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Nos Lecteurs ont la Parole - Marwan SEIFEDDINE

Les effets de l’application de la grille des salaires et des échelons sur les écoles privées au Liban

La décision du gouvernement libanais (loi 46 d’août 2017) d’appliquer la grille des salaires et des échelons (GSE) aux employés du secteur public et aux enseignants des écoles privées a eu l’effet d’une onde de choc sur le système éducatif au Liban, en particulier sur l’enseignement privé. L’application de la GSE a donné lieu à d’innombrables tractations et polémiques entre gouvernants, directeurs d’école, enseignants et parents d’élèves, aggravées par des déclarations intempestives de politiciens cherchant à glaner une poignée de voix supplémentaires aux prochaines élections. Ce climat délétère a obscurci le débat sur la GSE, créant par là même une tension sociale supplémentaire à l’échelle du pays. Il importe alors loin des emportements passionnels, des uns et des autres, d’analyser sereinement les retombées éducatives, économiques et sociales de la GSE sur les parties prenantes de l’enseignement privé au Liban, à savoir, les écoles privées, leurs enseignants, les parents des élèves et les élèves eux-mêmes.
Les écoles privées dans leur grande majorité vont accorder les augmentations de salaire prévues par la GSE en reportant à une phase ultérieure l’octroi des échelons y afférents. S’il est vrai que la GSE affecte tous les établissements scolaires privés, son incidence sur ces établissements ne sera pas uniforme. Certains établissements possèdent des réserves financières suffisantes provenant de donations, d’autres bénéficient d’un flux de revenus permanent qui leur est exclusivement assigné et généré par des actifs considérés comme des biens de main morte. Ces deux catégories d’établissement sont à même de financer l’augmentation des salaires de leurs enseignants sans recourir à une majoration des écolages rendue nécessaire par l’application de la GSE. Une troisième catégorie d’écoles privées appartient à des associations qui ont établi dans d’autres pays des écoles similaires qui génèrent des revenus substantiels pouvant être utilisés pour financer les augmentations de salaires des enseignants de leurs écoles au Liban. Toutefois, pour les établissements scolaires hors de ces trois catégories, les écolages constituent la principale ou la seule source de revenu disponible. Ces établissements seront soumis à rude épreuve puisque l’augmentation des salaires de leurs enseignants ne peut être financée que par une hausse subséquente des frais de scolarité. Particulièrement touchés parmi ces établissements scolaires sont ceux des régions dont les habitants ont vu leur pouvoir d’achat baisser au cours des dernières années. Aussi, face au refus des parents d’élèves d’accepter une hausse des écolages, les établissements concernés seront contraints de recourir à des coupes budgétaires, comprenant entre autres une diminution du nombre de sections par classe et une augmentation concomitante du nombre d’élèves par section, ce qui affecterait la qualité de leurs prestations, les transformant ainsi en « citoyens de seconde zone ». Certaines écoles privées étouffées financièrement par l’application de la loi 46 pourraient même être amenées à fermer leurs portes dans un avenir proche.
Les enseignants des écoles privées qui recevront l’augmentation de salaire prévue par la GSE seront désavantagés par rapport à leurs homologues des écoles publiques lesquels ont bénéficié depuis août dernier à la fois des augmentations de salaire et des échelons. Ce désavantage est d’autant plus criant et plus injuste lorsque l’on prend en compte la charge de travail plus lourde entre les enseignants du système éducatif privé par rapport à ceux du système public, mise en évidence par les statistiques. En effet, il ressort des dernières statistiques (année 2016) que pour les écoles privées qui scolarisent environ 70 % des élèves du primaire et du secondaire au Liban, le nombre moyen d’élèves par enseignant se situe aux environs de 13, alors que ce ratio est de l’ordre de 8 élèves par enseignant dans les écoles publiques. Encore faut-il signaler que pour tous les enseignants des écoles publiques et privées, le pouvoir d’achat supplémentaire dû à l’augmentation de revenu sera très vite érodé par la nouvelle hausse des prix déjà observable au cours des derniers mois. Par ailleurs, nombre d’enseignants travaillant dans les écoles privées financièrement en difficulté seraient amenés suite à l’application de la GSE à rejoindre des écoles mieux nanties accentuant ainsi davantage les disparités déjà mentionnées.
Les parents d’élèves quant à eux seront presque tous touchés par l’application de la GSE, en particulier ceux dont le revenu est limité. Il est bien connu qu’au Liban, la part du budget des ménages de la classe moyenne consacrée à l’éducation des enfants est plus importante que celle de leurs homologues ailleurs. Cette part augmentera encore suite à la hausse des écolages plaçant ainsi nombre de familles dans une situation financière difficile. Les familles dont aucun membre ne travaille, soit dans le secteur public ou dans l’enseignement privé, seront évidemment les plus affectées.
S’agissant des élèves, l’application de la GSE entraînera le retrait de nombre d’entre eux des écoles privées et leur réaffectation dans les écoles publiques par des parents se trouvant dans l’impossibilité de payer les augmentations des écolages. Le brassage social dans les écoles privées en souffrira. De plus, les élèves qui resteront dans des écoles ayant réduit leurs budgets et s’étant imposé des mesures d’austérité, courront le risque de faire les frais de la baisse du niveau de leurs écoles signalé auparavant.
Ainsi, l’application de la GSE se fera aux dépens du système d’enseignement privé au Liban en augmentant la disparité de niveau entre les écoles privées, pénalisant beaucoup de familles, causant la fermeture de certaines écoles ou la baisse de leur niveau scolaire, et rendant le système d’enseignement privé au Liban à la fois plus fragile et moins inclusif.
Le choc subi par le système d’enseignement primaire et secondaire au Liban du fait de la promulgation de la loi 46 d’août 2017 aurait été beaucoup moins violent et ses effets négatifs moins ressentis si les augmentations de salaire et l’octroi des échelons liés la GSE avaient été appliqués graduellement sur plusieurs années. La situation est comparable à une pluie diluvienne qui, s’abattant en une seule journée, causerait moult dégâts, alors que le même volume de précipitation résultant d’une pluie moins violente tombant pendant plusieurs jours aurait peut-être eu des effets beaucoup moins graves, voire inverses.

 Membre du conseil de tutelle du  Shouf National College (Baakline)

La décision du gouvernement libanais (loi 46 d’août 2017) d’appliquer la grille des salaires et des échelons (GSE) aux employés du secteur public et aux enseignants des écoles privées a eu l’effet d’une onde de choc sur le système éducatif au Liban, en particulier sur l’enseignement privé. L’application de la GSE a donné lieu à d’innombrables tractations et polémiques...

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