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Éloge de l’ordinaire

Saint du Liban, le moine Charbel Makhlouf est aussi un saint à miracles. Pour cette raison, il est l’objet d’une vénération spéciale de la part des fidèles : pas seulement chrétiens d’ailleurs, et pas seulement ceux résidant au Liban.

C’est au grand ermite qu’est précisément dédiée l’église dont le patriarche maronite posait la première pierre, jeudi, à Doha, capitale du Qatar. Ce royaume s’est doté d’un complexe religieux abritant plusieurs églises de différents rites ; la palme de la tolérance dans la région du Golfe revient cependant aux Émirats arabes unis, où les temples chrétiens se comptent par dizaines. Pour le million et demi de chrétiens vivant dans cette partie du monde, la politique tous azimuts pratiquée avec entrain par le prince héritier du trône d’Arabie saoudite laisse espérer que ce pays accueillera un jour, pour la première fois, des lieux de culte non musulmans : innovation qui serait autrement plus significative que l’ouverture de musées et de salles d’opéra, ou encore l’organisation de concerts de jazz.

En ces temps extraordinaires, c’est de personnes extraordinaires qu’a besoin le Liban, d’hommes résolus à combattre la corruption et à promouvoir la primauté de la loi : entre autres évocations des problèmes du pays, cette supplique formulée à Doha par le chef de l’Église maronite, à quelle instance céleste pouvait-elle s’adresser sinon au thaumaturge Charbel, dont d’innombrables guérisons surnaturelles attestent en effet des pouvoirs miraculeux? Mais peut-être le patriarche Raï, atterré par les abîmes d’incompétence et de prévarication dans lesquels patauge le pays– et avide de changement – a-t-il placé la barre trop haut.

Des figures hors norme, d’exceptionnels hommes d’État surgissant, par génération spontanée, sur le désertique panorama politique et y mettant bon ordre ? Des élus portés en masses vengeresses par nos bulletins de vote et faisant un sort à la désespérante médiocrité ambiante ? Ce serait beaucoup trop beau, à l’ombre d’une loi électorale bâtarde qui conduit les forces politiques dominantes à perpétuer leur domination en contractant, hors de tout programme d’action, des alliances contre nature : obscènes mésalliances en vérité, outrageux mariages en blanc qui ne dureront que l’espace d’un scrutin.

Si bien que, tout compte fait, ce n’est pas, ce n’est plus d’hommes providentiels (ou se présentant comme tels) qu’a, en fait, besoin cette mosaïque libanaise où les rivalités communautaires interdisent les one-man-shows. C’est en modérant nos attentes et espérances, en nous souhaitant des serviteurs publics ordinaires que nous avons de meilleures chances d’être exaucés par tous les saints du paradis. Ordinaires, oui, mais dans l’acception noble du terme, ce qui élimine la méchante ratatouille de politicards véreux qui fait notre triste quotidien et nous inspire une sainte horreur. Ordinaires, parfaitement, comme on peut l’être dans toute démocratie digne de ce nom ; ordinaires, car non entrés en politique avec pour seule ambition de se livrer à des pêches miraculeuses en barbotant dans les fonds publics ; ordinaires encore, car respectueux de la loi et redoutant ses foudres ; ordinaires encore et toujours, car respectueux des citoyens, de leurs intérêts, de leurs préoccupations et besoins.

Ordinaires, enfin, pour que notre pays retrouve ne serait-ce qu’un petit air de normalité.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Saint du Liban, le moine Charbel Makhlouf est aussi un saint à miracles. Pour cette raison, il est l’objet d’une vénération spéciale de la part des fidèles : pas seulement chrétiens d’ailleurs, et pas seulement ceux résidant au Liban.C’est au grand ermite qu’est précisément dédiée l’église dont le patriarche maronite posait la première pierre, jeudi, à Doha,...