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Liban - Médias

Comment le poids de l’image peut renforcer les fausses nouvelles

Le photojournaliste syrien Ammar Abd Rabbo décrypte l'utilisation des clichés utilisés pour déformer la réalité à des fins idéologiques ou sensationnalistes.

Le photojournaliste Ammar Abd Rabbo.

Plaidant pour une éthique relative aux photographies récoltées sur les terrains de guerre, le photojournaliste Ammar Abd Rabbo – auteur de Alep : à elles eux paix (2016), chevalier de l'ordre des Arts et Lettres en 2017 – a présenté des cas d'école dans les locaux d'A+ studios, jeudi dernier, à Gemmayzé, lors d'un événement organisé par le Beirut Center of Photography. Les errements de la profession et les photomontages les plus récentes ont été abordés.

D'emblée, il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur « les médias » de façon générale, mais au contraire de souligner l'importance d'une éthique de la profession. « Les médias et les journalistes sont attaqués au quotidien, l'argument complotiste récurrent invoqué ("il y a quelque chose que les médias nous cachent") accompagne régulièrement la diffusion de fausses images. Parallèlement, le succès des blogs et des "médias alternatifs" a renforcé le phénomène de fake news », souligne Abd Rabbo.

 

Lignes rouges
Le photographe a rappelé quelques règles évidentes, soulignant « qu'un photojournaliste doit éviter de mettre en scène les personnes ou l'environnement capturé. Il doit aussi s'abstenir de prendre part aux actions photographiées ». L'exemple le plus récent concerne Ali Arkady, un photographe kurde récompensé au Prix Bayeux Calvados des correspondants de guerre. Il avait participé à la torture de prisonniers de Daech retenus en Irak et les avait pris en photo. Les clichés avaient suscité une vive polémique. « Il vaut mieux avoir une photo honnête et imparfaite qu'une photo parfaite et manipulée », relève M. Abd Rabbo.

« La croyance qu'une photo ne peut mentir est répandue, mais un photojournaliste peut faire transparaître son opinion dans son travail en choisissant un cadrage particulier », ajoute-t-il. En 2015, l'auteur d'une série de photos sur la ville de Charleroi, en Belgique, avait été primé par le World Press Photo avant que la mise en scène ne soit découverte. Afin de donner une impression lugubre, les images avaient été sélectionnées et obscurcies.

Retour sur des faux historiques
Des photos mythiques qui ont marqué l'histoire n'échappent pas aux manipulations. Afin de rendre compte de l'intensité des bombardements israéliens sur Beyrouth en 1982, un photographe de l'agence Reuters avait cru bon d'amplifier les nuages de fumée au-dessus de la capitale. Une fois révélée, la supercherie permit à Israël de tirer la couverture à son avantage sur la scène médiatique. Un autre cliché célèbre illustre la victoire soviétique sur le nazisme, montrant un drapeau de l'URSS flottant sur le Reichstag. Cette photo avait elle aussi été trafiquée à des fins de propagande politique.

Du côté des manipulations de photos politiques, la presse égyptienne avait en son temps interverti la tête du dictateur déchu Hosni Moubarak avec celle de Benjamin Netanyahu et Barack Obama, le présentant en avant-plan, le « raïs » ne pouvant être présenté en arrière-plan comme un leader de second rang.

 

Images vectrices de discours de haine
Outre les excès et erreurs des photojournalistes, les créateurs anonymes de photomontages ont pu profiter de l'espace offert par le web pour les propager. Plus pernicieuses, de vraies photos présentées dans un faux contexte sont plus facilement crédibles aux yeux d'un public fantasmant sur l'inconnu. Par exemple, des femmes chiites prises en photo lors d'une procession relative à Achoura à Nabatiyé ont été prétendument présentées comme des esclaves yézidis vendues à Daech.

« En Occident, les fausses photos diffusées concernent dans leur grande majorité les musulmans, les réfugiés, les gays, etc. Bref, tout ce qu'on ne connaît pas et dont on peut avoir peur, on peut le trafiquer et le diffuser avec une grande facilité », explique M. Abd Rabbo, parlant aussi « d'une photo raciste présentant des Noirs saccageant un bar en Europe, alors qu'il s'agissait d'un conflit communautaire en Afrique du Sud ». Un autre cliché partagé montre des réfugiés à la frontière slovaque refusant de se nourrir car la nourriture contenait du porc. Or ceux-ci étaient en grève de la faim pour dénoncer leurs conditions de vie.

D'autres photos non retouchées sont légendées de manière trompeuse, à l'instar de l'image d'un jeune garçon blond, « agressé par des musulmans en raison de ses yeux bleus », en réalité mordu par le rottweiler de son père. Abondamment partagée sur les réseaux d'extrême droite ou « fachosphère », le cliché faisait écho à l'arrivée de réfugiés syriens en Europe. « Bon nombre de gens partent de l'idée que la photo ne ment pas. Quand on vous dit "attention, les médias mainstream vous mentent", souvent, c'est pour amener un mensonge», relève l'auteur de la conférence.

