Seins nus, elles dénoncent l'oppression politique et religieuse, veulent dépoussiérer le combat féministe de Kiev à Tunis. Mais dix ans après leur naissance, l'étoile des Femen, affaiblies par des divisions et condamnations judiciaires, a pâli en dépit d'un élan féministe international né de l'affaire Weinstein.
La méthode de ces militantes a fait le tour du monde depuis leur premier coup d'éclat en février 2010, dans un bureau électoral de Kiev pour dénoncer un risque de "glissement vers la dictature" avec le candidat prorusse à la présidentielle Viktor Ianoukovitch. Un procédé réitéré dimanche lors des législatives italiennes, contre Silvio Berlusconi.
Couronnes de fleurs sur la tête, slogans tracés en grosses lettres noires sur leur poitrine dénudée, ces femmes, souvent jeunes et sveltes, trompent les services de sécurité, se faufilent dans les foules pendant manifestations, événements sportifs et hurlent leur message : non à l'oppression sous toutes ses formes.
"Elles sont très courageuses, elles n'ont pas eu peur de prendre des coups" mais "elles n'ont pas beaucoup développé la réflexion", juge Françoise Picq, historienne française du féminisme.
Une critique qu'entend Inna Chevtchenko, 27 ans, une des figures du mouvement Femen ("cuisse" en latin), admettant que ce sont "les activistes françaises qui (lui) ont appris à avoir des débats idéologiques".
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Le quatuor historique - les Ukrainiennes Anna Goutsol, Iana Jdanova, Oksana Chatchko et Sacha Chevtchenko -- se rêve d'abord en nouvelles icônes du féminisme. Peu importe si la société ukrainienne les considère comme "des prostituées" à la botte "d'un parti politique, de l'Occident, d'un homme, des Etats-Unis", ironise Inna, qui rejoint le groupe plus tard.
Les Femen, dont la première action était passée inaperçue le 15 avril 2008, s'étendent à l'étranger, ciblent les présidents russe Vladimir Poutine ou turc Recep Tayyip Erdogan qu'elles accusent d'autoritarisme, les partis politiques comme le Front national en France. Et font "le buzz", sans que l'on sache combien de femmes ce mouvement regroupe vraiment.
En octobre 2011, "elles étaient venus d'Ukraine pour mener une action contre Dominique Strauss-Kahn (accusé de viol, ndlr) alors que les féministes françaises n'avaient pas encore réagi", se souvient une jeune Française, Eloïse. Elle est alors persuadée que les Femen "vont remettre l'activisme au goût du jour".
En décembre 2011, une virée en Biélorussie marque un tournant: "On a été arrêtées devant le siège des services secrets, emmenées dans une forêt et torturées", raconte Inna.
Menacées d'emprisonnement quelques mois plus tard en Ukraine, où la police a découvert des armes dans leur local, les activistes mettent la clé sous la porte.
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"Manque de nuance"
Coup de chance: dans l'intervalle, des Françaises les avaient contactées pour créer un groupe à Paris et c'est à leurs côtés qu'Inna trouve refuge à l'été 2012.
Mais son exil, suivi un an plus tard de ceux d'Oksana Chatchko et Sacha Chevtchenko, ne permettent pas de relancer leur activité avec la même vigueur.
"Quand on est arrivées, ce qu'on a vu c'est qu'Inna n'avait pas créé un groupe d'activistes mais de fans" à son égérie, lance cinglante Sacha, 29 ans, désormais femme au foyer et réfugiée à Paris.
"Sacha et Oksana critiquaient la stratégie militante des Femen françaises", réplique Inna.
Les défections se poursuivent à mesure que les Femen s'attaquent désormais aux symboles religieux et lieux de culte, comme dans la cathédrale Notre-Dame à Paris en 2013, au grand dam des politiques qui les condamnent et d'une opinion publique déroutée.
"Tout ça manquait de nuance, de communication", pointe Eloïse, qui a depuis quitté ce "mouvement très pyramidal, hiérarchisé".
Des rumeurs sur "le financement israélien, le penchant islamophobe ou l'organisation d'un casting axé sur le physique des militantes" font aussi des ravages, déplore la jeune femme.
A ces difficultés internes, se sont ajoutées des agressions physiques de militantes, des procès comme à Paris pour "exhibition sexuelle" et des condamnations, notamment à quatre mois de prison avec sursis à Tunis pour avoir manifesté "topless" contre les islamistes d'Ennahda en 2013.
En 2018, "la mission est malheureusement la même que celle qu'on avait en 2008", constate amère, Anna Goutsol.
Alors que les Femen reprennent discrètement leurs activités à Kiev et qu'en France le groupe vivote, des milliers de femmes dans le monde prennent la parole pour plus de respect et de justice dans le sillage de l'affaire Weinstein. Cette fois sous une bannière 2.0: #metoo.
Pour mémoire
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L'exhibitionnisme ne reste-t-il pas classé comme trouble du comportement? En France, en tous cas, elles n'ont besoin d'aucun courage pour se dévêtir car elles bénéficient d'une protection scandaleuse. C'est leur égérie qui a été choisie par Hollande pour prêter son visage à "Marianne". Lors d'une de leurs manifestations dans la cathédrale N-D de Paris, ce sont les policiers qui les ont expulsées qui ont été condamnés!
07 h 02, le 08 mars 2018