Un pays qui ne progresse pas, qui stagne, recule immanquablement. Et un pays qui recule, même lentement, plonge et se noie, tête la première.
Il y a presque treize ans, les soldats syriens qui occupaient le Liban depuis 1976 quittaient le territoire national, salués, la larme à l’œil, par ce que l’on a appelé pendant longtemps les forces du 8 Mars : Hezbollah, Amal, Marada, PSNS, etc. – c’était moins d’un an avant la signature du document d’entente de Mar Mikhaïl entre le Hezb et le CPL de Michel Aoun. Le gang Assad, père et fils, qui a réglementé pendant des décennies le quotidien des Libanais via ses gauleiters successifs (le satyre-tyran-suicidé Ghazi Kanaan pendant 20 ans, puis, pour trois ans, le contrebandier Rustom Ghazalé), s’était employé à gangréner jusqu’à l’os les appareils sécuritaire et judiciaire, à dynamiter la démocratie et à enterrer les libertés publiques dans d’immondes fosses communes en nommant, du palais de Baabda à la Direction générale de la Sûreté générale, en passant, entre tant d’autres, par les plus hauts postes judiciaires, de très zélées marionnettes. Tout cela a naturellement basculé après l’assassinat de Rafic Hariri en 2005, sans jamais, bien sûr, totalement disparaître – loin de là. Jusqu’au début de l’actuelle décennie : une fois la milice du Hezbollah transformée en mini-armée mercenaire au service de Bachar el-Assad, la courbe de l’influence syrienne, c’est-à-dire alaouite, au Liban, aussi indirecte qu’elle soit pour l’instant, a recommencé son ascension. Cuisinée aux petits oignons par Hassan Nasrallah lui-même.
Cela a commencé par le catapultage à la magistrature suprême de Michel Aoun – le seul qui a voulu et réussi à donner au parti chiite une dimension nationale – après que son meilleur ennemi, Samir Geagea, eut décidé de miser sur lui. Un Michel Aoun qui a férocement rayé de sa mémoire les années 1989-1990 et qui affiche désormais sinon une troublante sympathie, du moins une neutralité fortement bienveillante, à l’égard du fils de Hafez el-Assad. Et puis, l’ambiance s’est doucement, mais sûrement, installée. Les utilisateurs des réseaux sociaux ont commencé à être inquiétés et / ou arrêtés, les un(e)s après les autres. Les activistes et les journalistes, aussi : Fidaa Itani, Ahmad Ayoubi, Marcel Ghanem, Jessica Azar… Les hommes politiques inquiétés et / ou poursuivis : Farès Souhaid, Samy Gemayel… Cela reste certes incomparable avec les années de plomb de l’occupation syrienne, et surtout le mandat d’Émile Lahoud, mais quelque chose est en train d’être semé, de germer, de se répandre. Comme une plaie. Un virus…
Cela continue, et s’amplifie, avec la campagne électorale. Il est extrêmement important pour Téhéran, donc pour le Hezbollah, que le futur Parlement libanais de mai prochain soit aussi prosyrien, sinon plus, que le sortant. Vendredi, le Hezb a ainsi annoncé en grande pompe la liste de ses candidats à Baalbeck-Hermel, avec le retour du très prosyrien Albert Mansour, et l’arrivée intempestive de l’ex-bras droit (à moins que ce n’ait été le gauche : il partageait ce titre de gloire de bourreau ex æquo avec l’ex-procureur général et ex-ministre de la Justice Adnane Addoum…) de MM. Kanaan et Ghazalé : l’éminemment lahoudien (Émile, pas Nassib…) général à la retraite Jamil Sayyed en personne.
Drôle de personnage que ce M. Sayyed. Voilà un homme en fin de soixantaine qui est parti de rien, qu’on dit redoutablement intelligent, qui a multiplié dans sa jeunesse les stages en Europe et aux États-Unis, et qui a fini par connaître l’appareil sécuritaire libanais aussi bien que sa Békaa natale : comme sa poche. Voilà un homme qui a une opinion himalayenne de lui-même (c’est son droit le plus strict…), une mémoire (et une rancune) éléphantesques, qui est convaincu que les libertés, en général, sont un concept cancérogène et mortifère contre lequel il faut constamment et sauvagement lutter, et qui hait, plus que tout, les journalistes (de là-haut, Gebran Tuéni et Samir Kassir s’en souviennent parfaitement). Et ne le voilà-t-il pas, ce bon monsieur Sayyed, qui entame sa campagne électorale par ce qu’il sait faire de mieux : intimider et menacer, juste parce qu’il a été critiqué (réalité, pourtant, qui entre absolument dans le job description de n’importe quel homme public dans le monde). Sauf que M. Sayyed a décidé d’introduire un raffinement inédit : il s’en est pris à la journaliste qui a retweeté la critique d’une autre journaliste, pas à cette dernière, c’est-à-dire l’auteure du tweet… Sacré bonhomme, tout de même…
La réalité est alarmante. Parce que le problème, c’est que l’ancien hyperpatron de la Sûreté générale risque de ne faire que cela lorsqu’il sera élu député : fouler aux pieds, Torquemada 2.0, toutes les libertés publiques, oublieux (décidément, c’est une épidémie…) qu’il a été emprisonné quatre ans « arbitrairement », et qu’au lieu de se battre désormais contre tous les arbitraires, il y replonge avec rage. Le problème, c’est que des Jamil Sayyed, il y en aura beaucoup (trop) dans la prochaine législature, tous persuadés d’être invincibles et convaincus de la légitimité de leur arrogance, juste parce qu’ils sont protégés par Hassan Nasrallah. Le problème, c’est cette détermination du Hezb et de ses alliés à ressusciter, pour l’instant par touches impressionnistes, tous les sinistres stigmates de l’ancienne occupation syrienne – dorénavant chapeautée et télécommandée par l’Iran. C’est exactement comme si une partie quelconque essayait de déterrer et d’imposer en l’état l’accord du 17 mai 1983 entre le Liban et l’État hébreu.
Hayda Lebnén ? Hek nehna? Hayda jawna ? Il y a cet axiome qu’aucun Libanais, jamais, ne devrait remettre en cause : la Syrie et Israël ont autant l’un que l’autre assassiné les Libanais, détruit le Liban, dénaturé ses valeurs et spolié ses ressources. Et cet axiome, personne ne le connaît mieux, pourtant, que Michel Aoun…
Hayda Lebnén ? Hayda jawna ?
OLJ / Par Ziyad MAKHOUL, le 26 février 2018 à 00h00
commentaires (12)
Vous avez visé plein dans le mile! Mais le Liban n'est pas fini tant qu'il y a encore un seul patriote qui respire contre les vassaux iraniens, syriens ou autres imbéciles qui n'ont pas encore compris que le Liban ne se soumet pas! Les temps changent, et comme autrefois lorsque le monde entier était contre nous, un Bachir Gemayel et quelques courageux jeunes hommes et femmes se sont soulevés pour faire bouger les choses et ils l'ont fait, aujourd'hui encore il y a de valeureux "Sages" et leurs amis prêt a l'ultime sacrifice pour remettre le pays a flots et le sauver des loups...
Pierre Hadjigeorgiou
16 h 53, le 27 février 2018