Presque deux mois jour pour jour après le lancement de l’opération turque baptisée « Rameau d’olivier » contre les forces kurdes, la ville de Afrine est tombée hier sous la coupe d’Ankara et de ses supplétifs syriens. Toujours sur pied, « le centre-ville de Afrine est sous contrôle depuis 8h30 ce matin », a déclaré le président turc Recep Tayyip Erdogan. Les forces turques et leurs alliés sont entrés sans combattre dans l’enclave qui était jusqu’alors sous contrôle kurde, se déployant dans les rues et y accrochant des drapeaux turcs. « La plupart des terroristes ont déjà fui la queue entre les jambes », a souligné le dirigeant turc, précisant que plus de 3 600 d’entre eux ont été neutralisés. Ankara considère la milice des Unités de protection du peuple (YPG), branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et alliée de Washington, comme un groupe terroriste dont il ne peut tolérer l’autonomie de facto à sa frontière avec la Syrie.
« Nous avons administré une leçon à ceux qui ont tenté de nous assiéger dans la bataille de Çanakkale, et nous faisons maintenant la même chose avec ceux qui ciblent notre stabilité et notre avenir à travers la mise en place d’un État terroriste tout au long de nos frontières », a-t-il poursuivi à l’occasion de la cérémonie pour la pose de la première pierre du pont Çanakkale 1915, en référence à la victoire des forces ottomanes face aux armées française et britannique lors de la bataille qui les opposa durant la Première Guerre mondiale.
En dépit de la facilité avec laquelle l’armée turque et ses alliés sont entrés dans la ville dans le Nord-Ouest syrien, les Kurdes se sont empressés d’insister dans un communiqué envoyé à la presse que « la résistance à Afrine va se poursuivre jusqu’à la libération de chaque territoire » de la ville. « Dans tous les secteurs de Afrine, nos forces vont devenir un cauchemar permanent » pour Ankara et ses alliés, avertit le texte. « Notre guerre contre l’occupation turque (…)
est entrée dans une nouvelle étape : nous passons d’une guerre de confrontation directe à une tactique d’attaques-éclairs », ajoute le communiqué.
(Lire aussi : Quelles conséquences en Syrie après la prise d'Afrine par les forces turques?)
Aucun membre des YPG n’était cependant visible dans les rues de la ville hier dans la journée, a rapporté un correspondant de l’AFP présent sur place alors que les forces kurdes ont déjà subi de lourdes pertes s’élevant à 1 500 combattants depuis le début de l’offensive turque, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). L’armée turque a également perdu 46 soldats et 225 seraient blessés tandis que 400 de ses alliés rebelles auraient péri.
Face à l’intensification des combats pendant la semaine, 250 000 civils auraient en outre fui la ville par un couloir au Sud contrôlé par les Kurdes et les forces syriennes, a estimé l’OSDH. Au total, pas moins de 280 civils seraient morts depuis le début de l’offensive.
Manbij en ligne de mire
La prise de Afrine est un revers sans précédent pour les Kurdes de Syrie, partenaires privilégiés de la coalition internationale dans la lutte contre l’organisation État islamique en Irak et en Syrie, et qui sont montés en puissance depuis 2014. Damas, qui pensait que les Kurdes allaient être dans l’obligation de lui céder la province, a également perdu son pari. Il voit au contraire le principal parrain de l’opposition renforcer son emprise sur son territoire.
Ankara, qui a bénéficié au préalable du feu vert de Moscou pour lancer son offensive, renforce un peu plus sa légitimité à la table des négociations aux côtés des Russes et de l’Iran. Le pari n’était pas gagné d’avance, alors que l’opération qui était censée être une attaque-éclair a duré plus longtemps que prévu.
(Pour mémoire : Les civils quittent en masse Afrine assiégée par les forces turques)
Revigoré par cette victoire, le président Erdogan devrait désormais être tenté d’étendre son opération vers l’ouest, en direction de Manbij, comme il l’a souligné à plusieurs reprises. Il doit toutefois prendre en compte les positions de son partenaire au sein de l’OTAN, les États-Unis, qui sont présents à Manbij, en soutien aux Kurdes, et qui ont déjà signalé à plusieurs reprises qu’ils ne comptaient pas s’en aller. « Il faut qu’ils (les États-Unis) se retirent immédiatement de Manbij », avait déclaré le chef de la diplomatie turc, Mevlüt Cavusoglu, au début de l’opération. « Il faut que les États-Unis rompent totalement avec (les YPG), qu’ils récupèrent les armes qu’ils leur ont données », avait-il ajouté. Une demande que Washington a feint d’écouter pour mieux l’ignorer.
Si les Américains n’ont jamais considéré Afrine comme faisant partie de leur zone d’influence, la donne devrait être différente à Manbij où les forces américaines sont stationnées depuis la reprise de la ville par la coalition internationale des mains de l’EI en 2016. La possibilité d’un deal entre Ankara et Washington à ce sujet a été évoquée dès la fin du mois de janvier selon des sources officielles américaines et turques, rapportait le Washington Post. Toute attaque contre les Kurdes engendrerait une riposte des troupes américaines sur place, a déjà prévenu Washington, alors que les deux alliés de l’OTAN souhaitent éviter toute confrontation qui serait désastreuse pour la région.
À la demande d’Ankara, Washington pourrait accepter de déplacer ses alliés kurdes à l’est de l’Euphrate pour une administration conjointe de Manbij. En échange, les Américains pourraient ainsi continuer à exploiter la base militaire turque d’Incirlik pour la lutte contre l’EI. Alors que les relations turco-américaines sont bien fragiles, les pourparlers ont eu lieu sous l’égide de l’ancien secrétaire d’État américain, Rex Tillerson, remplacé par Mike Pompeo jeudi dernier et le conseiller à la Sécurité nationale américain, H.R. McMaster, dont le temps restant à la Maison-Blanche serait compté selon de nombreuses rumeurs. Alors que MM. Tillerson et McMaster formaient un duo ayant pour fonction de calmer les ardeurs du président américain, M. Pompeo a un tempérament et des vues bien différents de ceux de son prédécesseur. Autant d’éléments qui pourraient influencer la politique américaine en Syrie.
commentaires (5)
Tiens...tiens, le "Héros Bachar" accepte de voir le drapeau turc flotter sur une ville de son territoire syrien ? Voilà l'exemple parfait du "Héros-Girouette" ! Vous savez, la girouette sur les toits qui tourne selon d'où vient le vent...ces derniers temps du Nord de chez Poutine, du Sud, mais en cachette...souvent de l'Est des guides suprêmes...et même de l'Ouest...quand ça peut servir ! Irène Saïd
Irene Said
16 h 09, le 19 mars 2018