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Ingérences ou obédiences ?

Ils s'étaient juré de ne rien voir et rien entendre, décrétant nuls et non avenus les propos d'un Saad Hariri visiblement privé de sa liberté de parole comme de mouvement. Bonnes âmes, ils étaient même intervenus auprès de plusieurs chaînes de télévision afin qu'elles s'abstiennent de retransmettre l'interview du Premier ministre démissionnaire, ce qui en atténuait, disaient-ils, le néfaste impact sur la population.


Vous pensez bien, en revanche, que carrés dans leur fauteuil, présidents, ministres et autres dirigeants n'en ont pas perdu une miette, eux. N'en croyant pas leurs yeux et leurs oreilles, les voilà maintenant à applaudir à une prestation au ton mesuré, empreinte tout à la fois de fermeté et de pragmatisme ; bien différente, en tout cas, du violent réquisitoire contre l'Iran et ses protégés libanais que proférait le 4 novembre Hariri en rendant son tablier.


Plus que toute autre partie, le président Michel Aoun a tout lieu de se féliciter de ce qu'il faut bien appeler un virage prononcé, sinon un revirement ; mais plus que tout autre aussi, le chef de l'État est tenu de renvoyer avec résolution et adresse la balle qui a atterri très précisément à ses pieds. En affirmant sa détermination à sacrifier au rite d'une démission écrite matériellement remise à la main à qui de droit, Saad Hariri ne fait pas que se plier aux règles, il fait également preuve de considération et de respect pour la fonction présidentielle, et même d'une surprenante affection pour l'homme qui en a la charge. Le leader sunnite laisse par ailleurs la porte ouverte à un retrait de sa démission et à une réactivation du marché qui, il y a un peu plus d'un an, le ramenait au pouvoir en même temps qu'il hissait Aoun à la présidence. Il reste que pour le leader sunnite, cette double remise à flot demeure étroitement tributaire d'une remise en ordre, d'une codification nouvelle de l'action étatique, d'une vigoureuse opération de rééquilibrage affectant particulièrement une diplomatie libanaise par trop complaisante, ces dernières années, pour l'Iran et la Syrie de Bachar el-Assad. Cette démarche obtenait, hier, l'importante caution morale du patriarche maronite effectuant une visite historique au royaume wahhabite, durant laquelle il a rencontré Hariri.


Ne nous y trompons pas : ce qui, au stade actuel du moins, est au cœur de la question, ce n'est pas le vieux débat sur l'armement du Hezbollah ; en poussant un peu loin le bouchon, ce n'est pas davantage l'immixtion de la milice dans les combats de Syrie, lesquels, en effet, semblent tirer à leur fin. C'est sur son flanc yéménite, autre théâtre de l'aventurisme effréné de la milice, que l'Arabie saoudite s'estime gravement menacée et de surcroît trahie. Voilà pourquoi c'est un test décisif qui attend le Liban (et sa très théorique politique de neutralité) lors de la toute prochaine réunion extraordinaire de la Ligue arabe réclamée par Riyad, et dont l'objet est de faire barrage à l'expansionnisme de Téhéran.


En attendant, le plus pressé est le retour au bercail de celui qui, jusqu'à nouvel ordre, reste le chef du gouvernement libanais : souhait devenu aujourd'hui quasiment universel et que l'Arabie est pratiquement tenue de satisfaire. Non moins vaste est le consensus occidental très vite apparu sur la nécessité, pour les diverses puissances régionales, de cesser toute interférence dans les affaires de notre pays ; dès lors, c'est en quelque sorte au secours de la victoire que vole le ministre des Affaires étrangères en sillonnant l'Europe, au lieu que de revoir attentivement sa copie en prévision des prochaines assises arabes.


La non-ingérence des étrangers, c'est fort bien. Le non-suivisme des Libanais, ce serait infiniment mieux.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Ils s'étaient juré de ne rien voir et rien entendre, décrétant nuls et non avenus les propos d'un Saad Hariri visiblement privé de sa liberté de parole comme de mouvement. Bonnes âmes, ils étaient même intervenus auprès de plusieurs chaînes de télévision afin qu'elles s'abstiennent de retransmettre l'interview du Premier ministre démissionnaire, ce qui en atténuait, disaient-ils,...