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Idées - Point de vue

Pont de Jal el-Dib : profits et... pertes ?

Le pont de Jal el-Dib au cours de son démantèlement par les autorités, en février 2012. Photo archives « L'OLJ »

Depuis son lancement en 1998 par le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), le projet de substitution du pont métallique de Jal el-Dib – qui datait des années 1980 et a été finalement démantelé en 2012 – n’a cessé de faire l’objet de reports, modifications et contestations publiques sur la légitimité des différentes moutures qui se sont succédé.

Après plusieurs revirements, le gouvernement a finalement opté, en mai 2017, pour deux ponts « en L », option jugée supérieure à celles proposées auparavant (soit deux ponts « en U » ou bien un passage souterrain surplombé d’un rond-point échangeur). Depuis, les travaux sont en cours et, selon le CDR, coûteront 19 millions de dollars (en intégrant la somme dévolue aux expropriations). Ils devraient être achevés en février 2019.

Congestion
La raison d’être de l’ancien pont (et bien sûr du nouveau projet), c’est l’accès à Jal el-Dib des voitures provenant du Nord. En fait, depuis la démolition en 2012 du pont qui était devenu dangereux, la circulation sur l’autoroute n’avait pas été perturbée, elle s’était même améliorée.
Le problème, qui était la congestion au niveau de la voie menant à Jal el-Dib sous l’ancien pont, s’est transporté à l’intérieur de la ville : embouteillages monstres jusqu’à Antélias, baisse de l’activité économique dans certains quartiers (surtout la rue principale)...

Après la disparition de l’ancien pont, l’accès à la ville se fait soit par Antélias – avec pour corollaire d’importants embouteillages –, soit en empruntant le pont en U de Nahr el-Mott, un kilomètre plus bas – ce qui implique des nombreux retards dus à sa mauvaise conception –, avec l’avantage toutefois d’avoir le choix d’entrer à Jal el-Dib par trois autres voies avant d’arriver à l’entrée principale. Mais la municipalité de la ville tenait à ce que l’entrée principale canalise le plus gros du trafic...

Le chantier actuel au niveau de Jal el-Dib est responsable du trafic routier de plus en plus intense sur l’autoroute. La congestion commence dès la sortie nord de Beyrouth et ne s’atténue que tard le soir, tandis que le même problème se produit dans l’autre sens à partir de Nahr el-Kalb. Cette situation va certainement empirer, puisque les travaux ne font que commencer.

J’avais prévu cela il y a près de six ans, quand le gouvernement de l’époque avait demandé au CDR de proposer une solution au problème. Dans un article publié le 16 mai 2012 dans ces colonnes – que j’avais même pris soin de communiquer personnellement à plusieurs membres du gouvernement –, j’avais mis en garde contre les retombées négatives sur l’économie du pays si l’une des deux variantes qui étaient alors considérées (les deux ponts en U et le passage souterrain) étaient adoptées. Or la solution des deux ponts en L récemment retenue par le gouvernement actuel ne change rien à la donne !


(Lire aussi : Les deux ponts de Jal el-Dib n’ont pas vocation à réduire les embouteillages, affirme le CDR)


« Le temps, c’est de l’argent ! »
Comme le disait Benjamin Franklin, et depuis, l’adage populaire, « le temps, c’est de l’argent » ! Et rien n’est plus vrai ici : la congestion de la circulation sur l’autoroute durant les travaux occasionnera une perte sèche à l’économie du pays. De combien ? Essayons d’en faire une estimation grossière, en termes de produit intérieur brut (PIB).

Rappelons-nous que ce dernier est la somme des valeurs ajoutées créées au sein d’une économie. Il est donc notamment généré par le nombre d’heures de travail de la population active. De même, une dame qui fait ses courses crée de la valeur ajoutée en consommant, donc « travaille » au sens large où nous l’entendons ici. Cette relation de cause à effet implique que toute minute de « travail » participe au PIB et que, par conséquent, toute minute perdue (c’est-à-dire « non travaillée ») représente un manque à gagner en termes de PIB.

D’après les chiffres officiels, plus de 300 000 voitures (plus de 400 000 selon d’autres estimations) empruntent chaque jour l’autoroute à cet endroit. À raison de 1,92 occupant par voiture, cela signifie que près de 600 000 personnes environ vont subir un retard de, disons, 15 minutes à l’aller et au retour, donc 30 minutes. Cela représente donc un peu plus de 6 % des 8 heures de travail réglementaires.

En supposant que ces 600 000 personnes représentent 20 % de la population active du pays, les 30 minutes perdues réduiraient le PIB de 1,2 %, soit environ 600 millions de dollars par an, en se basant sur une estimation de PIB de l’ordre de 50 milliards de dollars.

C’est une estimation très grossière, bien entendu.  Mais même en la tronquant de 50 % pour calmer les sceptiques qui contestent cette approche – parce que les Libanais travaillent plus de 8 heures par jour ; ou parce qu’ils estiment que le temps perdu à 15 minutes au lieu de 30 ; ou pensent que la part de la population active est inférieure à 20 %, etc. –, le manque à gagner potentiel reste toujours énorme !

Sans parler des fonds à débourser pour le projet... Ni des effets négatifs sur : le moral et la santé de ces 600 000 (ou même moins) citoyens piégés dans leurs véhicules ; la valeur de ces véhicules, du fait du phénomène de « démarrage-arrêt » continuel induit par les bouchons ; l’environnement, du fait des émissions décuplées d’oxyde de carbone ; le risque d’accidents de la route… et j’en passe.

En contrepartie de tout cela, il y a le redressement économique de Jal el-Dib qui est en jeu, bien sûr. Mais ne peut-on pas l’obtenir, ce redressement, en consacrant les millions de dollars qu’il faut sans surcharger cette pauvre autoroute qui a déjà son lot de problèmes ? Je ne suis pas à même de proposer des alternatives, mais je suis persuadé qu’un bon bureau d’études en trouverait.

Ancien secrétaire général du Conseil du développement et de la reconstruction.


Pour mémoire

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