Pour cette cuvée 2018 de la Journée de la femme, « L’Orient-Le Jour » a choisi de ramener au bon souvenir des Libanais(e)s huit femmes d’exception, toutes aujourd’hui disparues. Chacune dans son domaine, elles auront modelé, avec patience et pugnacité, notre Liban, le vôtre, lecteurs et lectrices, et celui de « L’Orient-Le Jour » : un Liban libre, heureux, apaisé, prodigieux, amoureux de sa jeunesse ; un Liban modèle, pont entre tant de rives. Les voici, par ordre alphabétique, souriantes, mais inquiètes pour nous, toutes les huit, de là-haut.
Zalfa Chamoun (1910-1971)
Photo D.R.
La femme de tous les mondes : la jeunesse à Beyrouth, la vieille adolescence aux Beaux-Arts du Caire, jeune adulte à Londres avec son mari, alors ministre plénipotentiaire, et puis Kantari, pour les six ans d’or d’un Liban qui ne connaîtra plus pareille époque, pareil rayonnement, pareille réputation. La femme de toutes les beautés, celles de dedans et celles du dehors : elle adorait peindre et dessiner, et créer ses propres vêtements, et encourager, comme personne, les jeunes artistes, musiciens notamment. La femme de tout ce qui est bon : elle a convaincu le président Chamoun de la nécessité de donner aux femmes le droit de vote et elle a fondé l’école laïque pour malvoyants et malentendants. Son visage et son cœur resteront ceux d’un Liban que la majorité des Libanais rêve de retrouver – Grace Kelly avec la Méditerranée dans l’âme.
Nazira Joumblatt (1890-1951)
Photo d’archives/L’OLJ
Sitt Nazira. La gardienne du temple – druze, bien sûr, mais libanais aussi, avec les patriarches Hoayek et Arida. Ce que l’histoire, les romanciers, les cinéastes ou les on-dit retiennent d’elle importent peu. Ce qui reste(ra), éternellement, de la mère de Kamal Joumblatt, c’est une intelligence, un charme, une libanitude et un parcours politique himalayens que l’immense majorité des leaders masculins de ce pays, toutes générations confondues, peut lui envier. Héritière et chef après l’assassinat de son mari Fouad en 1921 (le sang a toujours été dans l’ADN du Liban…), elle aura rythmé, jour après jour, deux décennies de praxis politique. Et il y a un peu (beaucoup) de Nazira Joumblatt dans son arrière-petite-fille, Dalia Joumblatt. Bon sang ment très rarement…
Laure Moghaïzel (1929-1997)
Photo d’archives/L’OLJ
Contemporaine de l’immense Simone Veil, fille putative de Simone de Beauvoir, Laure Moghaïzel n’a pas eu besoin de vivre dans sa chair les atrocités d’un fascisme monstre, ou les fantasmes d’un philosophe tourmenté, pour défendre comme presque personne la laïcité, les hommes et, surtout, les femmes dans ce Liban de tous les machismes, de toutes les dérives. Son jusqu’au-boutisme en agaçait beaucoup (de machos…), mais elle s’en moquait : ses petits poings constamment serrés, sa pugnacité en bandoulière, son homme adoré, Joseph Moghaïzel, au bras, elle en a accouché, des réformes législatives en tout genre en faveur des droits des femmes. Faites-vous plaisir : écoutez l’histoire de cette changeuse de mentalités, racontée par le délicieux André Dussolier :
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Sabah (1927-2014)
Photo d’archives/L’OLJ
« Je suis fière d’être une villageoise, mais j’ai eu beaucoup d’ambition(s)… » Elle a eu beaucoup de tout, Sabah : beaucoup de talent, de grâce, de maris (sept !), de chansons (3 500), de films (98), de records (elle a été la première femme arabe à chanter à l’Olympia, au Carnegie Hall, au Royal Albert Hall…), de bonheurs, d’avanies, d’humour et d’autodérision (« Mais pourquoi m’enterrent-ils aussi souvent ? Est-ce que je les dérange à ce point en restant vivante ? »), de générosité, de naïveté, de miel, d’empathie. Beaucoup. S’il fallait donner un nom à la bonté, ce serait le sien : Jeannette Féghali, alias Sabah, comme une héroïne avant l’heure d’un Lars von Trier soudainement apaisé, rassuré, emballé par le sourire de cette femme. Parce qu’elle était fondamentalement cela, Sabah : une sécheuse de larmes.
