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Liban - Conférence

Éducation, médias et mémoire pour prévenir les génocides

Que peuvent faire la société civile, les médias ou les éducateurs pour empêcher de nouvelles guerres meurtrières ou des génocides ? Vaste question à laquelle une quinzaine d'universitaires, de journalistes, de professeurs ou de membres de la société civile ont tenté de répondre, grâce à leurs expériences respectives dans le cadre d'une réflexion en profondeur sur ce sujet, initiée dans le cadre d'un séminaire tenu à l'Université américaine de Beyrouth. Invités par l'UGAB (Union générale arménienne bénévole), les intervenants ont passé en revue les moyens et mesures susceptibles de prévenir les atteintes graves aux droits humains afin d'empêcher, à l'avenir, leur réédition.
« C'est par l'éducation qu'il faut commencer », estime la chercheuse et professeure en sciences politiques Carmen Abou Jaoudé, qui insiste sur la nécessité d'inculquer à la jeunesse les valeurs de tolérance, indispensables pour éviter de nouveaux conflits communautaires.
Pourtant, même en 2017, cette idée ne va pas de soi au Liban et plus généralement au Moyen-Orient.
« Dans les livres d'histoire, on ne trouve rien sur la guerre civile avec une perspective de justice transitionnelle pour montrer aux jeunes comment faire pour que les conflits ne se répètent pas et pour mettre un terme définitif aux violations des droits humains et aux guerres », s'indigne-t-elle.
Pour pallier ce manque, la chercheuse a montré l'exemple de l'association Badna Naaref, « Nous voulons savoir », qui a mis en place un projet éducatif dans des écoles publiques et privées, afin d'engager les jeunes dans le débat autour de la guerre, « avec comme but ultime la non-répétition de ce qui s'est passé », précise la chercheuse.
En 2010, un comité a été créé pour modifier les programmes scolaires et y inclure l'histoire des Palestiniens et du génocide arménien. Des thématiques qui n'ont toujours pas été intégrées aux programmes scolaires, constate la fondatrice de l'Association libanaise pour l'histoire, Leila Zahoui. Pour répondre à cette situation, son association incite les professeurs à introduire ces nouveaux programmes dans leurs cours.
« La question est de savoir comment les professeurs pourront insérer ces sujets dans un curriculum déjà surchargé. Le problème n'est pas de mettre en place un nouveau modèle de programmes, mais de voir comment les mettre en pratique », précise-t-elle.

Une amnésie collective
L'idée de parler de la guerre civile dérange, comme a pu en témoigner la discussion houleuse entre des conférenciers et le ministre libanais aux Droits de la femme, Jean Oghassabian, présent dans l'assemblée. Visiblement irrité par les propos dénonçant la politisation de l'histoire et promouvant le devoir de mémoire et la reconnaissance des Libanais disparus durant la guerre, il a quitté la conférence, après avoir affirmé que « ce n'est plus la peine de remuer les tombes du passé ».
Une illustration, selon Carmen Abou Jaoudé, de la mentalité qui prévaut depuis la fin de la guerre. « L'État a sponsorisé cette amnésie collective. Après la guerre, on a voulu la paix, en oubliant la justice et en occultant la vérité », a-t-elle souligné.
« Je ne suis pas d'accord, Monsieur le Ministre, lance Mme Abou Jaoudé. Parler de la guerre ne signifie pas nécessairement promouvoir son retour. Dans tous les pays qui ont eu des disparus, en Amérique latine par exemple, cela n'a jamais été le cas. Au contraire, la résurrection de la mémoire a même été bénéfique », a-t-elle affirmé.
Maître de conférences en histoire et en relations internationales à Genève, Vicken Cheterian a aussi rappelé que ce problème d'éducation touchait plus largement l'ensemble du Moyen-Orient. Dans cette région, l'histoire des génocides, et en particulier du génocide arménien, n'était que très peu enseignée dans les écoles et les universités. « Pendant plus de huit décennies, ce sujet a été largement occulté par les universités », dénonce le professeur, rappelant que le problème ne concerne plus seulement la reconnaissance du génocide arménien, mais le risque qu'un nouveau génocide puisse se reproduire contre une minorité, notamment les Kurdes de Turquie.

