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Idées - Élections législatives

Du renouvellement aux espoirs déçus : les leçons des législatives libanaises de 1960

Le Parlement libanais. Photo Nasser Traboulsi

À la suite de la rocambolesque affaire Hariri de la fin 2017, l’agenda politique libanais est dominé au printemps 2018 par l’organisation des élections législatives, les premières depuis 2009. Après l’adoption d’une nouvelle loi électorale ratifiée par le Parlement le 17 juin 2017, il s’agit de renouveler les 128 députés du Parlement. Ayant échoué à plusieurs reprises à parvenir à un accord politique sur une loi électorale, les députés avaient trouvé prétexte à prolonger leur mandat de cinq ans. Au-delà de l’évolution des rapports de force politiques actuels que cette élection doit traduire dans un Liban plus que jamais affecté par les rivalités régionales et internationales, les législatives du 6 mai prochain sont aussi l’occasion pour des forces politiques nouvelles de faire valoir, autour de programmes plus ou moins structurés, un désir de renouvellement du politique au Liban.
Cette volonté de changement qui s’exprime au sein de la société civile concerne tout autant le personnel politique tendant à s’autoperpétuer depuis des décennies que des pratiques parlementaires qui s’avèrent être le plus souvent synonymes de clientélisme et de paralysie. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’une élection législative libanaise suscite un certain engouement et un espoir de renouvellement finalement déçu par la suite : qui se souvient encore en effet des législatives de 1960 ?

Relancer le processus démocratique
Ces élections sont en effet les premières depuis l’indépendance (1943) à incarner une forme de renouveau qui ne tarde pas cependant à buter sur la permanence des intérêts communautaires et les logiques de partis. Dissoute un an avant son terme par un décret présidentiel du 5 mai 1960, la Chambre élue en 1957 est en effet renouvelée trois ans plus tard afin de tenir compte de l’état de l’opinion consécutivement à la grave crise de 1958. Ancien commandant en chef de l’armée libanaise – comme Michel Aoun et ses deux prédécesseurs Émile Lahoud et Michel Sleiman –, le président Fouad Chéhab (1958-1964) exprime publiquement sa confiance dans le régime parlementaire, même s’il sait que les députés constituent une force de résistance importante à sa volonté réformatrice.
Comme en 2018, il s’agit en 1960 de relancer le processus démocratique au Liban. Tandis que la nouvelle loi électorale de 2017 introduit la proportionnelle, celle du 26 avril 1960 prévoit de porter le nombre de députés de 66 à 99 (chiffre encore en vigueur en 1972, année des dernières élections législatives avant la guerre) et, fait nouveau, d’introduire l’isoloir et la carte d’électeur. Le scrutin uninominal est remplacé par le scrutin de liste. Avec l’adoption de la liste moyenne coïncidant avec le caza, la loi électorale du 26 avril 1960 (en vigueur jusqu’en 2009) astreint les candidats à l’entente intercommunautaire, aucun ne pouvant être élu sans obtenir à la fois la confiance de sa communauté et celle des autres. Le 14 mai 1960, l’ancien ambassadeur du Liban à Paris, Ahmad Daouk, est chargé de former un gouvernement en vue d’organiser les élections.

L’Assemblée élue en juillet 1960 offre un visage nouveau qui contraste avec la stabilité affichée dans sa composition depuis les premières élections législatives organisées à partir de l’indépendance. Sur les 99 députés élus en 1960, 45 font leur première entrée à la Chambre, tandis que seuls 31 des 66 députés sortants conservent leur siège. La composition socioprofessionnelle du Parlement connaît d’importantes inflexions avec l’émergence d’éléments nouveaux extérieurs aux jeux politiques traditionnels. La part des propriétaires fonciers et des hommes de loi, viviers traditionnels de recrutement des parlementaires depuis 1943, diminue nettement. En revanche, celle des hommes d’affaires et surtout des professionnels issus de la société civile (médecins, professeurs, ingénieurs, employés, salariés, fonctionnaires et techniciens) progresse de façon spectaculaire au point de représenter un total de 48 % de l’ensemble des parlementaires en 1960 (contre 30,1 % en 1957), et jusqu’à 50 % des nouveaux élus.

Poids des notables
La participation électorale est importante (quoique inférieure à celle des législatives de 1964), témoignant d’une politisation croissante de la société libanaise d’avant-guerre et d’un engagement croissant des femmes dans la vie électorale. Celles-ci ont obtenu le droit de vote en 1953, mais leur première représentante à l’Assemblée n’est élue que dix ans plus tard. Parmi les nouveaux entrants de 1960, se trouvent d’authentiques réformistes comme Fouad Boutros (siège de Beyrouth) ou Maurice Gemayel (siège du Mont-Liban), un des pionniers de la planification au Liban. Dans la circonscription de Baalbeck-Hermel, Fadlallah Dandach est le premier membre de sa tribu à être élu, ce qui est interprété comme le couronnement de la politique de désenclavement des périphéries chiites menée par Fouad Chéhab.

Malgré l’espoir de renouvellement qu’il suscita, le système électoral mis en place en 1960 n’atténua pourtant que très partiellement le poids des notables locaux, du clientélisme et du confessionnalisme. L’élection de nouveaux députés au Parlement en 1960 est ainsi en partie éclipsée par le retour en force de leaders communautaires (Kamal Joumblatt, Ahmad el-Assad, Sabri Hamadé, Joseph Skaff, Saëb Salam ou Rachid Karamé) que le régime Chamoun (1952-1958) avait combattus lors des législatives de 1953 et 1957. À ce moment, près d’un quart des nouveaux parlementaires avaient déjà un père député à l’époque mandataire. La nouvelle composition de l’Assemblée n’entraîna aucun renouvellement notable des pratiques parlementaires. S’ajoutèrent à l’époque de nombreuses critiques portant sur de possibles interventions du Deuxième Bureau dans le jeu électoral.
Dans un contexte bien différent, les élections législatives de 1960 apportent à leur façon un éclairage sur la situation libanaise de 2018. Les questions du renouvellement, de la représentativité et de l’efficacité du travail parlementaire sont des critiques récurrentes adressées à la Chambre des députés sous la première comme sous la seconde République. Le nouveau Parlement libanais élu en mai 2018 n’échappera sans doute pas à ces défis.

Docteur en histoire (Paris I) et enseignant à Sciences Po Paris. Dernier ouvrage : « Sous l’œil de la diplomatie française, le Liban de 1946 à 1990 » (Geuthner, 2017).


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commentaires (3)

En fait on va regretter 1960 ou les parlementaires étaient libres actifs et non vendus au Diable comme de nos jours .

Antoine Sabbagha

22 h 03, le 31 mars 2018

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • En fait on va regretter 1960 ou les parlementaires étaient libres actifs et non vendus au Diable comme de nos jours .

    Antoine Sabbagha

    22 h 03, le 31 mars 2018

  • LA PROPORTIONNELLE ABATARDIE EST LA PIRE LOI DES LEGISLATIVES JAMAIS INTRODUITE ! ELLE NE SERT QUE LES DEUX MILICES...

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 36, le 31 mars 2018

  • “J’évite de regarder en avant ou en arrière, mais m’efforce à regarder vers le haut.” de Charlotte Brontë Extrait de Lettre à son éditeur, 15 janvier 1849 Malheureusement, je ne trouve rien même jusqu'à Baabda; le vide , le néant à Baabda principalement Si les libanais votent mal, nous vivrons à genoux pendant des années

    FAKHOURI

    09 h 12, le 31 mars 2018

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