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Au bal des modérés

Le président iranien Rohani passe généralement pour un conservateur modéré ; aux yeux des Occidentaux, c'est lui qui tient le rôle du gentil, face aux excités de Téhéran. C'est pourtant le même Rohani, et non son ombrageux guide suprême ou bien quelque général des gardiens de la révolution, qui se gargarisait, l'autre jour, de l'influence sans précédent que s'est forgée l'Iran aux quatre coins du monde arabe. Citant entre autres pays le Liban, il soulignait que rien de sérieux ne pouvait y être entrepris sans que soit pris en compte le point de vue de la République islamique.

Il serait bien difficile de le contester, hélas. Mais si Hassan Rohani peut certes espérer donner du cœur à l'ouvrage à ses fidèles libanais, il n'a fait qu'indisposer – pire insulter – le reste de la population de ce pays. En même temps que ses bonnes manières, c'est sa sûreté de jugement qu'il a perdue, l'espace d'une apparition télévisée : toutes choses que ne pouvait sans doute se permettre de relever le Premier ministre Saad Hariri, dans sa réponse indignée (et tweetée) à l'Iranien.

Il faut dire que davantage qu'aux Libanais, Syriens, Irakiens et autres, c'est à l'Amérique que s'adressait aussi immodéré étalage d'influence : l'Amérique, à l'heure où elle s'employait, ces derniers jours, précisément, apparemment sans succès, à rétablir l'ordre et l'entente entre ses alliés du Golfe, en vue d'endiguer les débordements iraniens ; l'Amérique encore, qui remet en cause l'accord sur le nucléaire iranien et envisage d'adopter une nouvelle charretée de sanctions contre Téhéran ; l'Amérique enfin, qui a tenu, cette année, à donner un éclat particulier à la commémoration annuelle de l'attentat du 23 octobre 1983 dans lequel périrent 241 marines dans une caserne de Beyrouth. Car non seulement le vice-président Mike Pence a accusé l'Iran d'avoir organisé l'attentat, mais il a pratiquement fait de cette hécatombe l'acte fondateur – la salve d'ouverture, a-t-il affirmé – d'une terreur faisant volontiers appel à des candidats au suicide. Pour Washington, ce rappel en forme de sentence a un double objet :

* démystifier le discours de l'Iran et du Hezbollah qui prétendent s'être portés au secours du régime syrien au nom de la lutte contre le terrorisme islamiste ;

* et bien montrer que la cible de la mission antiterroriste dont se disent investis les États-Unis ne se limite guère à l'État islamique du pseudo-calife al-Baghdadi : tout cela se déroulant périlleusement sur fond d'échanges d'accusations et de menaces entre Israël et la milice pro-iranienne...

Pour en revenir à cette denrée rare qu'est la modération dans cette partie du monde, c'est curieusement d'Arabie saoudite, berceau du wahhabisme, que nous vient une salutaire, et visiblement sérieuse, promesse de changement. Elle est le fait du jeune prince héritier Mohammad ben Salmane, qui s'exprimait hier au cours d'un vaste forum ; poursuivant, avec une vivacité et une audace sans précédent, sa campagne contre les instances religieuses ultraconservatrices, le prince a appelé à une Arabie modérée et ouverte où seraient détruites les idées extrémistes ; où la religion signifierait tolérance et bonté; où il ferait bon vivre pour les jeunes. Voilà bien la foi, la vraie, même si, pour son singulier porte-étendard, elle n'est pas dénuée de risques.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Le président iranien Rohani passe généralement pour un conservateur modéré ; aux yeux des Occidentaux, c'est lui qui tient le rôle du gentil, face aux excités de Téhéran. C'est pourtant le même Rohani, et non son ombrageux guide suprême ou bien quelque général des gardiens de la révolution, qui se gargarisait, l'autre jour, de l'influence sans précédent que s'est forgée l'Iran...