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Moyen Orient et Monde - Entretien

« Face à l’hégémonie flagrante de l’Iran, les Émirats arabes unis ne peuvent plus rester passifs »

L’ambassadeur émirati à Beyrouth, Hamad Saïd al-Shamsi, explicite les tenants et aboutissants de la politique étrangère de son pays, engagé activement dans la lutte contre le radicalisme musulman et dans l’aide humanitaire.

Des militaires émiratis lors de la cérémonie d’ouverture de l’International Defence Exhibition and Conference (IDEX) à Abou Dhabi. Ben Job/Reuters

Les Émirats arabes unis (EAU) célèbrent en 2018 l’Année Zayed, en mémoire du fondateur du pays, qui aurait eu 100 ans cette année.
Ce jeune État est né il y a 46 ans de l’union de sept émirats sous l’impulsion de cheikh Zayed ben Sultan al-Nahyane. La confédération est actuellement l’un des pays les plus stables de toute la région du Moyen-Orient. Presque un miracle. Guerres, conflits, terrorisme, révoltes, tensions communautaires, instabilité politique : rien ne semble affecter ce petit pays de 9 millions d’habitants, dont la majorité sont des expatriés (seulement un million de nationaux).

À sa mort en 2004, le charismatique cheikh Zayed laisse un pays en plein essor, mais relativement discret sur la scène régionale et internationale. Avec ses dons de médiateur, il a été surnommé « le sage » du monde arabe. De son vivant, les Émirats ont été le fer de lance d’une politique modérée qui privilégiait les négociations dans les conflits, notamment arabes. Il a joué ainsi un rôle prépondérant pour réconcilier les factions palestiniennes. Tout en appuyant fermement les revendications des Palestiniens, il a prôné une solution du conflit israélo-arabe fondée sur les résolutions de l’ONU. Cheikh Zayed s’est d’ailleurs écarté des appels belliqueux de certains dirigeants arabes pour la destruction d’Israël. Il a en outre constamment plaidé pour la levée des sanctions contre l’Irak, après la deuxième guerre du Golfe, pour épargner la population civile. Il a par ailleurs activement œuvré pour l’unité des Arabes, au sein du Conseil de coopération du Golfe ou de la Ligue arabe. Aujourd’hui, la diplomatie des Émirats évolue peu à peu, suite à la politique initiée par le prince héritier Mohammad ben Zayed, connu sous le patronyme de MBZ, et qui est désormais l’homme fort de la fédération. Cette politique étrangère est de plus en plus active, et elle est fondée principalement sur deux axes majeurs : soutenir les pays amis et alliés contre l’expansion iranienne, et le combat contre l’islamisme et le terrorisme.

Toutefois, cette politique fait grincer des dents, mal comprise par certains ou jugée déplaisante par d’autres. Les critiques contre les Émirats se font entendre : intervention militaire au Yémen ; construction de bases militaires en Afrique (Érythrée et Somaliland) ; participation à la coalition anti-EI dirigée par les États-Unis ; ingérence dans les affaires intérieures de certains pays pour combattre l’influence des Frères musulmans (Égypte, Tunisie, Libye) ; politique agressive contre le Qatar et l’Iran ; subordination aux États-Unis et complaisance envers Israël… Et la liste s’allonge. En 2014, le secrétaire américain à la Défense avait même appelé les Émirats « la petite Sparte ».

« Les Émirats ont parcouru un long chemin vers la stabilité et la prospérité en très peu de temps. Il faut se rappeler que les EAU n’ont que 46 ans. Et la réussite (politique, économique, culturelle) accomplie durant cette période relativement courte doit être consolidée et défendue, surtout que le succès attire souvent des jaloux et des ennemis », se défend l’ambassadeur des EAU au Liban, Hamad Saïd al-Shamsi, interrogé par L’Orient-Le Jour. Selon lui, les Émirats ont « l’obligation de protéger leur stabilité et leur développement », surtout que le pays se trouve « dans une région ou les menaces et les dangers viennent de partout. Nous ne pouvons pas attendre que le feu se déclare chez nous pour réagir. Alors que nous avons été touchés auparavant par les activités des Frères musulmans, soutenus par un pays voisin. De telles agressions ne doivent plus se répéter », déclare l’ambassadeur. « Tous les pays développés tissent un réseau capable de défendre leurs intérêts en cas d’agression. Et les bases militaires (susmentionnées) ont été construites en commun accord avec les pays hôtes. » Rappelons d’ailleurs que la France possède une importante base militaire aux Émirats, construite en 2009. « Il s’agit d’une activité fréquente entre les pays dans un contexte de coopération fondée sur des intérêts communs, à condition qu’elle n’interfère pas dans les affaires intérieures des pays en question », précise-t-il.
Le diplomate revient en outre sur la relation avec les États-Unis qui « est une relation stratégique fondée sur la confiance et les intérêts communs, quel que soit le président, ou le parti au pouvoir ». 

