Le tombeau de saint Maron a-t-il vraiment été touché mercredi soir lors de bombardements turcs sur la localité de Brad, dans la province d’Alep? C’est ce qu’affirme le régime syrien de Bachar el-Assad, qui a publié l’information jeudi sur le site internet de la Direction générale des antiquités et des musées en Syrie (DGAM).
Selon les autorités de Damas, l’aviation turque aurait endommagé un site archéologique chrétien classé au patrimoine mondial de l’Unesco, alors que les forces d’Ankara avaient engagé une offensive dans le nord-ouest du pays contre l’enclave kurde de Afrine. La Turquie, aidée par des groupes rebelles syriens, a lancé le 20 janvier une offensive, baptisée Rameau d’olivier, pour chasser de sa frontière la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG – considérée comme terroriste par Ankara). Ses forces se sont emparées dimanche de la ville de Afrine, chassant les YPG de l’enclave.
Les frappes auraient provoqué « la destruction de plusieurs édifices archéologiques importants », et parmi les structures touchées figure « le tombeau de saint Maron, patron de la communauté maronite, et l’église Saint-Julianos qui abrite ce tombeau », selon le chef de la Direction générale des antiquités Mahmoud Hammoud. Aucune preuve n’a cependant été apportée par les autorités syriennes qui n’étaient pas joignables par téléphone hier.
Archevêché d’Alep
L’Unesco a déploré à plusieurs reprises « l’immensité des dégâts » causés aux trésors archéologiques et culturels en Syrie depuis le début de la guerre en 2011. La destruction, par les jihadistes de l’État islamique (EI), des plus beaux temples de Palmyre, lors de leur occupation du site, reste en mémoire.
Le régime syrien se servirait-il du site chrétien de Brad, inscrit sur la liste du patrimoine mondial depuis 2011, pour se présenter comme l’ultime rempart face à l’islamisme et comme le défenseur des minorités chrétiennes ? « Il n’y a jamais eu de bombardements turcs à Brad, c’est un mensonge du régime et des milices du PKK. On ne s’en prend ni au patrimoine historique de notre pays ni aux églises », affirme le lieutenant-colonel Mohammad al-Hamadeen, porte-parole de l’Armée syrienne libre au sein de l’opération Rameau d’olivier, contacté par L’Orient-Le Jour. Mercredi soir, les forces de l’ASL sont parvenues à s’emparer des villages kurdes de Kimar et de Brad.
Ahmad Kanjo, chef du premier régiment de l’ASL, contacté via WhatsApp, déplore les « mensonges incessants du régime », confirmant qu’il n’y a jamais eu de bombardements turcs à Brad. Le chef militaire raconte comment ses troupes ont, suite à la prise de Afrine dimanche, tenté d’avancer en direction des villages kurdes, dont Brad, qui avaient été minés par les forces kurdes. « Nous avons ensuite subi le feu des forces du régime stationnées à Nobol et Zahraa, avant de parvenir à prendre le contrôle total de Brad », précise Ahmad Kanjo. Des photos du site historique prises hier dans l’après-midi par le chef militaire lui-même, à la demande de L’OLJ, ont permis d’apporter une preuve supplémentaire aux dires du camp rebelle.
Dans la soirée, Mgr Mounir Khairallah, évêque de Batroun, contacté par téléphone, a pu obtenir des informations auprès de l’Église maronite d’Alep. Dans un communiqué transféré hier, l’archevêque d’Alep, Joseph Tobji, a confirmé que « le tombeau de saint Maron n’a pas été touché ». « Les déclarations étaient basées sur de fausses informations, mais nous avons été pleinement rassurés par l’armée syrienne, qui a envoyé une équipe enquêter et constater que seules quelques habitations ont été bombardées », poursuit le communiqué.
(Lire aussi : "Nous mènerons des attaques dans tout Afrine. C'est une guerre existentielle")
Michel Aoun
Outre le tombeau du saint, découvert en 2002 par des archéologues français, la ville antique de Brad, située à 15 km au sud de Afrine, comprend plusieurs vestiges chrétiens datant des périodes romaine et byzantine. La grande église de Brad a été construite quelques années avant la mort de saint Maron, moine chrétien syriaque de la fin du IVe siècle, considéré comme le père de l’Église maronite. Le tombeau aurait été identifié à partir de la biographie du théologien Théodoret de Cyr.
Au Liban, qui abrite la plus grande communauté maronite au monde, saint Maron est célébré par un congé officiel le 9 février. Le président Michel Aoun, leader du Courant patriotique libre à l’époque, s’était rendu le 8 février 2010 à Alep, afin d’assister le lendemain aux célébrations du jubilé des 1 600 ans de la mort du saint, sur le site de Brad. « Je me souviens qu’il y avait une grande tente installée et des stands de souvenirs. Il était même question d’un projet de construction d’une église en face du tombeau de saint Maron, mais la guerre est arrivée… » raconte Édouard*, un syriaque-catholique d’Alep ayant visité le site pour la première fois en 2010. Contacté par téléphone, l’Alépin explique que des excursions à Brad étaient régulièrement organisées par les maronites de la grande ville du Nord syrien.
*Le prénom a été modifié.
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commentaires (6)
Il faudra tout faire pour mettre le tombeau de Saint Maron en sécurité au Liban. Les maronites existeront de moins en moins avec le morcellement de plus en plus de la Syrie.
Achkar Carlos
12 h 39, le 24 mars 2018