« Nous » contre « eux »
Pour le directeur de la Fondation Samir Kassir, Ayman Mhanna, les médias ont souvent joué un rôle dangereux pendant les guerres et les génocides. Au Rwanda, par exemple, la Radio Télévision libre des Milles Collines est tristement connue pour avoir incité les Hutus à s'attaquer à la minorité tutsi durant le génocide de 1994. En Yougoslavie, les médias contrôlés par différentes communautés ennemies exacerbaient le sentiment nationaliste croate, serbe et bosniaque, participant de facto à la guerre qui ravagea le pays dans les années 90.
« Au-delà de l'appel au meurtre, précise Ayman Mhanna, les médias utilisent toujours la même stratégie, le "nous" contre "eux". »
« Le "nous" pointe toujours la victime, alors qu' "eux" sont ceux qui vont nous attaquer et tenter de nous détruire. Par conséquent, le seul moyen de se défendre est d'attaquer en premier, c'est un cercle vicieux qui se produit à chaque conflit », ajoute-t-il, citant au passage le conflit israélo-palestinien ou la propagande de l'État islamique comme exemple.
Si le message est important, les structures médiatiques et les lignes éditoriales le sont d'autant plus, souligne notre collègue Jeanine Jalkh. « Le problème n'est pas toujours relié aux journalistes directement, il y a souvent de très bons journalistes, mais il y a un problème avec le paysage médiatique libanais qui souvent porte haut les couleurs des partis politiques, sachant que certains médias sont financés par ces derniers, relève Jeanine Jalkh. Par conséquent, parler d'une liberté de presse absolue relève de la chimère », constate-t-elle. Malgré ces défis, « faire du bon journalisme est toujours possible à condition d'y croire et d'être toujours conscient du poids des mots ».
Pour la journaliste d'enquête de la chaîne al-Jadid, Youmna Fawaz, les médias ont un rôle positif à jouer lorsqu'ils enquêtent, restent indépendants et s'engagent pour la vérité. Pourtant, ils ne sont pas les seuls à transmettre des messages et ne sont désormais plus totalement responsables de la construction de l'opinion publique.
« Aujourd'hui, n'importe qui, grâce à Facebook, peut influencer l'opinion publique. Je ne propose pas pour autant d'exercer un contrôle sur les réseaux sociaux, mais préconise la nécessité de responsabiliser leurs utilisateurs », dit-elle. Ayman Mhanna rappelle à ce propos qu'il ne revient pas aux seuls journalistes et aux médias en général de prévenir les atteintes aux droits humains. Cette tâche reste, en définitive, la responsabilité des gouvernements et des ONG.
Pourtant, les médias ont un rôle important à jouer, un rôle de documentation, estime la fondatrice de Refugees Deeply, un média spécialisé dans la question des réfugiés, Preethi Nallu.
Lorsqu'il s'agit de génocides, les journalistes peuvent alors fournir des preuves, montrer ce qui s'est passé et toucher l'opinion publique, afin que ces crimes puissent un jour entrer dans l'histoire. Cette documentation, ces preuves pourront ensuite être utilisées par des historiens, puis enseignées aux étudiants, pour rétablir la mémoire de ces crimes dans le but d'empêcher qu'ils ne se reproduisent.
« Il faut avoir une confiance illimitée dans l'éducation. Si cette confiance se brise, on détruit la liberté. Il faut comprendre le point de vue des autres, ce n'est que comme cela qu'on trouve un terrain d'entente », résume le directeur de la Fondation pour les droits humains et humanitaires du Liban, Waël Kheir.

Que peuvent faire la société civile, les médias ou les éducateurs pour empêcher de nouvelles guerres meurtrières ou des génocides ? Vaste question à laquelle une quinzaine d'universitaires, de journalistes, de professeurs ou de membres de la société civile ont tenté de répondre, grâce à leurs expériences respectives dans le cadre d'une réflexion en profondeur sur ce sujet,...

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