Oyez, bon peuple, ce sont jours de campagne; attachez vos ceintures, ce qu’il vous reste de bon sens va bientôt décoller sans espoir de retour. Ah! La poésie putride des slogans imbéciles qu’on nous sert déjà. Ah ! Ces portraits gluants qui refleurissent sur les routes, à peine fanés les précédents. On se console (et on croise les doigts quand même) en pensant à la joie d’avoir des élections dans un pays où la seule perspective d’un scrutin, toujours annonciatrice d’un bain de sang, a si longtemps été inconcevable. Le mauvais goût des candidats en termes de publicité électorale est certes inoffensif, mais il n’en est pas moins douloureux pour nos neurones qui peinent à se rétablir entre deux sollicitations de votes.
La levée n’en est encore qu’à ses débuts, mais l’avant-goût en promet de sublimes nausées à venir.
Ailleurs, on aurait examiné l’état des lieux et proposé ne serait-ce que des intentions de remédier aux problèmes relevés. L’état des lieux, chez nous, n’a même pas besoin d’analyse, il saute aux yeux, au nez, à la gorge. Cela clignote de partout. Mis à part l’inextricable problème des infrastructures, les slogans que nous voudrions entendre ou lire devraient concerner l’éducation et les éducateurs ; les droits des femmes, en particulier celui de transmettre leur nationalité ; la culture et le soutien à cette belle génération d’artistes qui portent ce pays bien au-delà de ses rêves les plus fous ; la protection et le développement des savoir-faire traditionnels ; la création d’emplois décemment rémunérés pour les jeunes ; un système de santé moins pénalisant pour les plus pauvres et moins crapuleux pour les plus aisés ; la protection des plus faibles, chômeurs, personnes âgées, mères célibataires (oui !), malades chroniques… Mais les caisses sont vides, n’est-ce pas. L’économie est au bord du gouffre et la dette publique s’envenime. Quelle perspective? Mais le forage offshore, bien sûr! Un jour, nous pomperons et nous serons heureux, si certains types sur les affiches dont nous allons bientôt docilement reconduire le mandat nous laissent quelque relief du festin.
À défaut de proposer un programme, les slogans nous invitent à chanter les louanges des candidats. À titre d’exemple, côté chrétien, le CPL, dont on n’a pas oublié le cuisant « Sois belle et vote » (où les femmes n’ont entendu que l’injonction « tais-toi ! »), joue sur son éternelle obsession de la force dopée à la testostérone. Mettons la faute sur la maladresse des agences ou des bureaux de campagne. Le candidat orange au Kesrouan et gendre du président s’appelle Chamel : en arabe, « celui qui englobe ». La tentation était trop forte de jouer sur les mots pour lui faire « englober » tout le Kesrouan et la Navarre avec. Sans surprise, « ils » y ont cédé. Pire, « ils » ont intégré par un tout aussi brillant jeu de mots son statut de commandant dans la profession de foi du symbole de Nicée (le « je crois en Dieu »). Vous voilà face à une presque-divinité, bonnes gens, il serait sacrilège de ne pas le choisir, quel que soit son plan ou son absence de plan, pour vous représenter au Parlement. Plus prudentes mais tellement lassantes, les Forces libanaises proposent une ritournelle sur l’air d’ « il est temps ». Exemple : « Il est temps de choisir l’honnêteté contre la corruption », à décliner ad libitum. Il serait surtout temps que tous ceux qui n’ont rien changé en plus de vingt ans libèrent la place. Simplement.
Ces anges dans nos campagnes
OLJ / Par Fifi ABOU DIB, le 08 mars 2018 à 00h00
commentaires (5)
Du temps de Farid Haïkal el-Khazen (Ghosta), de Georges Zouain dit "le Lion libanais" (Yahchouche), de Clovis el-Khazen (Ajaltoun), de Nohad Bouez (Zouk-Mkayel, pour ne citer qu'eux, tous ces parachutages n'auraient pas eu lieu.
Un Libanais
14 h 25, le 08 mars 2018