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Destruction massive

Entre autres frasques, il avait menacé de saborder l'OTAN, claqué la porte de l'Unesco, renié les conventions mondiales sur l'environnement. Mais jamais, au grand jamais, Donald Trump n'avait causé autant de dégâts à la fois, brisé autant de fragile porcelaine d'un seul jet de pierre. En reconnaissant Jérusalem comme la capitale d'Israël, en décidant d'y faire transférer l'ambassade US traditionnellement installée à Tel-Aviv, c'est en effet une colossale bombe à fragmentation, à très grand rayon d'action, que vient de lancer le président des États-Unis : cela dans une région du globe inflammable comme nulle autre.

Nuisance bien ordonnée commençant par soi-même, l'Amérique doit bien constater aujourd'hui qu'elle n'est guère épargnée par les éclats. Elle est prise en flagrante violation du droit international, lequel se refuse à légitimer toute acquisition de territoire par la guerre : principe de base sévèrement réaffirmé hier encore par l'ONU, qui fait du statut de Jérusalem le point final des pourparlers de paix. Washington trahit par ailleurs le rôle d'honnête courtier qu'il s'arrogeait depuis des décennies, sans trop dissimuler, pour autant, ses sympathies pour l'État hébreu. Et voilà maintenant que la première des superpuissances doit faire face à une levée de boucliers d'envergure proprement planétaire, à laquelle prennent part ses amis occidentaux.

Mais surtout, Donald Trump place dans une situation intenable les dirigeants modérés arabes, à commencer par le président palestinien Mahmoud Abbas ; celui-ci est en voie de perdre son pari de paix au bénéfice d'un Hamas que l'on disait récemment assagi, mais qui trouve dans l'outrance US une nouvelle raison de réoccuper le haut du pavé. Guère mieux lotis sont les plus proches alliés des États-Unis dans la région : la Jordanie, garante du waqf (fondation religieuse) qui gère la mosquée al-Aqsa de Jérusalem, troisième lieu saint de l'islam ; et l'Arabie saoudite, gardienne des sites sacrés de La Mecque et de Médine, et principal partenaire de Washington dans sa campagne.

L'ironie veut cependant qu'en fragilisant de la sorte le royaume wahhabite déjà suspecté de flirt poussé avec Israël, c'est une occasion en or que fournit maladroitement Trump à Téhéran pour se poser en premier défenseur de Jérusalem. Alors que la Ligue arabe, qui se réunit ce samedi au Caire, s'apprête à donner une fois de plus la preuve de sa lamentable inconsistance, c'est une stratégie de résistance aussi cohérente que musclée que développait l'autre soir un Hassan Nasrallah incidemment en verve d'inspiration.

Encore plus fabuleux cependant est le présent qu'offre à Israël le chef de la Maison-Blanche en lui concédant souverainement Jérusalem pour capitale, sans aucun égard pour les sentiments et aspirations du peuple palestinien : cadeau qui arrive à point nommé pour un Benjamin Netanyahu empêtré dans plus d'une affaire de corruption.

Ce traitement de faveur, le Premier ministre israélien ne le doit pas au seul Jared Kushner, le très influent gendre juif de Trump ; il en est redevable surtout au vice-président Mike Pence, membre convaincu de la communauté évangélique, étroitement solidaire de la droite israélienne. Pour répondre aux couleurs américaines et israéliennes illuminant les murs de Jérusalem, ce sont des images d'al-Aqsa et du Saint-Sépulcre qui ont orné la façade du Sérail, reflétant un même rejet par les diverses communautés religieuses libanaises de l'irresponsable initiative US. Face à la montée des extrémismes dont augure celle-ci, gare toutefois aux amalgames dont risquent de faire les frais, ailleurs, les chrétiens d'Orient par la faute d'une interprétation pour le moins fantasque des textes bibliques...

Au final, ce n'est pas seulement à la vérité historique et à la justice que fait insulte Donald Trump en statuant avec une telle légèreté sur un dossier aussi chargé de passions que celui de la Ville trois fois sainte. De temporiser toutes ces dernières décennies n'a abouti à rien, a-t-il plaidé. Mais se rend-il seulement compte à quelles terribles extrémités peut mener la dernière de ses folies ?

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Entre autres frasques, il avait menacé de saborder l'OTAN, claqué la porte de l'Unesco, renié les conventions mondiales sur l'environnement. Mais jamais, au grand jamais, Donald Trump n'avait causé autant de dégâts à la fois, brisé autant de fragile porcelaine d'un seul jet de pierre. En reconnaissant Jérusalem comme la capitale d'Israël, en décidant d'y faire transférer l'ambassade...