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À La Une - L'Orient littéraire

Le français en danger mortel

Dans un essai à la fois brillant et sombre, Jean-Michel Delacomptée tire le signal d’alarme : la langue française est aussi gravement menacée de l’intérieur.

Jean-Michel Delacomptée. Photo D.R.

Spécialiste du XVIe et du XVIIe siècles, à qui l’on doit des essais sur Montaigne, La Boétie, Saint-Simon ou encore Racine, Jean-Michel Delacomptée, qui se définit comme un « écrivain laborieux » se fait, à juste titre, une haute idée de la langue française, ce merveilleux instrument d’expression de la pensée façonné par les siècles, depuis son acte de naissance officiel par l’édit de Villers-Cotterêts en 1539.

Delacomptée, dans son nouveau livre, commence par rendre grâce à Malherbe (1555-1628), célébré par le poète Francis Ponge dans son Pour un Malherbe (paru en 1951), le premier grand ordonnateur de notre langue. Non sans faire remarquer et déplorer que, tout comme Péguy ou Bernanos, qu’il convoquera un peu plus tard, ce sont des écrivains que les Français ne lisent plus guère. L’essayiste ne nourrit pas une conception étroite du français, et surtout pas « nationaliste », bien au contraire. Il a parfaitement intégré la notion de « partage » chère à Maurice Druon et ce qu’on appelait autrefois la francophonie, bien malmenée d’ailleurs un peu partout, au profit de l’anglais. Ou plutôt de ce que le linguiste Etiemble appelait « l’amerloque », et qu’on désigne aujourd’hui sous le nom de « globish ». Une espèce de sabir dérivé de l’anglo-saxon qui intoxique une planète mondialisée, uniformisée. Ça, ce sont les « ennemis de l’extérieur » du français. Mais, explique Delacomptée, il y a encore pire, si c’est possible : à l’intérieur même de l’hexagone, non dans ses coins les plus reculés mais dans les sphères dirigeantes (médias, administration, politique, communication, presse etc.), le français est méchamment attaqué, menacé par une espèce de « novlangue » que George Orwell avait déjà anticipée dans son célèbre et prémonitoire roman 1984, lequel date de 1949. Abandon de la culture classique, disparition programmée du grec et du latin, féminisation à outrance pour des critères idéologiques, de bien-pensance et d’ordre moral, guéguerre du « genre » grammatical qui aboutit à l’aberrante « écriture inclusive », impossible à déchiffrer ni à l’écrit ni à l’oral… Les Trissotins d’aujourd’hui sont partout à la manœuvre, envahissent la presse et tiennent le haut du pavé. Ils tentent même de contaminer les programmes scolaires : « La jeunesse est attaquée au lance-flammes par les professionnels du vide », dénonce l’auteur. Ou « il y a une malbouffe du langage ».

Tout cela n’est pas nouveau, hélas, mais est en train de prendre des proportions alarmantes, compte tenu des nouveaux moyens de communication. Alors, que faire, à part continuer à écrire de beaux livres, tirer la sonnette d’alarme, compter sur les bonnes volontés en France et partout dans le monde où des millions de francophones sont attachés à cette langue et à cette culture. Et espérer que notre nouveau président de la République saura inverser la tendance. « Enfin Macron vint », s’amuse à écrire Delacomptée, pastichant Boileau. Déjà, les langues anciennes sont en voie de résurrection. Mais dans un pays aussi centralisé que la France, il faudrait que l’État, via le ministère de la Culture, pèse de tout son poids. « Il faut être violemment patriote en ce moment, recommandait Ponge : patriote français et patriote de la civilisation gréco-latine française. » Ces lignes semblent avoir été écrites hier matin. Elles ont près de soixante-dix ans. On ne saurait mieux dire.

 
BIBLIOGRAPHIE 
Notre langue française de Jean-Michel Delacomptée, Fayard, 2018, 210 p.


Lire l'intégralité de L'Orient littéraire ici

Spécialiste du XVIe et du XVIIe siècles, à qui l’on doit des essais sur Montaigne, La Boétie, Saint-Simon ou encore Racine, Jean-Michel Delacomptée, qui se définit comme un « écrivain laborieux » se fait, à juste titre, une haute idée de la langue française, ce merveilleux instrument d’expression de la pensée façonné par les siècles, depuis son acte de naissance...

commentaires (6)

"espérer que notre nouveau président de la République saura inverser la tendance" me semble vain car c'est de l'Etat lui-même que vient cette corruption de la langue française. Le genre et l'illisible "écriture inclusive" qui l'accompagne ne sont-ils pas enseignés (selon la règle dite "de proximité" que l'on veut nous imposer, je devrais écrire: "enseignées") dans certaines écoles avec la complicité du ministère de l'éducation?

Yves Prevost

07 h 34, le 23 avril 2018

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Commentaires (6)

  • "espérer que notre nouveau président de la République saura inverser la tendance" me semble vain car c'est de l'Etat lui-même que vient cette corruption de la langue française. Le genre et l'illisible "écriture inclusive" qui l'accompagne ne sont-ils pas enseignés (selon la règle dite "de proximité" que l'on veut nous imposer, je devrais écrire: "enseignées") dans certaines écoles avec la complicité du ministère de l'éducation?

    Yves Prevost

    07 h 34, le 23 avril 2018

  • malheureusement, c'est la réalité dans mon entreprise, les termes : process, runs sont utilisés !!! et de plus en plus , je lis des termes anglais dans les journaux ou les médias sur le net

    Talaat Dominique

    17 h 02, le 22 avril 2018

  • Bien sûr nous sommes des millions dans le monde à vouloir la défendre, mais les efforts de la France sont primordiaux.

    Sarkis Serge Tateossian

    11 h 36, le 22 avril 2018

  • Tout s'en va et se meurt... L'esprit même français, est en grave danger si la France ne se saisit pas rapidement. Le pays de Molière, et des immortels academiciens, baisse les bras de plus en plus devant les "assauts" de l'extérieur. Hélas JM Delacomptee a entièrement raison.

    Sarkis Serge Tateossian

    11 h 16, le 22 avril 2018

  • CHER MONSIEUR JEAN-MICHEL DELACOMPTÉE... LE BON FRANCAIS N,EST PAS MORT... LES (ÉVOCATIONS POÉTIQUES) ET (LES DIATRIBES) D,ANASTASE TSIRIS SONT EN VENTE AUX LIBRAIRIES ANTOINE ! LISEZ-LES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 12, le 22 avril 2018

  • Avant la guerre 39-45, les quatre "Paris" étaient : Bucarest, Alexandrie, Beyrouth et Paris. Après le départ du Roi Michel, Bucarest francophone est parti avec lui. Avec l'arrivée d'Abdel-Nasser en 1952, les francophones d'Alexandrie, les Libano-Syriens, les Maltais, les Grecs, les Juifs... sont partis et la francophonie avec eux. Depuis l'occupation syrienne et l'avènement du Hezbollah iranien, l'amerloque et le globish, s'acharnent sur le français avec la bénédiction de l'Amérique. Il reste Paris, la capitale de la France.

    Un Libanais

    10 h 59, le 22 avril 2018

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