Pendant des mois et des mois, L'Orient-Le Jour en a fait son cheval de bataille, tant sous l'angle de la santé que sous celui de l'environnement, mettant infatigablement en garde contre la catastrophe sanitaire et écologique dans laquelle s'embourbent, lentement mais sûrement, les habitants de ces 10 452 km² décidément maudits par tous les dieux. Et puis, il y a trois jours, est arrivé un rapport himalayen de l'ONG Human Rights Watch sur les conséquences désastreuses de l'incinération des déchets en plein air au Liban. En dénonçant pour la première fois, dans des termes très clairs, rien moins qu'une atteinte fondamentale aux droits humains des Libanais, dont beaucoup désormais, au réveil, crachent de la cendre.
En 2015, le symbole était puissant. Il y avait quelque chose de mythologique dans cet ensevelissement d'un pays et de ses gens sous les immondices. La nature ne se trompe pas : on ne récolte que ce qu'on sème. Parce qu'autant l'incurie des institutions officielles et l'incompétence, mais aussi la cupidité, des serviteurs de l'État sont indiscutables, notre glissement quasi définitif de peuple résilient à peuple résigné a beaucoup joué. Nous, Libanais, assumons définitivement une grande part de responsabilité dans notre mort lente et sûre. Et dans celle de nos enfants et petits-enfants. Pourtant, une faction d'entre nous avait essayé, lors de la crise des déchets de sinistre mémoire, de renverser la fatalité, de désintégrer ce fameux maktoub qui nous poursuit et nous damne depuis des décennies. Essayé et échoué. Parce que, au final, tout est médiocrement politisé dans ce pays. Que si notre pays, de Suisse du Moyen-Orient, est passé à poubelle du Moyen-Orient, c'est surtout parce que nous n'avons que les dirigeants que nous méritons.
Que faut-il, ou qui faut-il, pour que tout le monde comprenne que ce rapport de HRW et toutes les enquêtes de L'OLJ, qui l'ont précédé, ne peuvent ni ne doivent, une énième fois, être pris à la légère, accompagnés du sempiternel et sinistre Bassita, ça s'arrangera, éminemment méditerranéen et sympathique, peut-être, mais définitivement crétin et inconscient, surtout ? Que/qui faut-il pour comprendre que si nous pouvons acheter des bouteilles d'eau pour pallier le poison que sont devenues nos ressources hydrauliques, que si nous pouvons manger bio (et encore), parce que notre terre est un cloaque, il est impossible de changer l'air que l'on respire – et ce ne sont pas des masques portés 24 heures sur 24 qui sauveront nos poumons? Que/qui faut-il pour que l'on prenne conscience du coût réel, et exorbitant, de ces incinérations à ciel ouvert, de la facture médicale qui ne peut que centupler le déficit de la CNSS, de tous ces congés-maladie qui vont rouiller la chaîne du travail? Que/qui faut-il pour accepter l'idée qu'un règlement du conflit syrien ou de la guéguerre saoudo-iranienne, qu'un assainissement de la politique des axes, peuvent aboutir avant que nous Libanais réussissions à prendre notre destin en main ?
Que/qui faut-il pour qu'une ou un Erin Brockovich s'en aille en guerre contre le système ; qu'un(e) avocat(e) génial(e) l'accompagne jusqu'au bout, qu'un(e) juge-miracle prononce un verdict qui fera enfin jurisprudence, que l'État soit obligé de fermer 1, puis 3, puis 100, puis la totalité de ces 600 décharges sauvages, voire plus, dont au moins 150 brûlent régulièrement, surtout dans les régions les plus défavorisées du Liban ?
P.-S. : le week-end dernier est décédé l'un des deux, ou trois, derniers géants du théâtre libanais. S'il avait eu du temps, Jalal Khoury aurait peut-être pu écrire, mettre en scène et même interpréter un pamphlet salutaire, libératoire, contre cette chronique d'une mort annoncée. La nôtre. Et comme presque toujours, Jalal Khoury aurait fouetté nos consciences. Elles en ont sacrément besoin.
commentaires (5)
Je vous félicite pour ce pamphlet , pour une chose au moins , vous ne condamnez en rien le hezb résistant libanais ....et pourtant c'est pas l'envie qui vous en a manqué. ..lol..
FRIK-A-FRAK
12 h 48, le 04 décembre 2017