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Liban - Union internationale de la presse francophone

Journalisme, investigation, transparence : dans les coulisses d’une profession en danger...

Solidarité professionnelle et partenariat avec le lectorat sont la planche de salut du métier.

Jean Kouchner, secrétaire général de l’UPF : « L’État a une responsabilité publique : garantir une information loyale et plurielle ».

C'est surtout en temps de crise que peuvent être le mieux testés les rouages de la démocratie. À l'heure où des journalistes de renom et des blogueurs sont poursuivis au Liban pour avoir reflété ou donné une plateforme d'expression à des avis tiers concernant « l'offense » infligée au Liban au lendemain de la démission-surprise du Premier ministre Saad Hariri, la question de la liberté d'expression, et plus particulièrement celle de la presse, se pose dans toute son acuité. Force est de constater que la relation dysfonctionnelle entre pouvoir et médias n'est pas le propre du paysage médiatique libanais mais se révèle être une problématique constante aux quatre coins du monde.

De Beyrouth jusqu'au Cameroun, en passant par la France, le Canada, l'Algérie, Haïti, jusqu'en Guinée française, la relation triangulaire entre l'État, les pouvoirs économiques et les médias lie et conditionne le travail des journalistes comme jamais auparavant.

Devenus de plus en plus dépendants des caprices des annonceurs et de leurs intérêts économiques, engloutis par des groupes géants qui interfèrent de plus en plus dans les lignes éditoriales, les médias se trouvent aujourd'hui confrontés à un dilemme sans précédent : comment préserver leur indépendance et leur marge de manœuvre en s'affranchissant de leurs bailleurs de fonds dont les intérêts sont le plus souvent incompatibles avec l'essence même du métier journalistique, qui est de révéler et dénoncer les déviations et malversations ? Le journalisme sérieux peut-il encore survivre dans cette jungle face à la concurrence acharnée que lui livrent par ailleurs les fake news qui circulent comme des électrons libres sur le web, à l'ombre du foisonnement de sites diffusant une flopée d'informations instantanées, gratuites, souvent non vérifiées ? Comment faire pour préserver ce qui fut jadis les garde-fous de la démocratie ?
C'est autour de cette réflexion que plus de 300 journalistes du monde francophone, réunis à Conakry à l'initiative de l'Union internationale de la presse francophone (UPF), se sont penchés, une semaine durant, dans le cadre de leurs 46es assises.

 

(Lire aussi : En Algérie, la presse privée, née il y a 25 ans, craint pour sa survie)

 

Mainmise financière
En dépit de la diversité des participants, des supports médiatiques représentés et des enjeux socio-économiques et politiques en cause, un seul et même constat s'impose : c'est un combat acharné que sont désormais appelés à livrer les médias, la presse surtout, pour sauvegarder une information plurielle et crédible, et une indépendance effective face aux mastodontes de la finance, d'une part, et aux relents dictatoriaux de nombreux régimes aux façades démocratiques, d'autre part.

Presque partout, la tendance est la même : une propension de la part des grands groupes à absorber de plus en plus de médias afin de mieux réussir à les museler, ou du moins à atténuer l'effet de nuisance qu'ils pourraient avoir en dévoilant les dérives de la politique et de la haute finance, la corruption et les malversations. Les exemples des « punitions infligées » au quotidien Le Monde notamment, qui s'est vu privé jusqu'à la fin de l'année de publicités par le groupe LVMH de Bernard Arnault à cause de certaines révélations faite au sujet des Paradise Papers, reviendront souvent lors des débats.

Pourtant, rappelle Julia Cagé, professeur d'économie à Sciences Po, la publication des Panama Papers en 2016, et cette année des Paradise Papers, « illustre à quel point le journalisme d'investigation a un rôle formidable à jouer dans la vitalité du débat démocratique aujourd'hui ». Car il ne faut jamais oublier que « l'affaiblissement de la presse locale, c'est aussi l'affaiblissement de nos démocraties », tient à souligner l'intervenante, qui rappelle la nouvelle tendance qui prévaut avec « un petit nombre d'actionnaires qui possède un plus grand nombre de médias » dans ce qui apparaît être désormais une volonté des grands groupes de trouver des leviers d'opinion. D'où l'importance de continuer de miser sur le journalisme d'investigation dans sa portée locale et internationale, par le biais de consortiums ou d'une mutualisation des journalistes destinés à créer de véritables espaces de solidarité, préconisent de nombreux intervenants.

Encore faut-il pouvoir soustraire la presse des griffes des grands groupes pour la rendre moins dépendante des aléas de la publicité qui se rétrécit comme peau de chagrin dans nombre de pays, lorsqu'elle n'est pas carrément brandie comme arme pour assujettir les journalistes. « J'ai eu plus de difficulté à affronter le pouvoir de l'argent que celui de la police », témoigne un blogueur tunisien qui évoque ses démêlés avec le pouvoir politique et celui des annonceurs.

 

(Lire aussi : « Les médias au Moyen-Orient ne sont pas en mesure d’être des contre-pouvoirs »)

 

Le lecteur-partenaire
La solution ? Créer, rétablir une relation de confiance avec le lectorat, d'abord en faisant montre de transparence pour ce qui est de la structure de l'actionnariat, ensuite en sollicitant les citoyens pour un financement participatif (crowdfunding) « afin de sortir tant que possible les médias de la logique des profits » et de ne pas les laisser « exclusivement aux mains du marché », comme le préconise Anne-Cécile Robert, journaliste, membre du directoire du Monde diplomatique. Même si l'initiative est encore timide, elle fait son chemin, lentement et sûrement. « À l'avenir, les actionnaires des médias doivent être les journalistes et les lecteurs. S'ils restent incontournables dans certains cas, les actionnaires extérieurs ne doivent en aucun cas jouir d'un pouvoir politique au sein des médias », soutient Mme Cagé. Pour y parvenir, il faut produire du bon journalisme et se battre pour faire une information de qualité dans un monde médiatisé à outrance et où le marché de l'information est devenu aussi débridé que compétitif.

Face à l'instantanéité et à la gratuité de l'information, qui se propage rapidement du fait des nouvelles technologies, il est désormais de plus en plus difficile de monétiser l'information. Une situation qui remet en cause le journalisme d'investigation, long et coûteux, de plus en plus boudé par certains patrons de média à la recherche des scoops et du nombre de « clics ». À la rapidité du web truffé de fausses informations (les fake news), s'opposent désormais la lenteur et la rigueur de l'investigation. Mais force est de constater que quel que soit le support, s'il s'agit d'une bonne investigation, elle aura du succès, reconnaissent les gens du métier. Par conséquent, le web ne doit pas être perçu comme une menace mais plutôt une opportunité à saisir par le journaliste pour produire une information de qualité. « Il faut utiliser le web à notre profit avant que le web ne nous cannibalise et nous détruise », met en garde Tidiane Dioh, responsable du programme médias au sein de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF).

Face à ces défis monstres, c'est en terrain miné que les journalistes, de plus en plus précarisés, s'aventurent aujourd'hui. Sollicités à livrer bataille contre les mastodontes de la finance et la fulgurance des réseaux sociaux, ils doivent également affronter les menaces policières et judiciaires brandies par les pouvoirs politiques, ou parfois subir la violence punitive. Un combat qui en vaut la peine, conviendraient bon nombre d'entre eux, puisque, en définitive, il y va du bon fonctionnement de nos démocraties, de la qualité de la réflexion et par conséquent de la qualité de vie.

 

 

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