 

La photographie, arme des régimes autoritaires
Le poids politique de la photo est également une donnée à ne pas négliger. Des régimes autoritaires essaient parfois de changer la réalité d'un cliché pas suffisamment flatteur. « Tous les régimes arabes ont eu un rapport particulier avec la photo. Souvent, elle est utilisée afin de consolider le culte de la personnalité. On y voit le leader sympathique, jouant avec des enfants, plébiscité par une foule », souligne le photographe. La photo peut être utilisée selon la ligne politique en vigueur à un moment donné. « Dans la Tunisie de Ben Ali, on vous disait "attention, ne prenez pas de femmes voilées", parce que la Tunisie ne devait pas être perçue comme un pays musulman rétrograde, mais plutôt européanisé et moderne. Le photographe devait privilégier les étudiantes dans les universités ou le tramway. » L'instrumentalisation de photos travestissant l'image réelle d'un pays pour l'exporter à l'étranger n'est pas une nouveauté.

L'exemple le plus récent – qui illustre cette réalité tronquée – émane du député français Thierry Mariani, en visite touristique à Damas. La semaine dernière, celui-ci a suscité la controverse en publiant une série de photographies dépeignant (volontairement) l'image idyllique d'une Syrie ravagée par six ans de guerre. « Promenade nocturne, en toute sécurité, dans les rues de Damas... finalement bien plus propres que nos rues de Paris en fin de journée ! » Empreints d'orientalisme, les clichés montrent également douceurs orientales, souks et « cavernes de Ali Baba ».

Concernant son pays natal, Ammar Abd Rabbo explique « qu'aujourd'hui, un photojournaliste ne peut pas montrer de quartier pauvre ou délabré. Toute sa production est contrôlée. Il ne peut pas non plus montrer des quartiers riches – ceux-ci abritant les généraux et dignitaires – ni la sortie d'une mosquée – présentant trop de religieux – ni de night-clubs – renvoyant une image de débauche et de prostitution. Le photojournaliste doit donc naviguer dans cet univers, et si on regarde la production de grandes agences comme Reuters ou l'AFP, quelque chose de neutre et de transparent en ressort : on voit des gens qui lisent le journal dans un café, à la montée de Jabal Qassioun ou dans les souks bien achalandés de la vieille ville. C'est une espèce de vitrine de normalité. Le photojournaliste doit-il alors y aller et jouer le jeu, ou s'abstenir d'y mettre les pieds ? » Chaque photographe a ses propres ressorts, il y a la photo rêvée, la photo bannie menant à la prison et puis la photo possible », constate-t-il.

Il existe cependant des solutions pour éveiller à l'esprit critique. « Pour lutter contre ces travestissements, il faut aller dans les écoles pour sensibiliser le jeune public, tout en renforçant le respect d'une déontologie propre au photojournalisme », selon Ammar Abd Rabbo.

Enfin, des photos de personnalités présentées dans des postures saugrenues peuvent faire penser à un montage, bien que cela ne soit pas le cas. « Ce fut le cas d'une photo de Donald Trump, installé dans une voiture de sport et attendant son épouse Melania, enceinte et en bikini sur le pont d'un avion de ligne », s'est amusé Ammar Abd Rabbo, concluant sa présentation sur ce cliché surréaliste.

 

Pour mémoire

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Plaidant pour une éthique relative aux photographies récoltées sur les terrains de guerre, le photojournaliste Ammar Abd Rabbo – auteur de Alep : à elles eux paix (2016), chevalier de l'ordre des Arts et Lettres en 2017 – a présenté des cas d'école dans les locaux d'A+ studios, jeudi dernier, à Gemmayzé, lors d'un événement organisé par le Beirut Center of Photography. Les...

commentaires (1)

dans l'espoir que nos journeaux et autres medias en prennent compte, fassent de leur mieux pour FILTRER leurs nouvelles d'ou qu'elles proviennent, y compris- je dirais surtout- les grandes agences ,ou chaines de tele int'l . a commencer par-un exemple parmi beaucoup d'autres- ne jamais rapporter ce que AL AKHBAR ecrit ds son torchon.

Gaby SIOUFI

10 h 38, le 15 novembre 2017

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Commentaires (1)

  • dans l'espoir que nos journeaux et autres medias en prennent compte, fassent de leur mieux pour FILTRER leurs nouvelles d'ou qu'elles proviennent, y compris- je dirais surtout- les grandes agences ,ou chaines de tele int'l . a commencer par-un exemple parmi beaucoup d'autres- ne jamais rapporter ce que AL AKHBAR ecrit ds son torchon.

    Gaby SIOUFI

    10 h 38, le 15 novembre 2017

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