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Liban - Vie académique

« Travaux et Jours », ou la rencontre, avec Antoine Courban, entre l’université et la cité

Le nouveau rédacteur en chef de la revue pluridisciplinaire de l'USJ participe ce soir au Salon du livre à une table ronde avec Alain Gresh et Rita Bassil, en s'appuyant sur les deux numéros thématiques publiés cette année : le premier sur le Cénacle libanais, le second sur l'Orient chrétien après Byzance.

Antoine Courban. Photo Michel Sayegh

À l'image du Cénacle libanais, auquel était dédié son premier numéro de l'année, à l'image aussi de Beyrouth, « tribune du dialogue », comme l'écrit le professeur Antoine Courban, la revue pluridisciplinaire de l'Université Saint-Joseph, Travaux et Jours, se veut la rencontre de l'université et de la cité, du politique et de la pensée libre et plurielle.

À la nuance près que l'expression des idées, y compris celles qui s'entrechoquent, devra servir désormais à dépasser la réflexion sur le pacte national de 1943, fil conducteur des causeries du Cénacle, pour mettre à jour la formule libanaise dans le sens plus profond du vivre-ensemble. C'est-à-dire la quête consentie entre Libanais d'une citoyenneté commune, pensée par-delà les communautés. Un thème cher à M. Courban, qui succède à feu Mounir Chamoun au poste de rédacteur en chef de la revue – avec un souci avéré d'en renouveler la forme : l'esthétique de la revue a été égayée et le choix fait de publier des numéros thématiques.

Le premier numéro est sous-tendu par une prise de conscience que le passage vers le vivre-ensemble ne sera pas complet tant que les écueils de la mise en œuvre du pacte national ne sont pas repérés et explicités. Le second numéro qui vient de paraître sur l'Orient chrétien répond implicitement à l'enjeu de démasquer les archaïsmes et/ou préjugés religieux pour faire face à la montée aux extrêmes.

D'abord, le numéro titré « Cénacle libanais et identité nationale » revisite ces conférences publiques de 1946 à 1974, pour mieux en cerner le legs, mais aussi les erreurs. En guise d'échantillon de cette époque de fermentation politico-culturelle, est publié le texte inédit d'une conférence donnée par René Habachi sur « Nazem Hikmat, une invitation à la poésie ». Dans son article « Beyrouth, le Cénacle libanais et l'unité politique », Antoine Courban assimile cet auditoire à « une sorte de condensé de facto de l'État libanais lui-même », dans le sens de la « recherche du bien commun dans la vie publique » qu'intellectuels et politiques menaient de pair. C'est ce qui a habilité le Cénacle à « donner le ton de la vie publique, de l'édification de l'État, de la compréhension de l'identité nationale et de l'allégeance citoyenne ». Le débat d'intérêt général trouvait ici son rôle de générateur des normes visant à assurer aussi bien la cohésion que l'évolution de la société, soit, en somme, l'unité politique. En revanche, le Cénacle n'a pas réussi à identifier le fondement exact de cette unité : « Est-ce l'identité ? Est-ce la loi ? Est-ce le territoire ? » s'interroge M. Courban, en constatant que « le Liban du Cénacle se composait plutôt de "libanismes" multiples ». L'un de ces « libanismes » serait la « libanologie » qui veut que le Liban obéisse à « une science » presque hermétique qui lui est propre – c'est ce qu'explore le chercheur Amine Élias dans l'un de ses articles. Un autre « libanisme » serait la libanité de Michel Chiha, celui qui doit substituer à la prévalence des identités de groupe la constitution d'une citoyenneté autonome.

C'est cette pensée qui aura inspiré, dans l'après-guerre, la dynamique du Comité national du dialogue islamo-chrétien, espace d'affranchissement de la violence identitaire et de la logique clanique, et lieu de progression vers l'État de droit.