Alia el-Solh (1932-2007)
Photo d’archives/L’OLJ
Nouhad Souhaid (1932-2016)
Photo d’archives/L’OLJ
Héroïne brechtienne comme peu de femmes l’ont été, veuve à 32 ans et à la tête d’une famille de six enfants encore très jeunes, grevée de dettes, avec un hôpital à gérer, Nouhad Souhaid se battra en politique, dans le sens le plus républicain du terme, vaillante et brave, contre un roc, un cap, une péninsule : Raymond Eddé. Mais elle sera surtout une mère-courage, pour les siens, certes, mais pour tous les habitants des cazas de Jbeil et du Kesrouan, et pour tous les Libanais, panseuse de plaies, avec Kamal Joumblatt, Rafic Hariri, son fils Farès Souhaid et… Carlos Eddé. « Une pionnière en politique, dans son quotidien et dans ses croyances ; le symbole de la force, coiffée d’un chignon parfait », résume l’une de ses petites-filles, la productrice et musicologue Jana Saleh.
Yvette Sursock (1914-1993)
Photo D.R.
« Le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse. » Elle aurait pu, en toute légitimité, graver cette phrase d’Épicure en épitaphe. La jumelle presque astrale de Jacqueline Maillan aurait pu, aussi, avoir une carrière mirifique. Elle s’est contentée de ce Liban qu’elle adorait, qu’elle adorait croquer, dont elle adorait croquer les travers, qu’elle adorait faire rire, avec du fond, avec du sens, diablement moliéresque. Oui, Yvette Sursock adorait : les plaisirs de chaque instant, bien manger, bien boire, bien recevoir, apprendre, transmettre, la beauté, les planches, la télévision, la vie... Pratiquement morte sur scène, truculente, flamboyante, d’une élégance fondamentale, son rose et son smart glitter manquent cruellement dans ce Liban cuvée 2018 particulièrement sinistre et antiglam.
Nadia Tuéni (1935-1983)
Photo d’archives/L’OLJ
Il y a(vait) ses yeux. Insensés, tellement ils abritaient d’univers, d’émotions et de vagues. Il y avait ses maux. Et bien sûr ses mots : « Tu as sali la mer par tendresse, étranger, mais tu ne savais pas qu’elle est (…) tout ce qui reste du chemin nécessaire (…) au pacte entre nous et nous, à la mort fertile et qui devient jardin de sommeil et d’eau…» Nadia Tuéni était à elle seule un pont entre tant de rives : le Liban et la France ; le verbe et la chair ; la vie et la mort, certes, mais essentiellement entre les Libanais eux-mêmes. Et comment, à chaque fois qu’on vacille ou chavire, ne pas s’agripper à ses textes blonds, Bible, Coran et Torah à la fois, remède et langages infiniment universels, accouchés par celle qui écrivait dans les colonnes du Le Jour, dans les années 60, de petites pépites d’or.
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Pour cette cuvée 2018 de la Journée de la femme, « L’Orient-Le Jour » a choisi de ramener au bon souvenir des Libanais(e)s huit femmes d’exception, toutes aujourd’hui disparues. Chacune dans son domaine, elles auront modelé, avec patience et pugnacité, notre Liban, le vôtre, lecteurs et lectrices, et celui de « L’Orient-Le Jour » : un Liban libre,...
commentaires (14)
Le lien de Laure Moghaizel c'est : https://vimeo.com/179310242 Pour une raison ou autre la version sur la page OLJ ne marche pas pour moi mais le lien https://vimeo.com/179310242 si.
Stes David
22 h 12, le 08 mars 2018