Avec la fin du délai pour l’enregistrement des listes, une nouvelle étape dans le processus électoral est franchie. Certains qualifient la formation des listes d’étape la plus difficile, assurant que désormais la bataille est plus claire, alors que d’autres pensent au contraire que le plus dur est encore à venir, sachant qu’une lutte sans merci se transposera au sein de chaque liste.
On a en tout cas beaucoup critiqué la formation des listes et les alliances qui l’ont commandée. Mais, en réalité, c’est la nouvelle loi, basée sur le mode proportionnel, qui favorise les contorsions dans les alliances. Ce mode bénéficie en général aux petites formations en leur permettant, si elles parviennent à obtenir le coefficient d’éligibilité, à entrer au Parlement. Dans la même logique, ce même mode de scrutin défavorise les grandes formations en les privant de la majorité des sièges parlementaires si elles ont plus de 50 % des suffrages. C’est pourquoi, les grandes formations ont été contraintes de nouer des alliances parfois étranges pour se donner la possibilité de relever au maximum le coefficient d’éligibilité de leurs listes.
La volonté d’obtenir le plus haut coefficient d’éligibilité est donc la raison principale qui a piloté les alliances électorales, lesquelles ont donné naissance aux listes enregistrées auprès du ministère de l’Intérieur. Cette première étape du processus électoral est donc celle de la bataille des dimensions politiques et des blocs parlementaires. Les listes devraient ainsi déterminer la part de chacune d’elles en nombre de sièges parlementaires, et l’étape de la voix préférentielle permettra, elle, de départager les candidats au sein d’une même liste. Si la première étape est plus ou moins politique, la seconde devient personnelle entre les candidats au sein d’une même liste.
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Maintenant que les dés électoraux sont jetés, on peut faire une première lecture de la formation des listes et par conséquent des alliances. Si le duo chiite, Amal et le Hezbollah, est resté le plus cohérent et fidèle à sa ligne politique dans ses alliances, on ne peut pas en dire autant des autres formations politiques. En effet, dès le départ, Amal et le Hezbollah ont annoncé leur intention de s’allier en se partageant les sièges chiites, tout en précisant – c’est surtout vrai pour le Hezbollah, mais par ricochet c’est aussi le cas du mouvement Amal – qu’il n’y aura pas d’alliance avec les Forces libanaises et pas non plus forcément avec le courant du Futur.
Ce dernier a clamé haut et fort qu’il ne nouera pas d’alliances avec le Hezbollah et il a tenu parole. Il n’a pas non plus noué d’alliances avec d’autres formations ou personnalités sunnites, dont la Jamaa islamiya, son allié traditionnel dans les précédentes élections. Il a ainsi préféré mener seul la bataille au sein de sa propre communauté. Il n’a pas aussi conclu d’alliances avec des formations relevant du 8 Mars et il ne s’est pas non plus allié au parti Kataëb. Par contre, il a distribué ses alliances entre le CPL et les Forces libanaises, selon ses propres intérêts dans chaque circonscription, et il a confirmé, dans toutes les circonscriptions où c’était possible, son entente avec le leader druze Walid Joumblatt (en particulier au Chouf et à Aley, à Beyrouth 2 et dans la Békaa-Ouest).
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Le CPL a, lui, fait les plus grandes contorsions, nouant un large éventail d’alliances, parfois surprenantes, notamment avec la Jamaa islamiya à Saïda-Jezzine et au Akkar, et avec ce qu’on appelle les familles qu’il avait plutôt ignorées lors des élections de 2009. Mais, dans aucune circonscription, il ne s’est allié avec les Forces libanaises, ce qui montre bien que les deux formations sont effectivement en rivalité au sujet de la représentativité chrétienne. Le CPL ne s’est pas non plus allié au parti Kataëb ni aux Marada. Il est parti du principe qu’il n’a pas réellement besoin des autres formations chrétiennes pour relever le coefficient d’éligibilité, mais d’alliances avec d’autres groupes ou personnalités. Il s’est ainsi allié dans plusieurs circonscriptions avec le PSNS (même si les tractations avec ce parti ont exigé à plusieurs reprises la médiation du Hezbollah), avec le courant du Futur, avec le Hezbollah et avec Amal, en dépit du feuilleton de conflits entre le CPL et les ministres du mouvement Amal. Il s’est aussi allié avec le Parti démocratique libanais de l’émir Talal Arslane au détriment du parti de l’ancien ministre Wi’am Wahhab (au Chouf et à Aley). Le CPL a sciemment élargi l’éventail de ses alliances avec un objectif déclaré : créer un grand bloc parlementaire autour du chef de l’État pour concrétiser sur le plan institutionnel le concept de « président fort ». Il est ainsi parvenu à convaincre des personnalités traditionnellement hostiles au président Aoun à intégrer ses listes (Michel Moawad, Mansour el-Bone, Riad Rahal, etc.).
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Les Forces libanaises ont de leur côté principalement partagé leurs alliances entre le courant du Futur (Akkar et Baalbeck-Hermel) et le parti Kataëb, avec lequel elles étaient pourtant en conflit. Les tractations ont d’ailleurs été difficiles, mais elles se sont terminées à l’avantage des Forces libanaises qui profiteront des voix des Kataëb dans la circonscription dite Nord 2 (Bécharré, Koura, Zghorta, Batroun), à Beyrouth 1, au Kesrouan-Jbeil, à Zahlé, Saïda-Jezzine et au Metn, notamment pour relever le coefficient électoral et faire ainsi passer leurs candidats. Elles se sont aussi alliées au PSP au Chouf et à Aley et Baabda, où elles se retrouvent ainsi sur les mêmes listes que le courant du Futur.
Le parti Kataëb s’est retrouvé assez seul dans ces élections et il s’est finalement allié aux Forces libanaises.
Cette mosaïque d’alliances politiques donnera-t-elle naissance à un Parlement différent ? Les analystes ne croient pas à de grands changements, même si tout se jouera sur le nombre de sièges obtenu par chaque formation.
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12 h 03, le 27 mars 2018