La question persiste toutefois de savoir comment le Cénacle, cet espace de dialogue de premier plan, n'a pas réussi à prévenir la guerre de 1975. Cet échec est passé au crible dans la revue Travaux et Jours, notamment par Joseph Maïla. Celui-ci constate que le pacte national de 1943 a été compris dans le sens réducteur d'un accord de coexistence plutôt que de déclaration d'une volonté commune de se lier par la confiance et par un même projet d'État. La « peur » de l'autre viendra ainsi affaiblir les mécanismes institutionnels, en confondant consensus et compromission, comme le décrit Antoine Messarra dans son article. Et c'est un peu pour déconstruire la peur de l'autre que Ali Kazwini-Husseini explore pour sa part « le lien entre langue et politique », une manière de surmonter les schèmes communautaires traditionnels en se plaçant sur le terrain très peu exploré, voire méconnu, de la « francophonie chiite ».

 

L'Orient chrétien après Byzance
Le second numéro de Travaux et Jours se tourne spécifiquement vers les chrétiens et leur histoire dans cette région du monde, sous le thème « Orient chrétien après Byzance ». Le cheminement des chrétiens dans un contexte oriental est décrit par le recteur de l'USJ, Salim Daccache, s.j., qui s'appuie sur l'exposition « Chrétiens d'Orient. Deux mille ans d'histoire », en cours à l'Institut du monde arabe de Paris. Recenser le passé pour mieux gérer les défis présents, se souvenir de ses racines pour s'apaiser face à la violence générale. C'est ainsi que Salim Daccache conclut sur une note d'optimisme. Il y a une rupture implicite avec l'évocation victimaire d'une persécution des chrétiens – même si, comme le signale Antoine Courban dans son éditorial, l'enjeu du numéro n'est pas de pointer du doigt l'exploitation politique de la situation des chrétiens en Orient, mais d'« enrichir la compréhension de (leur) présence dans l'Orient méditerranéen après la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453 », en faisant à l'évidence le lien avec l'actualité.

Le système ottoman des millets pour la gestion de la pluralité est décrypté par Pedro Bádenas de la Peña, sous l'angle des rapports entre Église et pouvoir, entre identité religieuse et identité nationale. C'est en outre un regard grec, incarné par Pantelis Kalaitzidis, qui est posé sur la perspective d'une modernisation de la pensée orthodoxe, celle-ci étant présentée comme appelant au renouveau et à l'ouverture sur le monde. Enfin, le renouveau de la culture arabe et la contribution des chrétiens à cette fin sont exposés dans un portrait du maître Boutros el-Boustani, Arabe chrétien maronite, et une synthèse de son œuvre, faite par Amine Élias.

Ces deux numéros de Travaux et Jours s'inviteront ce soir au Salon du livre, en tant qu'outils d'éclairage sur « le rôle des intellectuels dans notre monde », thème de la table ronde présentée à 19h45 par Antoine Courban avec le journaliste Alain Gresh (qui a contribué au second numéro) et Rita Bassil, secrétaire de rédaction de la revue.

 

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À l'image du Cénacle libanais, auquel était dédié son premier numéro de l'année, à l'image aussi de Beyrouth, « tribune du dialogue », comme l'écrit le professeur Antoine Courban, la revue pluridisciplinaire de l'Université Saint-Joseph, Travaux et Jours, se veut la rencontre de l'université et de la cité, du politique et de la pensée libre et plurielle.
À la nuance près que...

commentaires (2)

merci pour cet article cible comme toujours....

Soeur Yvette

16 h 53, le 09 novembre 2017

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • merci pour cet article cible comme toujours....

    Soeur Yvette

    16 h 53, le 09 novembre 2017

  • Je précise que Monsieur Alain GRESH n'a pas directement participé au numéro 91 comme l'article le laisse sous-entendre. Le numéro 91 qui vient de paraître comporte une recension de l'ouvrage d'Alain Gresh et Hélène Algeduer (Israel-Palestine) ainsi qu'une brève biographie de Gresh.

    COURBAN Antoine

    08 h 25, le 09 novembre 2017

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