Réuni pour la première fois depuis que son chef, Saad Hariri, est revenu sur sa démission, le gouvernement a tenu à plancher jeudi dernier sur une question stratégique : le pétrole. Il aurait ainsi voulu adresser un message clair au peuple libanais, mais aussi et surtout à ses opposants : après avoir approuvé la distanciation par rapport aux conflits des axes, l'équipe ministérielle a démarré à nouveau une bonne fois pour toutes, en dépit des divergences entre ses composantes.
Mais il reste que le communiqué gouvernemental adopté le 5 décembre – et en vertu duquel le cabinet Hariri s'engageait à appliquer la politique de distanciation – a subi de graves violations, quelques jours après son adoption en Conseil des ministres. Il s'agit, bien entendu, de la visite du chef de la milice irakienne « Asaeb Ahl el-Haq », Qaïs el-Khazaali, aux frontières libano-israéliennes. Il y a eu aussi les déclarations du secrétaire général adjoint du Hezbollah, le cheikh Naïm Kassem, prononcées à Téhéran, quelques heures après l'adoption du texte gouvernemental. « C'est nous qui façonnons l'avenir de la région », avait-il déclaré dans ce qui a sonné comme une réponse à la décision du cabinet Hariri.
À l'heure où Saad Hariri s'est engagé personnellement à suivre la mise en application de la politique de distanciation, il semble que la communauté internationale et les grands acteurs régionaux le mettent à l'épreuve sur ce plan, lui et le chef du législatif, Nabih Berry.
C'est d'ailleurs ce qu'a laissé entendre le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel el-Jubeir, hier. « Nous avons soutenu Saad Hariri lorsqu'il a formé le premier gouvernement du mandat Aoun. Mais le président de la République et le Hezbollah ne lui ont pas permis de gouverner, d'où sa démission (...) », a indiqué M. Jubeir, avant de poursuivre : « Le Premier ministre est rentré au Liban pour présenter sa démission officiellement. Mais Nabih Berry lui a promis que le Liban se tiendra à l'écart des crises arabes. Nous avons appuyé cela, nous attendons et nous verrons. »
Mais, dans les milieux politiques, on renvoie la balle dans le camp du Hezbollah, dans la mesure où il continue de se battre en Syrie et au Yémen, affaiblissant ainsi l'État libanais et ses instances officielles.
Dans ce cadre, à l'issue de sa réunion hebdomadaire, le Parti national libéral (PNL) du député Dory Chamoun a estimé que le « Hezbollah a assené une gifle à la décision gouvernementale », soulignant que le parti chiite « se conforme à l'agenda iranien ».
De même, Fady Karam, député des Forces libanaises du Koura, a déclaré à L'Orient-Le Jour que « le parti chiite continue à affaiblir l'État pour maintenir son arsenal, mais il n'en demeure pas moins qu'il est conscient du fait que l'Arabie saoudite et les États Unis ont pris la décision de faire face à l'hégémonie iranienne dans la région ».
Ces propos de M. Karam font dire à certains que les FL parient sur un engagement de la part du Hezbollah à se conformer à la décision du cabinet. D'aucuns rappellent, à cet égard, que la formation dirigée par Hassan Nasrallah n'a pas manqué de violer la déclaration de Baabda (du 11 juin 2012) pour prendre part à la guerre syrienne.
Mais le député FL s'empresse de préciser que son parti « compte rester au gouvernement pour pouvoir exercer une pression sur le Hezbollah et lui imposer un fait accompli, même si Meerab est confiante que le parti chiite n'exécute que l'agenda iranien régional ».
Farès Souhaid, président du Rassemblement de Saydet el-Jabal et farouche opposant à la formation de Hassan Nasrallah et à la politique de Téhéran dans la région, insiste sur la nécessité pour Saad Hariri de mettre en application l'accord de Taëf et les résolutions internationales 1559 (2004) et 1701 (2006).
Contacté par L'OLJ, M. Souhaid explique qu'« il est normal que la communauté arabe et internationale accorde un délai à Saad Hariri pour appliquer la distanciation ». Selon lui, « le sort du Liban est entre les mains de M. Hariri. D'autant que les propos du chef de la diplomatie saoudienne sont très clairs et montrent que le royaume wahhabite et la communauté internationale sont très sérieux quant à la distanciation et sa mise en œuvre effective ».
Les querelles interpartisanes
Mais à l'heure où Saad Hariri semble déterminé à mener la bataille de la distanciation, nombreuses sont les secousses que traverse son cabinet. Et pour cause : les rapports entre plusieurs composantes gouvernementales sont troubles. Il s'agit des relations entre les FL et le courant du Futur, d'une part, et des rapports entre le Courant patriotique libre et Meerab, de l'autre.
À ce sujet, Fady Karam fait état de « quelques failles » entachant les relations entre la formation haririenne et celle dirigée par Samir Geagea, assurant toutefois que des efforts sont actuellement déployés pour rétablir les choses à la normale. « Le Premier ministre pourrait s'entretenir avec le chef des FL, Samir Geagea, à n'importe quel moment », ajoute-t-il.
Pour ce qui est des rapports perturbés avec le courant aouniste, le député FL indique que « le problème réside au niveau du chef du CPL qui continue à commettre des erreurs à l'encontre des FL ». « Il essaie ainsi de préparer sa bataille électorale à nos dépens », déplore-t-il, insistant sur le fait que son parti « ne restera pas les bras croisés face aux agissements de M. Bassil ».
Face à ce paysage politique complexe, Saad Hariri a préféré reporter son interview à la LBCI (dans le cadre de laquelle il devait mettre les points sur les i) à la première semaine de 2018, comme l'a annoncé notre confrère Marcel Ghanem sur son compte Twitter, hier.
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commentaires (8)
Wahhabite connection ou comment l’Arabie saoudite a déstabilisé la région en exportant son islam radical depuis 40 ans. On a tendance à oublier trop vite l’histoire de la naissance des talibans et le rôle joué par l’Arabie saoudite dans la diffusion d’une forme de sunnisme radical - l’islamo-salafisme. On connaît la suite jusqu’à à récemment la chute de Mosul. Les vrais déstabilisateurs ne sont pas ceux que l’on croit!
Fredy Hakim
18 h 00, le 16 décembre 2017