Rechercher
Rechercher

Culture - Entretien

Jean Nouvel : Je veux être passeur, un de ceux qui arrivent à pétrifier le rêve...

Affirmation de la création et de la créativité, Jean Nouvel vient de mettre son empreinte sur le Louvre Abou Dhabi, un joyau d'architecture qui embrase ciel, sable et eau, tout en se fondant en douceur, tel un sfumato, dans le paysage environnant. Un moment de répit, à travers les réponses à un questionnaire qui lui été soumis, pour mieux (re)découvrir un bâtisseur inspiré, couvert de prix et de gloire, qui n'a plus besoin d'être présenté.

Guiseppe Cacace/AFP

Quel est le déclic qui vous a jeté dans les bras de l'architecture ?
La ville de mon enfance, c'est Sarlat. Dans cette ville moyenâgeuse, les parquets en bois sont marquetés. J'y ai habité très longtemps, parcourant les ruelles étroites d'à peine trois mètres de large, je reprenais mon souffle appuyé contre un rempart. Tout cela a dû me sensibiliser à l'architecture. Et puis, surtout, il y avait parfois, au détour d'une ruelle, une sorte d'indication dans la pierre avec une flèche qui disait « là est le trésor ». Et lorsque je demandais : « Mais quel est ce trésor ? » on me répondait que c'était l'architecture. Cela m'a forcément marqué. Pour autant, je ne voulais pas être architecte, je voulais être plasticien, peintre ou sculpteur. Je ne le savais pas encore, mais c'était l'art qui m'intéressait. Le problème, c'était mes parents, tous les deux enseignants, et pour qui une vie d'artiste était trop risquée. Ils avaient peur que je ne gagne pas ma vie. J'ai donc été obligé de ruser, j'ai dit que je rentrais aux Beaux-Arts non pas en arts plastiques mais en architecture, convaincu que je pourrais changer de voie au cours des années suivantes. Je suis donc entré en architecture, et n'en suis jamais ressorti...

 

Quelle est pour vous la définition de l'architecture ?
L'architecture est, pour moi, mère de tous les arts... Pour moi, « contextualiste » dans l'âme, chaque projet appartient à sa propre situation. Il appartient à un lieu, une culture, un savoir-faire technique, une époque. L'architecture du Louvre Abou Dhabi serait un non-sens ailleurs, à Londres, à Paris, à Berlin, à New York... C'est évident. Cette appartenance situe l'architecture, qui doit en plus susciter le plaisir chez ceux qui la visitent, qui y travaillent ou qui y vivent.

 

Comment expliquez-vous le succès de votre carrière ?
J'ai eu la très grande chance de rencontrer Claude Parent et Paul Virilio. Travailler avec eux fut une aventure incroyable, non seulement parce qu'ils étaient deux figures majeures, brillantes, visionnaires, mais aussi parce que c'était une période tout à fait particulière. J'étais chez Parent en 1968. L'école des Beaux-Arts avait pris le parti de la rue... Il ne s'y passait plus rien lié à l'enseignement de l'architecture. Parent et Virilio m'ont passionné et m'ont ouvert les yeux au-delà de l'architecture... C'était une chance inouïe, puisque Claude Parent était probablement l'architecte le plus provoquant et le plus inventif en France, et Paul Virilio se révélait à la fois un stratège et un théoricien de l'évolution du monde, passionné par les techniques militaires, par la vitesse, fasciné par la sublimation du risque, l'apocalypse. J'ai donc eu un enseignement hors norme qui obligeait à regarder le monde des techniques, des arts, des images, des informations scientifiques avec la tentation permanente du détournement, de l'extrapolation des informations de ce monde transculturel. Très vite, je suis aussi allé sur les chantiers avec eux, très vite, nous avons échangé sur ce qu'était la ville idéale, la ville de ces deux utopistes théoriciens de la fonction oblique. Et puis, à 25 ans, Claude Parent m'a offert une chance incroyable : « Je vois bien que tu as envie d'autre chose, alors je vais t'aider. » Il m'a aidé en me donnant des missions ponctuelles. Pendant deux ans, j'ai pu travailler à la fois pour lui mais aussi, pour la première fois, également pour moi. Il a aussi soutenu ma candidature pour que je devienne l'architecte muséographe qui mettait en scène les plus grands artistes internationaux dans le cadre de la Biennale de Paris. Aujourd'hui, je me dis que j'aurais pu connaître des débuts plus difficiles...

