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Nos Lecteurs ont la Parole - par Rabih NASSAR

Le gouvernement de la méduse

Voilà un moment que j’essaye de commencer mon texte : je pense à un titre sympa pour mon texte sympa qui peut-être – ou pas – inquiétera ma mère, qui a gardé des réflexes de guerre, me fera encore une fois insulter par mon père, qui déteste mes élucubrations d’imbécile.
C’est que voilà ; il paraît qu’on a déclaré la guerre à l’Arabie.
Et depuis, comme un enfant battu qui ne saurait quoi faire en entendant son ivrogne de père rater la serrure en rentrant à la maison, on se la boucle. Vite, cacher la petite sœur, sortir le whisky, et souhaiter que l’ivrogne l’emporte sur le boxeur, que l’évanouissement vienne plus vite que les claques. On a vite sorti nos blagues, on a vite créé nos petites annonces à la « perdu Premier ministre – si retrouvé prière déposer costa brava ». Et j’en passe.
On a tous entendu les déclarations incendiaires du ministre des Affaires du Golfe. Un peu éberlués, en comprenant finalement qu’il cherche la bagarre. Comme à la récré, où le petit hargneux court après tout le monde en leur criant comment « mon papa est le plus fort ». Et comme c’est vrai qu’il est le plus fort, alors on se la ferme. Parce que, dans notre cas, s’il s’énerve, ce n’est pas loin de 400 000 familles qui se retrouvent sans emploi. On prend les coups, on encaisse. Finalement, ce ne sont que des mots. On a connu bien pire. Les chiens aboient, la caravane passe. Ce n’est que l’honneur qui en prend. Il en a tellement pris de toute façon. Le Liban a déclaré la guerre à l’Arabie. La blague. Le Liban qui finalement n’arrive même plus à épeler le mot guerre avant qu’elle ne lui tombe dessus.
Et, depuis, on assiste au long métrage. Le montage de ce qu’on veut bien nous montrer. Saad vous sera rendu jeudi. Même qu’il n’est même pas prisonnier d’abord. Il rentrera jeudi. Juste après que chiites et sunnites aient fini de s’entrégorger, façon halal. Sauf que, jeudi est passé, et qu’on est passé à côté de la boucherie. Alors place au plan b. Faire appel aux ressortissants saoudiens et leur demander de vite vite lâcher la shisha, de faire des adieux au bordel ambulant et de rentrer chez cette quatrième femme qui a récemment gagné le droit de conduire. Nous, entre-temps, on se la boucle, on espère juste que ce plan b n’amènera pas la rue sunnite à se soulever contre la rue chiite. Ces rues qui commençaient pourtant à se couvrir d’asphalte, comme à chaque saison électorale. On avale de travers pour laisser la couleuvre passer quand un inconscient barbichu nous demande pourquoi on a balancé un missile sur Riyad. Et, de peur de se faire déporter, on blâme l’Iran sans ciller. Ce qui plaira à Votre Majesté, mais, par pitié, ma carte de séjour doit être renouvelée.
Et voilà pourquoi ma page reste blanche. La fureur de l’impuissance me démange. Et quelque part, un peu d’envie. Comment ? Un grand garçon de 32 ans réussit en une semaine à faire le ménage dans un pays qu’on croyait sclérosé et condamné à l’extrémisme religieux et analphabète ? Et qu’en plus cela se fasse à nos dépens ? Nous, pourtant fiers habitants du Levant, du pays du Cèdre, inventeurs de l’alphabet et du houmous ? !
Obligés de regarder à la télé notre Premier ministre imberbe faire le beau et tendre la patte, on ne peut que rêver du jour où un grand garçon bien de chez nous viendra donner des coups de balai magiques.
Et puis d’un coup ça m’a frappé. L’image d’un peuple médusé, naufragé, sur un radeau de fortune qui ne tient que par cette affreuse résilience développée au contact de la guerre, aux blessures trop profondes et au prix qu’on ne finit pas de payer. C’est que, la guerre, c’est moche. On ne le sait que trop bien. Et on voit autour de nous beaucoup trop de gamins qui insistent à jouer au soldat, dans le jardin des autres. Le nôtre. Alors on se la boucle, cette valise. C’est encore loin l’Amérique ?
Qu’il est amer ce radeau.


Voilà un moment que j’essaye de commencer mon texte : je pense à un titre sympa pour mon texte sympa qui peut-être – ou pas – inquiétera ma mère, qui a gardé des réflexes de guerre, me fera encore une fois insulter par mon père, qui déteste mes élucubrations d’imbécile.C’est que voilà ; il paraît qu’on a déclaré la guerre à l’Arabie.Et depuis, comme un enfant...

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