Rechercher
Rechercher

Liban - Reportage

« Si une guerre survenait aujourd’hui, où irions-nous cette fois, nous les chiites du Liban-Sud ? »

« Les Israéliens n’embêteront personne, si nous ne les embêtons pas... » : partagés entre la peur d’un conflit et la fierté du « pouvoir de dissuasion » du Hezbollah, les habitants des villages frontaliers du Liban-Sud souffrent d’une sévère crise économique et réclament l’attention de l’État. 

À Aïtaroun, des agriculteurs préparent leurs plants. Photo Mohammad Yassin

En ce jour de la Saint-Valentin, même au Liban-Sud, dans le secteur de la porte de Fatmé, à quelques mètres du village israélien de Mtollé, on célèbre la fête des amoureux. Pour la circonstance, la fleuriste de Kfar Kila s’est mise en quatre pour décorer sa boutique, juste en face du mur orné de tags, construit par Israël en 2012, qui sépare les deux localités ennemies. Ours en peluche, ballons, cœurs, arrangements de roses rouges à profusion, tout est fin prêt. Mais le client est encore rare. Le calme règne en cette matinée douce d’hiver, où le printemps s’annonce déjà. Il faut dire qu’en cette journée de commémoration de l’assassinat de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri, les institutions publiques et écoles sont fermées. Seul le secteur privé fonctionne, cahin-caha, vu la crise économique qui fait rage, depuis quelques bonnes années. Une situation qui a poussé de nombreux habitants à s’installer en ville au fil des guerres successives, où ils ont trouvé un emploi.  


(Lire aussi : Nasrallah reconnaît le rôle prééminent de l’État dans la défense des droits)


« Pour qu’Israël disparaisse »

De Kfar Kila jusqu’à Marouahine, le long de la ligne bleue, même calme ambiant. Aucune patrouille de l’armée israélienne à l’horizon, ni de l’armée libanaise. En revanche, quelques points d’observation, permanences ou patrouilles de la Finul, quelques barrages aussi de l’armée libanaise rappellent que cette zone est d’une grande sensibilité. Mais, pour les habitants de la région, qu’ils soient chiites, sunnites ou chrétiens, sympathisants ou non du Hezbollah qui règne en maître sur la région, proches ou non des communistes bien implantés dans certaines localités, les problèmes économiques sont au cœur de leurs soucis. Des problèmes tels que le chômage, l’absence de politique sociale et agricole de l’État, le coût de la vie… L’histoire de l’avion israélien abattu il y a quelques jours ? Ils l’ont suivie à la télévision. Mais elle ne les empêche pas de vivre normalement, de vaquer à leurs occupations quotidiennes. De même, elle n’a pas empêché les citadins d’adoption de redonner vie à la région, le week-end dernier, pour y retrouver leurs familles. Et puis les menaces israéliennes, ils en ont l’habitude, même s’ils ne les voient pas d’un bon œil. À quelques exceptions près, la guerre, ils n’en veulent pas, car le Sud s’est reconstruit. Ils ne veulent pas non plus de ce nouveau mur que leur voisin hébreu érige, le long de la frontière. Car il risque d’empiéter sur le territoire libanais en quelques points, estiment-ils, et constituerait alors une violation des droits du pays du Cèdre.

 « Rien ne nous fait peur. C’est de la pure intimidation. Nous en avons l’habitude et avons vécu pire », lance la fleuriste, évoquant les menaces de guerre israéliennes. Ce qui lui fait peur, par contre, c’est l’« effondrement économique » qui plombe les affaires et s’éternise.

C’est à Adayssé que sont tombés des débris de l’avion israélien, abattu samedi dernier. Depuis un balcon spécialement aménagé sur la route principale, avec vue plongeante sur la Haute Galilée, ses champs agricoles et ses villages, six éléments du contingent indonésien de la Finul accomplissent leur mission d’observation et de surveillance, sous les lettres « I love Odaysseh ». Un jeune couple de promeneurs s’installe sur un banc, avec son thermos de café. La femme est revêtue du traditionnel tchador qu’arborent les partisanes du Hezbollah. « C’est la meilleure vue pour prendre le café », lance son compagnon, en jeans et sweatshirt. La peur d’une guerre, les deux jeunes gens, qui se disent « citoyens arabes et libanais », affirment ne pas la ressentir. « En présence de l’armée et de la résistance, nous ne craignons rien », disent-ils. Mais l’homme reprend rapidement : « Je souhaite que quelque chose se passe, afin qu’Israël disparaisse. » « Vivre dans la dignité mérite bien quelques sacrifices », renchérit fièrement sa compagne, qualifiant de « honteux » le comportement « des régimes arabes qui ont abandonné le peuple palestinien ».