 

Quel est le travail dont vous êtes le plus fier ? Et quels sont vos projets à court terme ?
Je dois vous avouer que je suis très mauvais à ce jeu des meilleurs projets, des plus importants, etc. Si je devais vous répondre, je vous donnerais le plus petit projet, le plus proche de ma culture et le plus éloigné. Quand on est, comme moi, un architecte « contextualiste », chaque projet est sujet à approfondissement, chaque projet est un témoignage d'époque. Ce sont tous ces paramètres-là qui m'intéressent, ce n'est jamais une question d'échelle, de prestige, de budget, c'est toujours une question de poésie. En 2018, nous allons livrer notamment la réhabilitation d'une architecture d'Eugène Beaudouin, magnifique architecture des années 50, dans la résidence étudiante Jean-Zay, à Antony, en région parisienne. Redonner vie à une architecture en voie de disparation fut pour moi très motivant. À Marseille, je fais une tour bleu-blanc-rouge, « La Marseillaise », avec le bleu de Marseille, celui du ciel, avec le rouge de Marseille, celui des briques et des tuiles, avec le blanc de l'horizon maritime et des nuages clairs. À Doha, je construis le musée national du Qatar, paradoxe de la modernité et de l'éternité d'un désert sans âge. Tout cela se traduit par une énorme rose des sables, couleur sable, qui requiert les techniques les plus avancées de l'époque pour parler d'une cristallisation millénaire.

 

Quelles sont vos sources d'inspiration ?
Je cherche à être fondamentalement « contextualiste », je refuse d'être un architecte de papier, je veux être un passeur, un de ceux qui arrivent à pétrifier le rêve. À partir de là, l'architecte doit faire son travail, il est là pour témoigner, pour donner du sens, pour pétrifier un moment de civilisation, de culture, pour se servir d'un savoir actualisé et pour aussi mettre en œuvre les dernières techniques inventées. On reproche souvent aux architectes d'être ambitieux, mais l'ambition est liée à la volonté d'un client, à la force d'un projet. Dans ce cas-là, il faut avoir le courage d'aller au bout d'une expression, d'une invention, oser créer des sensations, et assumer un bâtiment qui sera le témoin daté de notre histoire dans un lieu précis.

 

Devant quel monument avez-vous le souffle coupé ?
Un « contextualiste » est fasciné par les différences, par les découvertes, les lieux... Les architectures sont comme des personnes, leur caractère souvent attachant et inexplicable, toutes ces rencontres créent un monde. L'architecture est la meilleure preuve d'empathie vis-à-vis des composants de ce monde et L'Orient-Le Jour n'aurait pas assez de pages pour vous dire tous les lieux et toutes les rencontres qui m'ont fasciné. Mais je dois l'avouer, j'ai un attachement particulier pour la Méditerranée, pour ses villes historiques, ses « livres de pierres de soleil », ses musées parcourables et vivants, et évidemment j'ai des souvenirs personnels du Liban, une affection particulière pour son histoire millénaire et ses terribles blessures d'aujourd'hui.

Quels architectes vous ont marqué ou marqué vos projets ?
Toutes les époques, toutes les civilisations, toutes leurs traces sont pour moi un substrat permanent, une source d'inspiration dangereuse et tentatrice et je me refuse à les classer, à les préférer. C'est simplement un trésor inépuisable.

Que peut un architecte face à la barbarie ?
Témoigner de son époque, améliorer la vie des habitants des villes, croire en l'utopie, en être un des acteurs.

Si vous n'étiez pas architecte, que seriez-vous ?
Artiste, mais les architectes sont aussi des artistes, alors je serais ce que je suis.

Un lieu pour fuir le monde, pour vous ressourcer ?
Mes loisirs sont fractionnés, j'aime le soleil, j'aime l'eau, j'aime nager, j'aime l'ombre, j'aime la nourriture méditerranéenne, j'aime avoir mes livres de chevet. Ma maison à Saint-Paul-de-Vence est au-dessus d'un café ; d'un côté, j'y joue à la pétanque, de l'autre, je découvre une vue extraordinaire sur les montages depuis un jardin qui descend en terrasses, comme un jardin italien. C'est l'endroit où je travaille et où je m'amuse.

Avez-vous entrepris des projets au Liban ? Le souhaitez-vous ?
J'ai longtemps essayé, ce n'est plus une question d'actualité.

À quel genre d'architecture êtes-vous allergique ?
L'architecture clonée.

Votre devise dans la vie ?
La vie est un long fleuve tranquille.

 

Lire aussi

Hala Wardé, étoile du dôme Nouvel

Quel est le déclic qui vous a jeté dans les bras de l'architecture ?La ville de mon enfance, c'est Sarlat. Dans cette ville moyenâgeuse, les parquets en bois sont marquetés. J'y ai habité très longtemps, parcourant les ruelles étroites d'à peine trois mètres de large, je reprenais mon souffle appuyé contre un rempart. Tout cela a dû me sensibiliser à l'architecture. Et puis, surtout,...

commentaires (2)

PASSIONNANTES CES NOUVELLES DE NOUVEL.

Gebran Eid

07 h 16, le 03 janvier 2018

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • PASSIONNANTES CES NOUVELLES DE NOUVEL.

    Gebran Eid

    07 h 16, le 03 janvier 2018

  • Quand l'architecture devient poésie, rêve et féérie....

    Sarkis Serge Tateossian

    02 h 06, le 03 janvier 2018

Retour en haut