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Liban - Photojournalisme et éthique

Ammar Abd Rabbo : Un seul cliché peut entacher toute une rédaction

« Y a-t-il de l'information dans le fait de montrer une personne qui sanglote parce que son fils de 20 ans vient de mourir ? » se demande le photographe.

Le photographe et journaliste Ammar Abd Rabbo. Photo D.R.

Photographe de presse et journaliste reconnu aussi bien en Europe qu'au Moyen-Orient, Ammar Abd Rabbo s'est confié à L'Orient-Le Jour sur son travail ainsi que sur les défis rencontrés par le photographe qui navigue sans cesse entre les multiples tentations de l'image et le respect de l'éthique photographique.

Ammar Abd Rabbo, qui se penchera vendredi, à 19h, sur l'éthique dans le reportage photo, lors d'une conférence organisée par le Beirut Center of Photography (BCP) à l'Institut français, revient sur la responsabilité de vérité qui incombe au photographe.

« Le photographe est investi d'une mission de vérité par le public, souligne-t-il. Ce dernier part du principe que la photo ne ment pas et qu'elle va lui montrer des choses réelles sans les travestir. La première chose qui vient à l'esprit des gens quand on parle d'éthique, c'est le logiciel Photoshop qui permet de retoucher des images, de changer certaines réalités. Ces "retouches" semblent parfois mineures, elles n'ont l'air de rien, mais c'est déjà un premier acte de tricherie. Il faut respecter les faits et les personnes, ainsi que le public. »

Le respect de l'éthique suppose beaucoup de vigilance, surtout lorsque les images proviennent de sources à la fiabilité incertaine, journalistes citoyens (donc « nouveaux journalistes » n'ayant pas eu la formation nécessaire) ou même parfois des amateurs. « Aujourd'hui, les médias ont de plus en plus recours aux photos d'amateur par mesure d'économie ou parce qu'il s'agit de zones dangereuses dans lesquelles elles ne veulent pas envoyer de photographes professionnels. Cela a été le cas lors des révoltes arabes, explique M. Abd Rabbo. Parfois, les personnes qui ont pris les photos sont des militants qui ont des messages précis à faire passer. Il faut être vigilant car il peut y avoir manipulation. Un seul cliché peut entacher toute une rédaction. »
Mais comment faire pour repérer une photo retouchée ? Si les grandes rédactions possèdent des outils sophistiqués leur permettant de vérifier le lieu ou la date d'un cliché ainsi que les retouches apportées, le grand public, lui, peut vérifier si la photo a déjà été publiée sur Google Images ou sur des sites spécifiques (Tineye). Ammar Abd Rabbo met en garde contre la circulation de photos associées à de fausses légendes et recommande de « vérifier avant de s'insurger ».

 

(Pour mémoire : Quand les médias libanais plongent dans l'indécence)

 

 

Entre émotions et informations
« La question de l'éthique dans le domaine de l'image est apparue avec le média et son influence sur le public... Elle a notamment été posée après l'attentat de Lockerbie en 1988 », estime le photographe. Ce jour-là, une bombe explose dans un avion assurant la liaison Londres-New York en plein vol, au-dessus du village écossais de Lockerbie, et aucun des passagers n'est épargné. « Les télés anglaises s'étaient ruées vers l'aéroport où les familles étaient venues pour avoir des nouvelles de leurs proches, raconte Ammar Abd Rabbo. C'est à ce moment-là que l'on a commencé à se demander s'il y avait de l'information dans le fait de montrer une personne dont le fils de 20 ans vient de mourir, et qui sanglote ou explose en colère. En termes d'émotions, c'est le top, mais en termes d'informations, c'est zéro. Je ne pense pas que ça soit aux médias de flatter ce côté voyeur. »

Le même débat est aujourd'hui ouvert sur les photographies en provenance de Syrie. « J'essaie d'expliquer à mes amis photographes à Alep pourquoi il n'est pas acceptable de publier des clichés montrant des cadavres. Pour eux, ces photos doivent être publiées pour raconter ce qu'ils vivent, alors qu'on peut certainement comprendre l'horreur sans voir cela », souligne le photographe.

Prenant l'exemple des photographies ou vidéos de Daech, Ammar Abd Rabbo fait remarquer qu'« aujourd'hui en Europe, la plupart des médias ne diffusent plus le matériel produit par Daech mais en informent le public pour respecter son droit à l'information sans pour autant lui donner à voir des scènes particulièrement violentes ou humiliantes ».

Questionné sur la diffusion de photographies de cadavres ou de restes humains dans la presse libanaise, Ammar Abd Rabbo reste choqué, douze ans plus tard, par la publication par un grand nombre de médias de l'image de la dépouille mortelle, défigurée et démembrée, du Premier ministre Rafic Hariri, tué par une explosion qui avait visé son convoi en 2005. « Cette photographie n'a rien apporté à l'information, qui était celle d'un attentat qui allait changer l'histoire du pays », analyse-t-il.

Le débat autour de ce genre de photographies a été récemment relancé en France, après la une très polémique du quotidien Libération qui représentait, en avril dernier, des enfants morts en Syrie. « Nous n'avons pas vu les morts de l'attentat du Bataclan (novembre 2015) mais les enfants syriens de Khan Cheikhoun ont été exposés en une de Libération. Les petits Syriens n'ont-ils pas droit à la dignité à laquelle les Européens ont droit ? C'est une question qui mérite d'être posée », conclut le photographe.

 

 

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