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Moyen Orient et Monde - Reportage

Mohammad a 13 ans lorsqu’il reçoit sa première ceinture piégée

On les surnomme les « lionceaux du califat ». Certains sont des orphelins, d'autres ont été grièvement blessés dans les combats : tous ont combattu pour le groupe État islamique. Dans le Nord-Est de la Syrie, les autorités kurdes ont ouvert un centre de déradicalisation qui accueille une cinquantaine d'enfants soldats. Mais comment réhabiliter des jeunes entraînés à tuer ?

Capture d’écran montrant une vidéo diffusée par l’EI, mettant en scène des enfants s’apprêtant à tuer des soldats, dans les ruines de Palmyre. Photo AFP

Son acné se confond avec les éclats qui rongent son visage. Ses yeux foncés semblent éteints. Mohammad a 13 ans lorsqu'il reçoit sa première ceinture piégée ; 15, lorsqu'une mine déchire son corps frêle. Aujourd'hui, ce jeune Syrien originaire de la campagne de Raqqa est l'un des pensionnaires d'un centre de réhabilitation pour enfants soldats situé au nord-est de la Syrie, près de la ville de Qamishli.

Mohammad avait été recruté par son oncle, un homme sans enfant qui avait rejoint le groupe État islamique (EI) dès 2013. « Il m'a emmené suivre des cours de la charia et puis il m'a dit : "Mon enfant, maintenant tu dois aller au camp d'entraînement" », se souvient-il. Ensuite, tout s'accélère : il est transféré à Mossoul, en Irak, et rejoint les Inghimasi, des troupes de choc équipées d'armes légères et d'une ceinture chargée d'explosifs. Leur but : briser les lignes ennemies avant de se faire exploser s'ils y sont acculés. Il est alors envoyé sur le front de Baiji, où se situe la plus grande raffinerie du pays. Sa première bataille.

« Nous avions une voiture piégée. C'est Abou Houdhaïfa, un garçon de 14 ans originaire d'Alep, qui est monté dedans. Nous avons attaqué les forces irakiennes après la prière du matin. Le conducteur de la voiture piégée s'est fait exploser et nous sommes rentrés dans la raffinerie, mais nous n'avons trouvé personne. C'était un piège : ils nous avaient laissés entrer pour pouvoir nous encercler », raconte-t-il d'une traite, sa voix rauque résonnant comme un grognement. Le siège dure deux mois. Pour survivre, le jeune Raqqaoui boit de l'eau de pluie. La bataille de Baiji est parfois décrite par les officiers irakiens comme plus difficile encore que celle de Mossoul, pourtant longue de neuf mois. Un combat qui a été tout aussi sanglant du côté du groupe État islamique. « Nous étions 100 hommes. Nous sommes seulement 30 à en être sortis vivants, lâche Mohammad, son crâne rasé couvert de cicatrices. Tous les autres ont été tués. »

À ses côtés dans les rangs de l'organisation terroriste, des enfants syriens et irakiens, mais aussi turcs, russes ou indonésiens, recrutés car corvéables à merci. Prêts à prendre plus de risques, bon marché et potentiellement plus aptes à tuer sans sourciller, parce qu'ils n'ont pas encore développé leur conscience morale, les mineurs sont souvent des recrues de choix pour les groupes insurgés de par le monde. « Le problème qu'ont la plupart des armées, c'est que si vous avez des hommes qui n'ont jamais été dans une zone de guerre, ils ne tirent pas sur l'ennemi. Lorsque les États-Unis sont arrivés en Normandie, près de la moitié des soldats n'ont pas tiré sur les Allemands. Des enfants en revanche, vous pouvez facilement les transformer en machines à tuer », analyse le Dr Thomas Elbert, professeur de psychologie clinique et de neuropsychologie à l'Université de Constance, en Allemagne.

 

(Lire aussi : Les Kurdes syriens dans le viseur du régime)

 

 

Techno et disco
Situé dans une bourgade ravagée par la guerre, le centre de déradicalisation, qui ressemblerait à une abbaye si ce n'est les gardes armés postés sur le toit, accueille une cinquantaine d'enfants âgés entre 12 et 17 ans. Pour ces rescapés, qui ont été arrêtés sur le champ de bataille ou, comme Mohammad, se sont rendus aux forces arabo-kurdes, les premiers pas en dehors du califat sont symboliques. Serrer la main d'une femme, écouter de la musique ou fumer une cigarette... leurs professeurs les encouragent à transgresser les règles qui leur ont été imposées par les jihadistes de l'EI.