(Lire aussi : Le Hezbollah derrière l’État : véritable changement ou nuance verbale ? le décryptage de Scarlett Haddad)


La peur au ventre

Tout autre est le discours d’habitants de la localité qui refusent de revivre ce qu’ils ont subi en juillet 2006. « À l’époque, nous avons eu tellement peur que nous nous sommes réfugiés à Qleyaa (village chrétien de Marjeyoun). Si une guerre survenait aujourd’hui, où irions-nous cette fois, nous les chiites? » demande ce chef de famille à la retraite, qui avoue avoir presque épuisé sa retraite d’enseignant. « Nous espérons ne jamais revivre une telle guerre », insiste son épouse, aussitôt rejointe par une voisine. S’ils reconnaissent que le moral des partisans du Hezbollah est au zénith, ils se disent « en faveur de la paix ». « Le peuple a peur, avouent-ils. Fort heureusement, la présence de l’armée libanaise est rassurante. » Mais cela ne suffit point, pour cette famille de condition modeste, qui invite l’État à se pencher sur le sort des habitants du Sud. « Qu’il construise donc des réservoirs d’eau pour les agriculteurs, qu’il fournisse le courant électrique car nous n’en pouvons plus de payer les factures des générateurs, qu’il équipe les dispensaires en médicaments, qu’il assure des emplois à nos jeunes ! » réclame l’homme, intarissable.

Quelques kilomètres plus au Sud, à Houla, des commerçants tuent le temps en conversant sur le trottoir. « Comme vous le voyez, les clients ne se bousculent pas », déplore une jeune commerçante, comptable de formation, qui qualifie l’année écoulée de « pire, sur le plan économique ». « Mais, poursuit son voisin, Mohammad Yaacoub, ancien membre de la municipalité. Nous dormons dans nos maisons et ne craignons rien. Tout est normal. » Il explique fièrement que, désormais, « il existe un moyen de dissuasion » (NDLR : contre Israël). Quant à l’épisode de l’avion israélien, ils en ont eu vent certes. « Nous ne nous sommes pas sentis concernés, il s’est déroulé en Syrie et pas chez nous », souligne Hasna Ayoub, propriétaire d’une librairie et boutique de jouets.

Dans un champ agricole de Aïtaroun, Hassan Farès, son épouse, son fils de 17 ans et quelques ouvriers préparent des plants. Ici, on plante le tabac, le blé, et les arbres fruitiers, oliviers, pommiers, amandiers... L’homme n’est pas propriétaire. Il cultive les terres d’autrui, souvent jusqu’à la frontière, à la limite des champs de mine. Mais il craint fort que la récolte ne parte en fumée en cas de guerre. « En juillet 2006, nous avons tout perdu. Nous avons aujourd’hui besoin de stabilité et non de guerre », souligne-t-il, déplorant l’absence totale de l’État, en matière de politique agricole et d’indemnisation des agriculteurs. « Je sais bien que je n’ai pas le choix, mais je ne veux pas d’une guerre, martèle-t-il. Je veux juste assurer l’avenir de mes enfants. »

Maroun el-Rass surplombe les plaines agricoles israéliennes, dessinées avec soin, harmonieusement bordées d’arbres. Quatre sexagénaires rentrent chez eux, à pied, après la prière de midi. « Peur ? Mais de quelle peur parlez-vous ? Nous en avons fini des menaces (israéliennes, NDLR) depuis 2006 », lance l’un d’eux, en riant. La réplique de son camarade fuse : « Nous ne les agressons pas plus qu’ils ne nous agressent. Chacun chez soi. Mais s’ils s’en prennent à nous, ils verront à qui ils ont affaire », affirme-t-il, dans une mise en garde.


(Lire aussi : Plus de 75 % de la frontière entre le Liban et Israël est déjà marquée)


Deux points litigieux à Rmeich

À Rmeich, même si les propos sont moins agressifs à l’égard du voisin israélien, la localité chrétienne rejette catégoriquement la construction du mur le long de la ligne bleue. « Ce mur traverse en deux points des terres appartenant à Rmeich », soutient le président de la municipalité, Fady Makhoul. « Nous sommes certains que le Conseil de sécurité de l’ONU ne laissera pas faire Israël », assure-t-il, confiant. En dépit du litige, la stabilité règne au village. Mais il est hors de question de prendre en photo les positions israéliennes qui dominent les terres libanaises, le no man’s land et même les champs agricoles locaux proches de la frontière. La Finul ghanéenne veille. « No photos, no comment », dit un soldat, avec fermeté. La position semble particulièrement sensible. « Les habitants, eux, n’ont pas peur. Ils se tiennent prêts, en cas de guerre, et font des réserves, assure toutefois M. Makhoul. Même si cette guerre, ils ne la veulent pas. » Il faut rappeler que, durant la guerre de 2006, « la petite localité de 10 000 âmes, qui demeure très attachée à l’État, a hébergé les déplacés des villages voisins et continue d’exercer d’excellentes relations avec eux », raconte un commerçant, Khalil Hage, retraité des forces de l’ordre.

