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Moyen Orient et Monde - Service militaire

En Israël, la crise gouvernementale maintient le statu quo favorable aux ultraorthodoxes

L’exemption de la conscription est une demande principale des religieux.

Photo d’archives montrant un juif ultraorthodoxe observant une patrouille israélienne près de la tombe de Rachel, en Cisjordanie, le 26 octobre 2012. Ronen Zvulun/Reuters/File Photo

La coalition de droite au pouvoir en Israël s’est accordé un sursis mardi soir. Les ultraorthodoxes ont finalement consenti à voter le budget pour 2019, qu’ils avaient conditionné à l’approbation par la Knesset d’un ensemble législatif permettant l’exemption formelle de service militaire des étudiants des yeshivot (écoles talmudiques), et le contournement par cette première loi de la Cour suprême. Cette dernière a en effet censuré à plusieurs reprises des dispositions similaires, jugeant qu’elles étaient discriminatoires envers les conscrits. Le Judaïsme unifié de la Torah (JUT) a donc proposé une loi plus ambitieuse, permettant d’immuniser l’exemption contre les interférences de la cour. Cette loi inscrirait la valeur supérieure des études juives sur l’égalité entre les citoyens dans la Loi fondamentale d’Israël.

L’ajournement du vote sur cette disposition extrêmement contestée donne un peu d’air aux membres de la coalition, que les observateurs tentent maintenant de partager entre les perdants et les gagnants. Alors que la plupart s’accordent à dire que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a perdu le contrôle de son destin électoral et judiciaire, l’issue de la crise pour les ultraorthodoxes est moins commentée, alors même qu’ils en partagent la responsabilité avec le Premier ministre israélien. M.

Netanyahu est en effet accusé d’avoir attisé la crise pour provoquer des élections anticipées.
Si le JUT semble avoir reculé par rapport à l’intransigeance que ses leaders affichaient au départ, il trouve en fait une forme de sécurité dans cet état provisoire, consacré à la recherche d’une solution définitive. La conscription est « un enjeu central de l’État israélien depuis 1948 », d’après Élisabeth Marteu, consultante pour le Moyen-Orient à l’International Institute for Strategic Studies (IISS). Ce qu’on appelle le statu quo résulte d’un accord conclu en 1948 entre David Ben Gourion et la branche antisioniste des ultraorthodoxes, représentée à l’époque par Agoudath Israël, et qui forme aujourd’hui le JUT avec le Deguel Hatorah. Ces deux courants représentent respectivement les hassidiques et les « lituaniens », deux forces majeures de l’orthodoxie juive, originaires d’Europe de l’Est.
Ces tendances fondent leur antisionisme sur leur opposition à toute médiation humaine dans la résurrection du royaume d’Israël, qui doit être l’œuvre du messie. Pour eux, le sionisme est un acte de défiance envers Dieu, et leur refus de s’enrôler dans l’armée un aspect parmi d’autres de leur rejet de l’État israélien actuel, qu’ils considèrent comme une imposture.

En 1948, David Ben Gourion échange leur complicité passive à la création de l’État contre l’exemption militaire des étudiants des yeshivot. De 400 à l’époque, les jeunes hommes concernés par cette dérogation sont aujourd’hui plus de 70 000. L’exception est devenue insupportable pour le reste de la population israélienne, qui exige un partage du fardeau. Sur le plan strictement lié à la sécurité de l’État, la valeur militaire des ultraorthodoxes est marginale. L’unité spéciale Nachal qui leur est consacrée comporte des aménagements coûteux, avec notamment des heures dédiées à l’étude du Talmud et le maintien strict de la non-mixité. Incorporer 60 000 nouvelles recrues en plus des quelques milliers d’ultraorthodoxes qui servent déjà représenterait un cauchemar logistique et financier pour l’establishment militaire. Pour l’armée et pour l’opinion publique, l’importance de l’incorporation des ultras est plus symbolique que sécuritaire. En intégrant des pans très différents de la société israélienne, elle nourrit l’image d’« armée du peuple » que l’armée israélienne s’est auto-attribuée. Pour les Israéliens astreints au service, l’incorporation signifie que leur sang et celui de leurs enfants sont « aussi rouges » que celui des religieux.


(Lire aussi : Le gouvernement israélien sort de la crise, suspendu aux enquêtes contre Netanyahu)

Rebelote
En 1999, la Cour suprême israélienne émet ainsi sur requête un arrêt fondateur, stipulant que l’exemption accordée par le ministère de la Défense contredit les lois fondamentales et requiert une législation explicite du Parlement. Depuis, l’empilement législatif sur la question n’a pas permis d’atteindre une loi acceptable à la fois pour les ultraorthodoxes, la Cour suprême, et l’opposition de gauche et Israël Beitenou, le parti ultranationaliste et ultralaïc d’Avigdor Lieberman. Toutes ont été invalidées par la cour, qui renouvelle à chaque fois le délai accordé à la rédaction d’une nouvelle loi conforme. Cet éternel recommencement de négociations, de crises, de compromis et de censure, débouchant à chaque fois sur un nouveau cycle, épargne au système politique israélien le choix entre deux visions du monde irréconciliables, « le caractère juif et le caractère démocratique de l’État, proclamés dans la Loi fondamentale de 1992 », explique Mme Marteu. « Le système israélien est basé sur une proportionnelle intégrale, favorable aux petits partis mais qui produit des coalitions très fragiles. Il fonctionne en permanence sur l’idée de processus, de recherche d’un compromis qui se réalise rarement. Ce n’est pas pour rien que l’on parle de processus de paix », poursuit la chercheuse.
Les crises gouvernementales, comme celle qui s’est temporairement résolue mardi soir, participent ainsi paradoxalement au modus vivendi entre les dirigeants laïcs et les ultraorthodoxes minoritaires. Au-delà de son issue mitigée pour Netanyahu, cette crise a ainsi surtout démontré « la capacité de nuisance disproportionnée des ultraorthodoxes par rapport à leur poids réel dans la population », souligne Mme Marteu. Les religieux qui refusent de se conformer à leurs obligations militaires représentent un dixième des Israéliens, tandis que le JUT occupe 6 sièges sur 120 à la Knesset.


Pour mémoire

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