« Quand ils arrivent ici, ils considèrent la musique comme haram (interdit), mais après un certain temps ils commencent à nous demander si on peut allumer la radio. On leur a offert des lecteurs MP3 et ils écoutent des artistes locaux ou de la techno et du disco. Nous voyons qu'ils sont heureux les uns avec les autres, parfois ils dansent ensemble. Et ils oublient leurs difficultés », veut croire Abir Khaled, la directrice du centre, qui se félicite que la plupart de ses pensionnaires la regardent dans les yeux. Après les cours, qui se terminent vers 13h, les enfants s'occupent par groupe des tâches ménagères comme la lessive, la cuisine et le jardinage. Pendant leur temps libre, ils ont la possibilité de jouer au football et aux échecs, ou de regarder la télévision, à l'exception des « chaînes salafistes ou liées aux Frères musulmans ». Interdit, également, de prier en groupe et plus de cinq fois par jour.

Mais le traumatisme de certains enfants, traînés d'une ligne de front à une autre pendant parfois plusieurs années, ne peut être soigné avec un MP3. Si le centre dispose d'une infirmerie pour traiter les balafres qui marquent leurs corps, peu de moyens semblent être consacrés aux blessures invisibles. Beaucoup d'enfants soldats développent des problèmes comportementaux, deviennent dépressifs ou souffrent du Syndrome de stress post-traumatique (PTSD), un trouble anxieux majeur diagnostiqué notamment chez environ 20 % des vétérans américains de la guerre d'Irak. « Un jour, j'ai vu un garçon assis tout seul. Je lui ai demandé pourquoi il agissait comme un robot, raconte Roueida Abbas, l'une des quatre enseignants du centre. Il est venu à côté de moi et m'a dit : "Quand j'étais avec eux, ils ont décapité des gens devant mes yeux. Ils coupaient des mains et des jambes. Maintenant, je n'ai plus aucun sentiment. Même si vous tuez mon père devant moi, je ne pleurerais pas. Je n'ai plus de sentiments. »

 

(Lire aussi : En Syrie, une génération d'enfants perdus par les traumatismes de la guerre)

 

« La nuit, je vois l'EI... »
Après un séjour de six mois, la durée réglementaire du programme de réinsertion, la plupart sont remis en liberté. Près de 80 enfants ont ainsi quitté le centre depuis son ouverture en mars 2016 et ont été restitués à leurs parents. Ou, si ceux-ci appartenaient à l'EI et ont été arrêtés ou tués, confiés à la famille élargie ou à la tribu. Les professeurs, certains de simples instituteurs du primaire, sans aucune formation pour travailler avec des enfants traumatisés entraînés à tuer, concèdent qu'ils n'ont que très peu d'expérience. Aucun accompagnement n'est donc assuré une fois que leurs pensionnaires quittent le centre.

Or, pour la Dr Theresa Betancourt, directrice d'un programme de recherche au Boston College School of Social Work et qui étudie depuis quinze ans la réhabilitation des enfants soldats en Sierra Leone, il est clair que le suivi est au moins aussi important que le programme en lui-même. « Ils peuvent faire plein de belles choses dans ce centre, mais ce qui compte c'est ce qu'il se passe une fois que ces enfants rentrent chez eux. C'est un moment critique. Seront-ils acceptés par leur famille et réintégrés dans la communauté ? Comment les parents géreront-ils les traumatismes de leurs enfants ? » se demande la spécialiste. Sans soutien adéquat, le Dr Thomas Elbert craint qu'ils continuent à représenter un danger : « S'ils ont goûté aux expériences positives qui peuvent accompagner la chasse aux humains, explique-t-il. Il y a un grand risque qu'ils rejoignent à nouveau des groupes armés. »

À sa sortie, Mohammad confie vouloir retourner vivre chez ses parents avec ses cinq frères et sœurs. Peut-être quatre, maintenant que sa sœur aînée, recrutée par son oncle pour épouser un combattant de l'EI, est portée disparue. Il veut travailler dans la station d'essence de son père ou dans une ferme. « Ça va mieux maintenant, assure-t-il. Même si je fais des cauchemars récurrents. La nuit, je vois l'État islamique. Ils arrivent pour me tuer. »

 

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CHEZ LES TARES IL N,Y A NI COMPASSION ET NI LOGIQUE !

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 21, le 27 décembre 2017

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  • CHEZ LES TARES IL N,Y A NI COMPASSION ET NI LOGIQUE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 21, le 27 décembre 2017

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