Et concernant les rapports avec Israël, l’ambassadeur prône la « clarté », assurant qu’« il n’y a pas de relations officielles qui nous lient avec l’État hébreu. S’il arrive qu’il y ait des contacts publics dans le cadre des Nations unies ou d’une coopération internationale par-ci ou par-là, cela n’a jamais été à titre officiel ».

Iran
Les relations avec les voisins des Émirats ont toujours été complexes. L’idée principale de cheikh Zayed pour unir les sept émirats était, à cette époque, l’union contre des voisins puissants et avides. Alors qu’aujourd’hui les relations avec l’Arabie saoudite sont excellentes, les Émirats, à l’instar des autres monarchies sunnites du Golfe, suivent de près la politique hégémonique de l’Iran, dans un climat de méfiance, mais aussi les activités déstabilisatrices du Qatar.

« En raison des activités hégémoniques de l’Iran, la confiance est brisée entre les deux parties », tranche l’ambassadeur al-Shamsi. La priorité de la politique régionale des Émirats est donc de stopper l’intervention iranienne dans les monarchies du Golfe et les pays arabes. « Téhéran, et de la bouche même de ses dirigeants, se targue de pouvoir contrôler plusieurs capitales arabes. Et cela est inacceptable. L’hégémonie de l’Iran ou son intervention en Irak, en Syrie, au Yémen, à Bahreïn et au Liban est aujourd’hui flagrante. On ne peut plus rester passif et ne rien faire », martèle l’ambassadeur. « Il est impossible d’avoir des relations normales avec l’Iran tant que ce pays occupe illégalement les trois îles des Émirats – Abou Moussa, Grande Tombe, Petite Tombe », s’insurge-t-il également.

Yémen
Les ramifications du conflit avec l’Iran se sont multipliées pour atteindre le Yémen, donnant aux monarchies arabes le sentiment d’être encerclées.
« Quand les Houthis, soutenus par les Iraniens, ont envahi une grande partie du Yémen et mis la main sur ses institutions politiques, la situation est devenue critique. Cette hégémonie constitue une menace directe sur la sécurité des pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, qui a une frontière commune avec ce pays, surtout que le plan hégémonique de l’Iran (à travers les Houthis) est sorti de l’ombre », explique le diplomate émirati. Et d’ajouter : « Notre intervention dans ce pays a d’abord été politique. Et en l’absence d’avancées, une intervention militaire a été mise au point avec deux objectifs : réinstaller le gouvernement et le président légitimes, et apporter l’espoir à une population meurtrie par la guerre, à travers des projets humanitaires et de développement sanitaire et éducatif. » Un objectif mené avec rigueur par les EAU qui ont multiplié leur aide dans tous les domaines aux Yéménites. Et l’ambassadeur al-Shamsi de préciser que son pays et ses alliés n’ont ainsi aucune revendication territoriale ou autre concernant le Yémen.

Islamisme et terrorisme
L’autre pilier de la politique étrangère des EAU est leur aversion à l’islam radical sous toutes ses formes, violentes et politiques. « Notre but final est de couper court aux causes qui peuvent engendrer le radicalisme et le terrorisme, à savoir : la pauvreté, l’analphabétisme et l’ignorance. Cette politique du gouvernement est suivie aussi bien au niveau national que sur le plan extérieur », explique le diplomate. De ce fait, les Émirats sont activement intervenus au sein de la coalition anti-État islamique conduite par Washington en 2014. Leurs F-16 ont ainsi mené près de 20 % des frappes aériennes en Syrie contre les positions des jihadistes, avant d’être suspendus mi-2015 avec le début de l’opération « Tempête décisive » au Yémen.

Connus pour arborer un islam modéré, les Émiratis combattent activement l’islam radical, et notamment les groupes terroristes comme el-Qaëda et l’EI. Toutefois, leur cible principale reste les Frères musulmans. Au début tolérés, les Ikhwan n’ont été considérés comme une menace pour la stabilité des EAU qu’à partir des années 2000. Ils sont aujourd’hui rejetés au niveau national. Ainsi, en 2013, plusieurs dizaines de responsables et sympathisants des Frères musulmans avaient été reconnus coupables de sédition et condamnés à de lourdes peines de prison. « Des procès équitables ont été organisés, plaide l’ambassadeur, alors que certains ont été plus tard amnistiés par le président, ou libérés pour des raisons de santé. » Les Émirats considèrent néanmoins les Ikhwan comme une organisation terroriste, à cause de leurs idées subversives et radicales.

