Les infirmières et infirmiers du Liban montent au créneau et lancent leur nouvelle échelle des salaires, quelques mois seulement après l'adoption par les autorités de la grille des salaires des fonctionnaires et des enseignants (NDLR, loi 46 publiée le 21 août 2017 dans le JO). Une condition sine qua non pour « améliorer les conditions de travail », « encourager à ne pas déserter la profession » et « empêcher la dégradation de la santé publique dans le pays », affirment-ils dans une mise en garde. Car « l'avenir de la profession est en danger », insistent-ils, vu les mauvaises conditions de travail, le manque criant de personnel soignant, le taux élevé d'absentéisme et l'embauche de personnel étranger.
C'est sous le slogan « Prenez soin de nos droits » que la présidente de l'ordre des infirmiers et infirmières du Liban, Nohad Yazbeck Doumit, entourée de membres du conseil de l'ordre, a donné hier une conférence de presse au siège de l'institution à Sin el-Fil, en présence d'un important parterre de représentants de la profession.
Une infirmière pour 20 à 30 malades, la nuit
« Pour la première fois, nous élevons la voix pour réclamer nos droits et dire que nous ne pouvons plus supporter davantage » (cette situation), souligne Mme Doumit. La présidente de l'ordre évoque alors les bas salaires, le nombre élevé d'heures de travail, mais aussi le nombre restreint de jours de congé, car la profession qui compte actuellement 15 000 membres actifs dans divers secteurs a besoin de 7 000 nouveaux arrivants au moins, particulièrement en milieu hospitalier. Les chiffres sont là pour le confirmer : selon l'ordre, « près de 20 % des infirmiers et infirmières du pays sont recrutés chaque année à l'étranger, en Europe, au Canada, aux États-Unis, en Australie, dans les pays arabes aussi ». « En journée, une infirmière s'occupe de 10 à 13 patients à elle seule. Mais, durant la nuit, elle doit prendre en charge entre 20 et 30 malades. Le pire, c'est qu'on ne cesse de lui dire que ce n'est pas assez, qu'elle est facilement remplaçable », déplore Nohad Doumit.
La présidente révèle, de plus, « l'exposition particulièrement élevée du corps infirmier au stress, aux microbes, aux produits chimiques, à la violence aussi », celle des proches des patients qui s'impatientent, des directions d'hôpitaux parfois. « Cette situation est une véritable bombe à retardement », martèle-t-elle.
C'est dans ce cadre que l'institution révèle la nouvelle échelle des salaires, « développée par une étude actuaire » sur base des exigences de la profession et des diplômes obtenus. Elle appelle les autorités à l'adopter, « autrement ce sera l'escalade et le recours à la rue », promet-elle, dans une invite directe à la mobilisation des membres du corps infirmier. Pour l'instant, « les choses n'en sont pas encore là », fait remarquer Mme Doumit. « L'initiative bénéficie déjà du soutien moral du ministre de la Santé, Ghassan Hasbani, et du président du syndicat des hôpitaux privés, Sleiman Haroun », assure-t-elle.
Mais ce sont « des réponses concrètes, voire un engagement ferme » que l'ordre attend de « toutes les parties concernées », du ministère de la Santé, du syndicat des hôpitaux privés, du gouvernement aussi. « Même la stratégie mise en place par le ministre Hasbani pour le secteur de la santé ne saurait être appliquée dans les conditions actuelles, constate-t-elle. Nous attendons des réponses et des solutions, pour un meilleur respect des droits du corps infirmier et par ricochet de ceux du malade », explique-t-elle. Et d'ajouter qu'« une profession en mauvaise santé ne peut que se répercuter négativement sur la santé des patients, voire sur l'augmentation du taux de mortalité ». « Au contraire, si nous améliorons les conditions de travail des infirmières et infirmiers, si nous parvenons à motiver le corps infirmier, nous pourrons empêcher les désertions et encourager les jeunes à embrasser la profession », assure-t-elle.
Élever le salaire de base
Qu'implique donc la nouvelle grille des salaires des infirmières et infirmiers? En gros, il s'agit « d'élever le salaire de base des infirmiers débutants détenteurs d'une licence universitaire, de 1 500 000 LL à 2 590 000 LL, explique Nohad Yazbeck Doumit. Seront augmentés, dans une moindre mesure, les débutants détenteurs d'un diplôme technique (à 1 730 000 LL) et d'un BT (à 1 300 000 LL) ».
Dans les détails, les heures de travail seront limitées à 40 heures par semaine, avec un repos hebdomadaire de 48 heures consécutives au moins. Quant au travail de nuit, il sera indemnisé à raison d'un montant équivalent à 1,5 % du salaire mensuel par nuit de travail. Les infirmières et infirmiers bénéficieront de bonus calculés en fonction de leurs performances, de leurs compétences et de leur taux d'absentéisme. L'ancienneté et le mérite seront également pris en considération lors des augmentations annuelles de salaires. De même, les diplômes supérieurs donneront droit à des augmentations de salaires, notamment 20 % d'augmentation pour un DESS ou un DEA et 40 % d'augmentation pour un doctorat. Des échelons seront accordés en fonction des responsabilités, et les heures de garde seront comptabilisées. De plus, les heures supplémentaires seront payées l'équivalent d'une heure et demie de travail. Enfin, les congés annuels sont calculés en fonction de l'ancienneté. Une infirmière débutante aura donc 15 jours de congé ouvrables par an, alors qu'une infirmière ayant 20 ans d'ancienneté bénéficiera de 30 jours de congé annuels.
Les revendications salariales du corps infirmier seront-elles accordées au corps infirmier ? La question reste entière. Mais une chose est sûre. L'effet boule de neige de la loi 46 n'en est qu'à ses prémices.
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