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Idées - Point de vue

Quelle sera la prochaine étape de l'émancipation féminine ?

Des participants à la « Women's march », une manifestation initiée par des groupes féministes pour contester la victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle américaine, à Londres le 21 janvier 2017. Archives Reuters

Le 6 février dernier, on célébrait le centenaire de l'adoption par la Grande-Bretagne du « Representation of the People Act » qui accordait pour la première fois le droit de vote aux femmes sous certaines conditions – une récompense pour leur implication lors de la Première Guerre mondiale. En l'honneur de cet événement historique, les statues de deux femmes qui ont eu un rôle important dans cette conquête, Millicent Fawcett et Emmeline Pankhurst, seront érigées en Grande-Bretagne.

La deuxième vague d'émancipation économique des femmes n'est apparue qu'après la Seconde Guerre mondiale, en raison du manque permanent de main d'œuvre masculine –conséquence d'une politique keynésienne de plein emploi. Elle a poussé de plus en plus de femmes à abandonner les tâches domestiques pour un emploi en usine ou dans le commerce, mais elle a été marquée par des inégalités, notamment en termes de discrimination de salaire, de droit de propriété et dans l'accès à l'emploi.

Au Royaume-Uni, les femmes ont remporté la plupart de ces batailles. Il y a longtemps que discrimination en matière d'héritage a disparu et le principe de l'égalité de salaires est reconnu, au moins théoriquement, car dans les faits les inégalités subsistent (de même que dans l'accès aux postes de direction). Ainsi la journaliste britannique Carrie Gracie a récemment démissionné de son poste de rédactrice en chef de la BBC en Chine pour protester contre les inégalités de salaires entre hommes et femmes. Elle a également demandé à six présentateurs renommés d'accepter une réduction substantielle de leur salaire.

Performances inégales « par nature »  
Ce n'est plus qu'une question de temps (celui de surmonter les habitudes enracinées, les préjugés et l'inertie) pour que des principes reconnus s'inscrivent dans la réalité. L'argument le plus intéressant qui subsiste pour justifier les inégalités de traitement hommes-femmes se rapporte aux activités qui privilégient les qualités physiques, comme le sport. Dans les sociétés traditionnelles, les hommes faisaient la guerre parce qu'ils étaient plus forts, plus rapides et plus grands. Il n'est donc pas étonnant que le sport de compétition, forme ritualisée de la guerre, soit l'un des derniers bastions de l'inégalité des revenus. Dans la majorité des sports, les équipes masculines et féminines et les compétitions sont séparées, car l'on s'attend à ce que les femmes réalisent de moindres performances. À titre d'exemple, les matchs de tennis masculins comportent souvent 5 sets, contre 3 pour les femmes. Les meilleurs joueurs peuvent battre les meilleures joueuses parce qu'ils sont plus forts, frappent plus fort la balle et ont davantage d'énergie. En natation, la plus longue distance de compétition est de 1500 mètres pour les hommes, alors qu'elle est de 800 mètres pour les femmes. Par contre en équitation les femmes sont au même niveau que les hommes – pas seulement dans les courses de chevaux, mais aussi pour le dressage, le saut d'obstacles et le concours complet d'équitation.

La question est de savoir si les revenus doivent être égaux dans les domaines où les performances sont inégales « par nature ». Au tennis, le principe de l'égalité des revenus pour des performances inégales est accepté pour les tournois du grand chelem, mais pas pour la plupart des autres compétitions. Dans les autres sports, l'écart de revenus hommes-femmes reste frappant, notamment dans le foot. La capitaine de l'équipe de foot professionnelle féminine d'Angleterre, Steph Houghton, n'est payée que 65 000 livres (environ 89 500 dollars) par an, alors que Neymar, le footballeur le mieux payé, reçoit environ 500 fois plus. Et alors que les salaires des joueuses de l'équipe féminine en « Super League » plafonnent à 35 000 livres (environ 48 000 dollars), les joueurs du Chelsea FC reçoivent en moyenne le montant étourdissant de 4,5 millions de livres (environ 6,2 millions de dollars) par an.

Prix du marché
Les partisans de l'égalité des revenus hommes-femmes dans le sport rappellent que ces dernières doivent faire plus d'efforts pour parvenir aux mêmes résultats. Cela nous ramène à la vieille théorie de la valeur travail selon laquelle toute valeur découle d'un travail. Mais le lien entre les heures de travail et les prix du marché est des plus ténus dans la réalité. C'est pourquoi les économistes ont recherché une autre explication aux prix du marché.

Ils disent aujourd'hui que les prix (ce qui inclut les salaires) dépendent de la demande. Le prix d'un produit ne dépend pas du temps et des efforts consacrés à le produire, mais de sa valeur aux yeux de l'acheteur. Les footballeurs sont mieux payés que les footballeuses parce qu'ils sont plus demandés. Si les clubs payaient autant les équipes féminines que les équipes masculines, ils feraient faillite. À vouloir un salaire supérieur au prix d'équilibre du marché, on court le risque du chômage. Les économistes insistent sur le fait que le prix du marché ne traduit pas une valeur morale, mais une valeur purement commerciale. Si nous voulons que le prix du marché constitue la « juste » récompense d'un travail, nous devons soit abolir le marché, soit remodeler les préférences individuelles.

Les partisans de l'égalité des revenus dans le sport soulignent que les femmes auraient la même valeur que les hommes sur le marché si l'on se débarrassait des préjugés structuraux basés sur le genre (en raison par exemple d'une plus grande couverture médiatique et d'un plus grand soutien financier en faveur des hommes). Bien que le prix du marché dépende de la demande, ainsi que le dit la théorie économique, les préférences des consommateurs sont elles-mêmes orientées par les préjugés forgés par la société. En l'absence de ces préjugés, la demande en faveur des femmes dans le sport (mesurée par le nombre de spectateurs lors des matchs, de leur audimat, etc.) serait la même que pour les hommes.

Cet argument est basé sur l'hypothèse (qui concerne beaucoup d'autres domaines) selon laquelle on ne parviendra à une véritable égalité hommes-femmes que le jour où la formation des goûts et des habitudes ne reposera plus sur des stéréotypes de genre, autrement dit, quand on ne donnera plus automatiquement comme jouets des armes factices aux petits garçons et des poupées aux petites filles.

Cela paraît tout à fait raisonnable, jusqu'au moment où l'on réalise jusqu'où les féministes radicales veulent aller pour recomposer les goûts et les préférences. Le langage doit être systématiquement purgé du «  biais de genre », à l'université les cours en lettres et en sciences sociales font l'objet d'une sorte de censure implicite ou explicite sur les questions de genre. À aller au bout de ce raisonnement, il faudrait considérer le genre essentiellement comme une construction sociale, et de ce fait encourager les enfants à choisir leur propre genre. À mes yeux, la dernière offensive contre les hommes ressemble à une bonne cause qui a perdu toute mesure. Mais si je pense cela, c'est peut-être parce que je suis un homme blanc de 78 ans…

Traduction Patrice Horovitz
© Project Syndicate, 2018.


Robert Skidelsky est membre de la Chambre des Lords britannique et professeur d'économie politique à l'Université de Warwick.


Le 6 février dernier, on célébrait le centenaire de l'adoption par la Grande-Bretagne du « Representation of the People Act » qui accordait pour la première fois le droit de vote aux femmes sous certaines conditions – une récompense pour leur implication lors de la Première Guerre mondiale. En l'honneur de cet événement historique, les statues de deux femmes qui ont eu un rôle...

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