Qatar
La guerre sans merci que mènent les Émirats contre ces Frères musulmans a généré par ailleurs des tensions avec le Qatar voisin, qui les soutient activement (ainsi que d’autres mouvements islamistes), tout en jouant un « double jeu » avec l’Iran d’autre part. Pour les Émirats, Doha abrite aujourd’hui des dirigeants des Frères musulmans, du Hamas, des talibans afghans, sans oublier les liens avec el-Qaëda et al-Nosra. Le problème du Qatar traîne depuis près de 18 ans. Il ne s’agit pas d’un conflit ponctuel. Pour résoudre ce problème, l’ambassadeur appelle à l’application des 13 conditions posées par l’Arabie saoudite, l’Égypte, Bahreïn et les Émirats. « Il convient de restaurer la confiance avec le régime de Doha. Nous avons des preuves accablantes concernant les politiques préjudiciables du Qatar visant les pays arabes », affirme l’ambassadeur. « Est-il normal de savoir qu’un pays voisin frère tente de déstabiliser notre pays, ses institutions et sa sécurité, et de rester les bras croisés ? Est-il normal pour ce pays de soutenir des activités terroristes chez nous ? Nous ne le permettrons pas. La stabilité et la sécurité des Émirats sont une ligne rouge à ne pas franchir, quel que soit le pays. Nous réagirons avec fermeté quand un tiers utilise les Émirats comme arène pour propager des idées subversives. »

Les Émirats assurent en outre rester attachés au principe de bon voisinage, à la non-ingérence dans les affaires des autres pays et à l’application du droit international. « Notre politique a été, est et sera toujours une politique de modération et d’ouverture sur le monde », insiste Hamad al-Shamsi. « Nous sommes engagés dans la promotion et la protection des droits de l’homme, non seulement sur leur sol, mais aussi au niveau international, puisque les principes de notre politique étrangère sont fondés sur la justice et l’équité. Dans ce contexte, les Émirats veulent faire la différence au niveau international en soutenant activement l’application de la Charte universelle des droits de l’homme. » Charité bien ordonnée commençant par soi-même, la Constitution des Émirats protège « clairement », selon le diplomate, les libertés civiles, de pensée et d’expression, ainsi que les droits de réunion pacifique. Pour promouvoir ces principes, les autorités investissent énormément dans l’éducation, la santé et le développement durable, chez eux et dans d’autres pays aussi.

Humanitaire
En effet, les Émirats suivent une diplomatie humanitaire active et importante. Les EAU ont été classés par les Nations unies comme le plus important donateur par rapport à leur revenu par habitant en 2013, en 2014 et 2016. En 2017, ils ont été classés par l’OCDE comme le pays le plus généreux au monde.
« L’année dernière (2017), les autorités ont institué l’Année du don, une façon pour inculquer aux gens l’importance de donner quand on a les moyens. Dans la continuité de leur politique, les autorités ont donc consacré 2018 Année du cheikh Zayed, et ce pour inciter les gens à suivre ses préceptes fondés sur la tolérance, la diversité et la modération pour combattre le radicalisme et le terrorisme », explique fièrement l’ambassadeur.
C’est dans ce contexte que les Émirats se préparent avec enthousiasme pour l’Exposition universelle de 2020, une première pour un pays arabe et musulman qui organise cet événement mondial, « à travers laquelle nous allons éblouir le monde », promet, en conclusion, Hamad al-Shamsi.



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commentaires (3)

une question qui vaut des milliards - posee essentiellement aux gens de la moumanaa : est ce aussi du devoir des israeliens de combattre l'hegemonie iraniene ? je me le demande

Gaby SIOUFI

16 h 13, le 29 janvier 2018

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Commentaires (3)

  • une question qui vaut des milliards - posee essentiellement aux gens de la moumanaa : est ce aussi du devoir des israeliens de combattre l'hegemonie iraniene ? je me le demande

    Gaby SIOUFI

    16 h 13, le 29 janvier 2018

  • HILARIOUS ....

    FRIK-A-FRAK

    12 h 55, le 22 janvier 2018

  • ARRETER LES PROVOCATIONS ET L,HEGEMONIE IRANIENNES EST UN DEVOIR SACRE DE TOUS LES ARABES... DEVENU DE LOIN PLUS URGENT QUE LE PROBLEME DE PALESTINE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 51, le 22 janvier 2018

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