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Culture - Vient de paraître

« 77 positions libanaises » : un Kama Sutra familial osé, mais correct

Dans « L’esprit de famille, 77 positions libanaises » (Elyzad), François Beaune part à la découverte de différentes villes libanaises à travers les histoires que les habitants des lieux lui confient.

Un livre qui garde l’oralité des témoignages qu’il recense

L’esprit de famille, 77 positions libanaises (éditions Elyzad)* est une radiographie sociétale polyphonique qui propose un portrait neuf, subjectif et sans filtre de ce que pourrait être la famille d’aujourd’hui en Méditerranée. L’écrivain auvergnat mondialisé qu’est François Beaune replace dans son contexte l’ouvrage paru en janvier 2018 : « C’est le premier livre de la collection Histoires vraies de Méditerranée. Jusque-là, dans le cadre du projet “Marseille capitale culturelle”, nous avons collecté et édité en ligne des histoires de différentes villes méditerranéennes. On repense la région en partant de l’individu libre qui partage une histoire vraie, à la manière des True Tales of American Lives de Paul Auster. »
Le travail de terrain, exécuté entre mai et juillet 2016, a couvert une dizaine de villes au Liban : « J’ai été invité par Beyt el-Kottab, la maison internationale des écrivains de Charif Majdalani. Au hasard des rencontres, je posais cette même question : quelle serait, parmi le récit de votre vie, l’histoire vraie qui vous a marqué ou qui vous est chère ? »

« La famille, c’est avoir un mari et voter dans son village, pour les intérêts de son clan »
Dans les récits collectés par l’auteur, le mot-clé qui arrive en tête est famille… Pour le meilleur et pour le pire, selon les profils des soixante-dix-sept locuteurs.
 « Mon travail d’écrivain est de coller au plus près de la réalité des habitants, être au service de leur histoire. C’est une forme joyeuse de réflexion. Et moi, je ne tire aucune conclusion », signale-t-il.
Le nuancier des ressentis est extrêmement complexe, certaines paroles sont dans la pure lignée de la définition du mot « famille » d’Ibn Khaldoun : « Un groupe uni par l’esprit de clan (asabiya), d’une ascendance commune, chacun d’eux faisant passer avant tout son esprit de famille et de clan. » Pour Walid, par exemple, c’est un obstacle à l’État de droit. « Le confessionnalisme, dit-il, est la raison première de la corruption : l’appartenance confessionnelle passe avant l’État. Tu peux être aussi corrompu que tu veux, tu seras soutenu au final par ta confession, afin qu’elle ne soit pas affaiblie par rapport aux autres. »
L’esprit clanique est communément partagé, quelle que soit la religion. Rani le considère également comme un obstacle au développement. « Le système communautaire ne fonctionne pas. Les Libanais ne peuvent pas prendre de vraies décisions collectives mais seulement des décisions pour eux, leur famille, leur confession. Le seul projet commun qu’on a pu avoir ces trente dernières années, c’était la lutte contre nos ennemis, la Syrie et Israël. (..) Et on raisonne en ces termes : comment me mettre avec un plus fort que moi sans qu’il me baise à la fin ? »
L’écrivain intègre régulièrement en italiques des analyses ou des commentaires, poursuivant la réflexion. Ainsi, il propose un parallèle intéressant entre le sens de beyt (famille élargie par rapport à ’a-ila) et l’oikos grec (littéralement le toit qui recouvre la tribu) : « C’est bien en s’opposant à l’oikos, aux intérêts de cette famille élargie, que l’État démocratique, celui des cités grecques, a pu se mettre en place. »

Le délicat positionnement de l’individu
Certaines histoires expriment un sentiment de bien-être dans l’ancrage solide et rassurant que propose la famille, qui garantit « l’absence de solitude » et qui « transcende l’individu ». « Elle le proclame représentant de cette entité au-delà de lui-même, lui donne une fonction et un but : l’épanouissement de la famille, qui justifie tout l’égoïsme qu’il met à marcher sur la gueule du monde, à piétiner des têtes qui nuisent à la gloire de mon père ou au château de ma mère », ajoute François Beaune.
L’aspiration à une forme d’individualité relève d’un jeu d’équilibriste. Lequel est évoqué avec humour par l’auteur qui commente la place considérable de la voiture : « Comme en Corse ou en Sicile, du fait de la petitesse du pays, elle est utilisée comme un espace de liberté volé à l’espace familial, un espace clos où l’individu prend ses revanches intimes. »
Pour ceux qui sortent du rang, comme Mickael, qui habite à Tripoli, la violence subie est sans appel. « Où que j’aille, les gens chuchotaient derrière moi : c’est le gay. Ils me voyaient comme un malade mental ou un pervers sexuel. Au début, je croyais que j’étais vraiment dérangé, je cherchais des manières de me guérir, de devenir normal. J’ai lu des livres qui m’ont fait comprendre que ce n’était pas une maladie », confie-t-il à François Beaune.
Tandis que l’histoire de Abdesalam est celle d’une agression à Baalbeck : « Ma mère est syrienne et j’ai un accent syrien, n’importe qui peut faire du mal à un Syrien aujourd’hui, personne ne s’en soucie, il n’y a personne pour te défendre, les gens te frappent, te dépouillent, presque pour s’amuser. Tu n’as aucune valeur. »

Le montage linguistique
Ce qui fait la force de ces paroles, c’est leur oralité. Les témoignages sonnent vrai, on croit entendre la personne, car l’auteur a gardé ses phrases et les a agencées et contextualisées. Son génie est d’avoir retravaillé ses enregistrements à l’écrit, en gardant leur dimension sonore pour ce « documentaire subjectif ». « J’ai grandi proud, indique ainsi Perla. Je ne sortais pas avec n’importe qui, je voulais le mieux pour moi. (…) Moi, il me faut quelqu’un comme moi, aussi mûr, passionné. Déjà, je peux pas être attirée par un mec court, ou qui n’est pas beau. Moi, je veux qu’il soit grand, viril, qu’il décide tout. Et puis je suis une femme passionnée. I believe in love. Je crois en le vrai amour ! »
77 positions libanaises est sur le point d’être traduit en arabe et édité au Liban : « Charif Majdalani a proposé de faire sa promotion au Liban lorsque l’ouvrage sera disponible dans les deux langues, à l’automne », précise François Beaune.


*Disponible en librairie.


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