Dernière étape du périple, Marouahine, un village sunnite quasi désert. Il ne reste plus que les personnes âgées et quelques familles, tous propriétaires, raconte une vieille dame, Khadigé Ghannam. Une grande partie des habitants ont déserté le village après l’offensive israélienne, en 2006, et n’y sont plus retournés. « Nous avons eu 33 morts en 2006, rappelle cette agricultrice qui plante le tabac, jusqu’aux limites des champs de mines. Sans compter que le village n’a même pas d’école. » Alors, les menaces israéliennes, la villageoise les balaie de la main. « Les Israéliens n’embêteront personne, si nous ne les embêtons pas... », conclut-elle avec philosophie.


Lire aussi

Frontières maritimes libano-israéliennes : Satterfield poursuit sa médiation, le Liban reste ferme    

Face au secrétaire d’État, le Liban campe sur ses positions de principe, le décryptage de Scarlett Haddad

Mur à la frontière et hydrocarbures offshore : le Liban prêt à "contrer l'agression israélienne"

En ce jour de la Saint-Valentin, même au Liban-Sud, dans le secteur de la porte de Fatmé, à quelques mètres du village israélien de Mtollé, on célèbre la fête des amoureux. Pour la circonstance, la fleuriste de Kfar Kila s’est mise en quatre pour décorer sa boutique, juste en face du mur orné de tags, construit par Israël en 2012, qui sépare les deux localités ennemies. Ours en...

commentaires (11)

EN IRAN... BABA... EN IRAN !

LA LIBRE EXPRESSION

19 h 13, le 18 février 2018

Tous les commentaires

Commentaires (11)

  • EN IRAN... BABA... EN IRAN !

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 13, le 18 février 2018

  • …""Mais, pour les habitants de la région, qu’ils soient chiites, sunnites ou chrétiens, sympathisants ou non du Hezbollah qui règne en maître sur la région, proches ou non des communistes bien implantés dans certaines localités, les problèmes économiques sont au cœur de leurs soucis."" Le Hezb règne en maître, et les communistes bien implantés dans certaines localités ! C’est en quelque sorte un ""vivre-ensemble"" qui ne dit pas son nom ! Ils cohabitent plutôt par le lien des soucis économiques que par la lutte armée…

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    10 h 57, le 18 février 2018

  • "les habitants [...] réclament l’attention de l’État". Faut préciser de quel État on parle ...

    Khalil S.

    09 h 03, le 18 février 2018

  • De grâce, cessez de promettre à ces pauvres habitants du Sud-Liban des rêves impossibles à réaliser. Si guerre il y aura, une grande partie du Liban sera détruite, y-compris la fameuse "résistance" ! Et pourquoi ? Parce que une certaine grenouille a voulu se gonfler...gonfler... Irène Saïd

    Irene Said

    17 h 34, le 17 février 2018

  • si le liban sera attaquer se ne sera pas seulement le sud ... les israéliens ont prevenue que se sera le liban entier qui sera sa cible .. avec la resistance et sans la resistance .. quand on pavoise soit on en a les moyens de le faire soit on se calme

    Bery tus

    16 h 17, le 17 février 2018

  • Mais la réponse est très simple. Si il doit arriver que la guerre se fera un jour soyez certains chers sudistes que le territoire au sud du sud sera libéré des usurpateurs et que donc vous allez aller l'habiter.

    FRIK-A-FRAK

    15 h 57, le 17 février 2018

  • Les Libanais en ont marre des guerres des autres sur leur territoire. Si l'Iran veut faire la guerre avec Israél, qu'il la fasse à partir de son territoire. Si la Syrie ou ce qui en reste, veut faire la guerre avec l'Etat hébreu qu'elle la fasse dans son Golan occupé depuis 1967. Le Liban n'a pas vocation à faire des guerres à qui ce soit. Point à la ligne.

    Un Libanais

    13 h 34, le 17 février 2018

  • Ces habitants du Sud-Liban se plaignent de "...l'effondrement économique de cette région..." Merci qui ? Merci le Hezbollah qui règne en maître sur la région, mais s'enfout royalement de ses habitants et de leur vie difficile ! Lui, il est trop occupé à résister et à guerroyer pour d'autres causes non-libanaises ! Irène Saïd

    Irene Said

    11 h 09, le 17 février 2018

  • Que ne demandent t-ils à leur seigneur et maitre HN d'arrêter d'entraver et de menacer la vie sécuritaire, économique et politique du Liban, qui pourrait alors se démarquer de ce PO sénile, débile et régressif pour se hisser au rang des nations.

    Christine KHALIL

    11 h 00, le 17 février 2018

  • QUELLE QUESTION... MAIS EN IRAN !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 20, le 17 février 2018

  • qu'ils arretent de pleurer sur leur sort 1- c'est hassan nasralla qui les a mis dans cette position 2- c'est les Maronites du Liban qui ont le plus souffert...ils ont ete extermine comme des rats par les ottomans...et personne n'a leve le petit doigt pour les aider...ne l'oublions pas

    George Khoury

    07 h 41, le 17 février 2018

Retour en haut