à part le représentant de DHL, l’information ne semble pas être connue de la source autorisée, qui n’hésite toutefois pas à admettre que « certes, une zone grise existe à ce moment précis », en ce qui concerne notamment l’assurance qu’aucune fraude ne pourra être commise pendant le transport des urnes.
Un grand pas certes que cette journée électorale pour les expatriés, mais tout reste à faire pour garantir l’imperméabilité du processus électoral. Surtout que chaque consulat ne dispose que de ses propres moyens pour organiser le déroulement de cette journée. « Certains, dans d’autres pays, ne disposent que d’une pièce de 5 mètres carrés où tout le monde se bouscule et où l’ambiance est nettement moins sereine, forcément. Il incombe également au consul ou au consul honoraire d’organiser au mieux, sur le plan logistique, le parcours de l’électeur. Ici, nous avons choisi d’imprimer des numéros et de les distribuer aux votants. Mais ce n’est pas partout le cas », regrette la source précitée.
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