La majorité silencieuse, accusée souvent à tort d’indifférence vis-à-vis de l’échec de la classe politique, fait enfin surface en force sous la nouvelle dénomination de société civile active. Plusieurs groupements de jeunes et de moins jeunes révoltés ont récemment envahi la scène publique sous différents slogans pour dénoncer à tue-tête l’incompétence, la négligence et la corruption des politiciens. Ils accusent leur désintérêt par rapport au marasme économique ambiant, à l’envahissement des ordures, à la pollution généralisée, au coût démesuré de l’électricité, aux embouteillages sans fin, aux réclamations vitales des parents essoufflés par les scolarités et aux multiples mouvements de grévistes insatisfaits...
Cependant, à l’approche de l’échéance des élections législatives, coup de théâtre, et voilà que nos politiciens se réveillent en sursaut, à la recherche du temps perdu, pour maintenir et consolider à vie leurs postes-clefs de représentants d’un peuple jusque-là apathique. Mais justement, ces gens-là, leurs ouailles, jadis assoupies, en ont ras-le-bol et ne veulent plus de ce statu quo stérile et suicidaire.
La société civile, constituée par les réfractaires de tout bord à cette dégringolade, se soulève à temps avant de sombrer dans la noyade commune. Un rassemblement de nouveaux venus s’aventurent en 2016 à tenter leur chance en briguant pour la première fois des postes aux élections municipales de la capitale sous l’appellation de « Beyrouth madinati ». Cette tentative inattendue obtient à la surprise et à la satisfaction générales 45 % des bulletins de vote. C’est le coup d’envoi à des centaines de militants aspirant au changement pour se regrouper en masse et étendre leur mouvement à travers tout le pays.
À l’instar du passé, l’électeur attend aujourd’hui patiemment que la cuisine interne des formations de listes électorales se termine et que le plus nanti des candidats se range dans une « bonne liste » présidée par un chef de file ou un chef de parti. Le cas échéant, si ce n’est pas lui, ce sera son fils, son frère, son cousin ou son gendre, car après tout, la politique n’est dans notre pays qu’une affaire de famille. Qu’importe la personnalité de l’élu à défaut de programme, de principes, d’objectifs, de qualifications ou de critères (à part évidemment celui de l’argent)… Tout peut s’accommoder.
Des femmes, pas un mot, elles qui pourtant représentent en nombre plus de la moitié de la population et qui en constituent le fondement. La nouvelle loi n’a pas arrangé les choses. Plus question désormais de respecter un quelconque quota, solution intermédiaire et provisoire pratiquée par la majorité des pays du monde, pour imposer l’accès des femmes au Parlement et faire valoir leur capacité à gérer la chose publique à tous les niveaux. Et cela parce qu’une formation politique libanaise considère que la place de la femme est au foyer et que son rôle doit se limiter à la gestion de sa famille. Pour justifier aussi le rejet du quota, nos dirigeants prétextent même qu’il est difficile de trouver des femmes compétentes et expérimentées.
Les droits politiques de voter et d’être élues, accordés aux Libanaises depuis belle lurette, ne seront jamais reconnus aux femmes méritantes, de valeur au moins équivalente – sinon plus – à une bonne partie des élus. En effet, dans beaucoup de domaines, les femmes ont prouvé leur égalité si ce n’est leur supériorité professionnelle et académique par rapport à leurs collègues et à leurs concitoyens.
Pour remédier à cet état de fait, la société civile devrait pouvoir subvenir à cette carence en boycottant toute liste qui ne porterait par le nom d’une candidate.
Quoi qu’il en soit, cent onze femmes qualifiées se sont portées candidates aux prochaines élections à travers toutes les circonscriptions du pays, soutenues en cela principalement par la société civile active qui se manifeste de plus en plus et tente d’agir autant que faire se peut dans les limites imposées par la nouvelle loi électorale.
Le vent de contestation qui souffle dans tout le pays et le soulèvement des mouvements protestataires qui se multiplient de plus en plus parviendront-ils à ébranler le système apparemment bien ancré et bien établi et à opérer un changement salutaire ?
En tout cas, la prise de conscience est là, certaine et évidente, le mouvement est désormais en marche !...
Pour tout dire, ce n’est qu’une question de mentalité, de culture politique, de reconnaissance de l’égalité des sexes et de l’opportunité des chances qu’il est grand temps de changer, renforcer et instituer pour accéder à un véritable État de droit.
Nos Lecteurs ont la Parole - Alia BERTI ZEIN
Le ras-le-bol de la société civile
OLJ / le 23 mars 2018 à 00h00
commentaires (0)
Commenter