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Idées - Travail

La course contre les machines

Le robot barman "Carl" à Ilmenau (Allemagne) en juillet 2013.

Apaiser les craintes liées à l'avènement des robots est devenu une préoccupation majeure dans l'apologétique des entreprises. Le bon sens considère – de manière tout à fait légitime – que plus les emplois seront automatisés, moins les êtres humains auront de tâches à effectuer. C'est ce qu'illustre parfaitement la voiture autonome. Si les automobiles n'ont plus besoin d'un pilote, qu'arrivera-t-il aux chauffeurs, conducteurs de taxi et autres transporteurs ?

Selon la théorie économique, ces craintes n'ont pas lieu d'être. Équiper les travailleurs de machines augmente en effet leur production pour chaque heure de travail. Ils bénéficient alors d'un choix avantageux : travailler moins pour le même salaire qu'auparavant, ou travailler le même nombre d'heures et percevoir un salaire plus élevé. Par ailleurs, avec la diminution du prix des biens existants, les consommateurs ont davantage d'argent à dépenser pour les mêmes biens, ou pour des biens différents. Dans un cas comme dans l'autre, il n'y a aucune raison de craindre une perte nette d'emplois humains – ni quoi que ce soit d'autre qu'une amélioration perpétuelle du niveau de vie.
C'est confirmé par l'Histoire. Depuis environ 200 ans, la productivité augmente de façon régulière, notamment en Occident. Les populations occidentales ont fait le choix de bénéficier à la fois de plus de loisirs et de salaires plus élevés. Au sein des pays riches, le nombre d'heures de travail a diminué de moitié depuis 1870, tandis que le revenu par habitant a été multiplié par cinq.

 

Prévisions alarmistes
Combien d'emplois humains sont réellement « menacés » par les robots ? Selon un précieux rapport du McKinsey Global Institute (MGI) publiéé ce mois-ci, environ 50 % du temps consacré à des activités de travail humain dans l'économie mondiale pourrait aujourd'hui en théorie faire l'objet d'une automatisation, bien que les tendances actuelles évoquent un pourcentage maximum de 30 % d'ici 2030, en fonction de la vitesse d'adoption des nouvelles technologies. Les prévisions médianes du rapport sont les suivantes : 24 % en Allemagne, 26 % au Japon, 23 % aux États-Unis, 16 % en Chine, 9 % en Inde, et 13 % au Mexique. D'ici 2030, le MGI estime que 400 à 800 millions d'individus auront besoin de trouver de nouveaux emplois, dont certains n'existent pas à ce jour.

Ce rythme de déplacement des emplois ne s'inscrit pas réellement en divergence avec les périodes précédentes. Si l'automatisation est aujourd'hui à ce point effrayante, c'est notamment parce que l'avenir était autrefois plus difficile à prédire : nous ne disposions pas des données qui fondent les d'aujourd'hui. Raison plus profonde encore, les perspectives actuelles d'automatisation annoncent un futur dans lequel les machines pourront plausiblement remplacer les êtres humains dans de nombreuses sphères du travail que nous pensions autrefois être les seuls à pouvoir assurer.
Les économistes ont toujours été convaincus que les vagues antérieures de destruction d'emplois conduisaient à un équilibre entre l'offre et la demande sur le marché du travail, caractérisé par un plus haut niveau à la fois d'emplois et de salaires. Mais si les robots sont désormais capables de remplacer l'être humain, et plus seulement de déplacer les emplois, il est difficile d'entrevoir un point d'équilibre sans que la race humaine devienne elle-même inutile.
Le rapport du MGI exclut un dénouement aussi malheureux. Sur le long terme, l'économie est capable de s'adapter, et d'offrir un emploi satisfaisant à quiconque souhaite l'exercer. « À l'échelle d'une société, les machines sont susceptibles d'assurer les tâches répétitives, dangereuses ou pénibles, tout en nous permettant d'user plus pleinement de nos talents intrinsèquement humains, et d'apprécier davantage de loisirs. »

 

Un monde souhaitable ?
Voilà où s'arrête le discours de l'économie d'entreprise. Or, cette argumentation présente de sérieuses lacunes.
Une première question sans réponse réside dans la durée et l'ampleur de cette transition depuis une économie humaine vers une économie automatisée. À cet égard, le passé est sans doute un repère moins fiable que nous le pensons, puisque le moindre rythme du changement technologique permettait autrefois au remplacement des emplois de suivre la cadence du déplacement des emplois. Aujourd'hui, ce déplacement – de même que les perturbations qui en résultent – est voué à s'opérer beaucoup plus rapidement, dans la mesure où les technologies sont inventées et propagées beaucoup plus vite. « Au sein des économies développées, » selon le MGI, « tous les scénarios ont pour dénouement le plein emploi en 2030, bien que cette transition soit susceptible d'inclure des périodes de plus fort chômage et d'ajustement [à la baisse] des salaires, » en fonction de la vitesse d'adaptation.

Ceci soulève un dilemme pour les décideurs politiques. Plus les nouvelles technologies sont introduites rapidement, plus les emplois sont détruits en grand nombre, mais plus les avantages promis se concrétisent sans tarder. Le rapport du MGI déconseille par ailleurs les démarches d'atténuation de l'ampleur et du rythme de l'automatisation, qui feraient « obstacle aux contributions que ces technologies apportent en termes de dynamisme des entreprises et de croissance économique. »
Puisque telles sont les priorités, la réponse politique majeure suit naturellement : investir massivement, « à l'échelle d'un plan Marshall », dans l'éducation et la formation des travailleurs, afin de conférer aux être humains les compétences essentielles leur permettant de faire face à cette transition.
Le rapport souligne également la nécessité de « lier les salaires à la hausse de productivité, afin que la prospérité soit partagée par tous. » Mais il néglige ici le fait que les récent gains de productivité n'ont bénéficié de manière écrasante qu'à une petite minorité. Le rapport ne prête ainsi qu'une faible attention à la question de savoir comme le choix promis par les économistes, entre le travail et les loisirs, pourra être effectif pour tous.

Enfin, le rapport énonce en filigrane que l'automatisation n'est pas seulement souhaitable, mais également irréversible. Une fois que nous apprenons à effectuer une tâche donnée plus efficacement (et à moindre coût), il n'est plus possible de se remettre à l'effectuer moins efficacement. Reste alors la question de savoir comment les humains peuvent s'adapter aux conséquences d'une plus haute exigence d'efficacité.
C'est déroutant sur le plan philosophique, puisqu'il y a là un amalgame entre faire les choses plus efficacement, et faire les choses mieux. L'argument technique se confond avec l'argument moral. Il est donc à la fois possible et nécessaire de poser la question suivante : le monde que nous promettent les apôtres de la technologie est-il un monde souhaitable ?
Un monde dans lequel nous serions condamnés à faire la course avec les machines pour produire des quantités croissantes de biens de consommation en vaut-il la peine ? Si nous ne pouvons plus espérer contrôler ce monde, quelle est la valeur de l'être humain ? Laissées de côté par le rapport McKinsey, ces questions ne doivent pas l'être dans le débat public.

Traduction Martin Morel
© Project Syndicate, 2017.

Robert Skidelsky est membre de la Chambre des Lords britannique et professeur d'économie politique à l'Université de Warwick.

Apaiser les craintes liées à l'avènement des robots est devenu une préoccupation majeure dans l'apologétique des entreprises. Le bon sens considère – de manière tout à fait légitime – que plus les emplois seront automatisés, moins les êtres humains auront de tâches à effectuer. C'est ce qu'illustre parfaitement la voiture autonome. Si les automobiles n'ont plus besoin d'un...

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