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La mémoire du crime

N'en déplaise aux amateurs de proverbes, qui va lentement ne va pas toujours sûrement. Preuve en est l'incroyable odyssée vécue par le budget, pourtant l'un des outils les plus indispensables que puisse détenir tout gouvernement digne de ce nom.

Mais comment donc s'y est-on pris, douze années durant, pour gérer (ah, le grand mot !) dépenses et recettes publiques sans la moindre feuille de route ? C'est simple, on a fait comme on fait couramment pour tout le reste : on a bricolé, on a même triché, contournant les règles constitutionnelles à coups d'avances du Trésor, de crédits prélevés hors prévisions, de ponctions sur le douzième provisoire et d'autres artifices comptables qui frisaient souvent l'escroquerie. Même pour voter ce budget émergeant enfin des limbes, on aura allègrement violé, ultime hérésie, le texte fondamental, en se passant de tout arrêt de bilan. Nous voici repartis, du coup, pour un nouvel exercice budgétaire, une nouvelle et chaotique randonnée sur les chemins de l'improvisation, de la médiocrité et de la désinvolture.

Mieux vaut tard que jamais, se consolera-t-on en revanche, au spectacle de l'exploit qu'accomplissait hier même cette autre tortue, la justice, en condamnant par contumace à la peine capitale l'organisateur et l'exécutant de l'attentat à la bombe de 1982 qui emporta le président élu Bachir Gemayel et 23 autres personnes. Malgré son immense retentissement, cette affaire n'avait été pour ainsi dire décongelée qu'il y a un peu plus d'un an à l'insistance d'un régime visiblement soucieux de ratisser large dans la rue chrétienne ; s'ouvrait alors un procès en règle devant une des plus hautes instances de la République, la Cour de justice.

De cette tardive célérité, on ne peut, certes, que se féliciter. Si elle ne ramène pas à la vie le jeune et charismatique disparu et ses compagnons, la sentence a de quoi mettre du baume au cœur de leurs familles cruellement atteintes, d'abord par le choc de la tragédie, puis par la léthargie de la machine judiciaire. Du baume donc, mais quoi d'autre, dans un pays où l'assassinat politique s'est vu promouvoir en moyen d'action par certaines formations opportunément alliées à des régimes étrangers, eux-mêmes assassins ? Quoi d'autre, dans un Liban qui se pose en modèle de démocratie et de coexistence, mais où l'on a vu le deuil des uns faire la jubilation des autres? Un Liban où l'on continue de voir certains puissants accorder asile et protection, traiter en héros des tueurs recherchés par la justice, qu'elle soit internationale ou locale ? Un Liban où un parti ayant pignon sur rue manifestait hier son soutien aux tristes vedettes de l'attentat ? Un Liban enfin où, à sa grande honte et celle de la profession, il se trouve même un journal, au demeurant engagé, pour publier fièrement une interview-fleuve du meurtrier de Bachir Gemayel ?

Notez bien que l'énormité de la chose n'a pas échappé au ministre de la Justice qui a rappelé – mais sans plus – les dispositions de la loi interdisant tout contact de ce genre avec des personnes faisant l'objet de recherches policières. Le ministre se propose bien de s'enquérir, auprès du journal, du lieu de résidence du fugitif et d'en demander éventuellement l'extradition. Les excellentes dispositions que voilà ; mais quid de l'inqualifiable scoop, Excellence ?

 

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

N'en déplaise aux amateurs de proverbes, qui va lentement ne va pas toujours sûrement. Preuve en est l'incroyable odyssée vécue par le budget, pourtant l'un des outils les plus indispensables que puisse détenir tout gouvernement digne de ce nom.
Mais comment donc s'y est-on pris, douze années durant, pour gérer (ah, le grand mot !) dépenses et recettes publiques sans la moindre feuille...