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Moyen Orient et Monde - Défense

Pourquoi la Turquie a-t-elle choisi d’acheter des missiles russes ?

Ankara a tourné le dos à ses traditionnels fournisseurs occidentaux pour sa défense antiaérienne, Moscou étant en accord avec ses conditions de livraison pour 2020.

Des missiles S-400 pendant la parade militaire du « Jour de la victoire » à Moscou. Photo Reuters

Le rapprochement entre Moscou et Ankara ne semble pas prêt de s'interrompre. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, défendait récemment encore le contrat d'achat de missiles russes sol-air S-400 signé en septembre, pour un montant estimé à 2,5 milliards de dollars. « Dans nos discussions avec (le président russe Vladimir) Poutine, nous n'envisageons pas de nous arrêter aux S-400. Nous discutons également des S-500 », a-t-il déclaré.

Bien qu'étant la deuxième armée de terre de l'OTAN après l'armée américaine, la Turquie se détourne ainsi de ses alliés naturels, avec qui ses liens se font de plus en plus fragiles. La nouvelle préoccupe grandement les Occidentaux alors que les relations entre l'organisation atlantique et Moscou se sont fortement dégradées depuis 2014 lors de l'annexion de la Crimée par la Russie.

« Nous prenons seuls les décisions relatives à notre souveraineté », a souligné M. Erdogan lors d'un entretien accordé au journal Hürriyet, suite à l'annonce de la signature du contrat. « Pourquoi cela provoquerait-il des tensions ? Un pays devrait être à la recherche des moyens idéaux pour sa propre sécurité », avait déjà lancé le président Erdogan en juillet face aux législateurs membres de son camp, le Parti de la justice et du développement (AKP).

Cette vente est le fruit d'un long processus suite à un appel d'offres lancé en 2013 par Ankara pour s'équiper de missiles antiaériens à longue portée. Rosoboronexport, l'agence russe chargée des exportations d'armement, s'était alors jointe aux américains Raytheon et Lockheed Martin, au consortium franco-italien Eurosam et à la firme chinoise China Precision Machinery Export-Import Corporation (CPMIEC). Le contrat d'armement, d'un montant de 3,4 milliards de dollars, avait été attribué à CPMIEC en 2013, provoquant l'étonnement des parties à l'appel d'offres, avant d'être annulé en 2015 sous les pressions américaines et de relancer les négociations.

 

(Pour mémoire : Poutine et Erdogan accordent, encore, leurs violons)

 

« Coopération pragmatique »
Le choix de se porter vers Moscou pour enrichir son arsenal militaire permet à la Turquie d'acquérir une certaine indépendance. Ankara ne dispose pas d'un système de défense antiaérien propre et dépend de ceux des forces occidentales sur son territoire. La décision turque s'inscrit également dans la continuité de la réconciliation avec le Kremlin entamée par M. Erdogan suite au putsch manqué de juillet 2016.
Le passé des relations russo-turques a pourtant toujours été tumultueux. Depuis le XVIIe siècle, les rapports entre la Russie des tsars et l'Empire ottoman, puis au-delà, entre l'URSS et la Turquie moderne ont été souvent conflictuels. La guerre syrienne débutée en 2011 n'est que le dernier avatar de la rivalité entre les deux puissances : les Russes et Bachar el-Assad d'un côté, les Turcs et les rebelles syriens de l'autre.

Mais, à la surprise de tous, le coup d'État manqué en juillet 2016 en Turquie ouvre la voie à une réconciliation avec le Kremlin. Ce rapprochement est complété par une entente entre Moscou et Ankara sur le terrain en Syrie. Les deux camps font des concessions l'un à l'égard de l'autre : M. Erdogan se fait moins intransigeant sur le départ de Bachar el-Assad, la Russie infléchit son soutien aux Kurdes de Syrie, bête noire d'Ankara.

Suite au refroidissement des relations entre la Turquie et ses alliés occidentaux, la signature d'un contrat militaire a donc été vue comme un acte de défiance à l'égard de l'OTAN par de nombreux observateurs.
« Il aurait fallu qu'il y ait un désir de défiance pour pouvoir qualifier ce contrat d'acte de défiance », tempère Sinan Ülgen, président du Centre d'études sur l'économie et la politique étrangère (EDAM) à Istanbul et chercheur associé à Carnegie Europe à Bruxelles, contacté par L'Orient-Le Jour. « La Turquie demeure un membre de l'OTAN, mais elle s'est rendue compte de l'utilité d'une coopération plus pragmatique avec la Russie pour sa sécurité » et pour l'avancée du dossier syrien, analyse le spécialiste.

Ankara est, notamment, avec Moscou et Téhéran, l'un des parrains des négociations de paix sur la Syrie à Astana, débutées en janvier. Des forces armées turques sont déployées en Syrie pour y instaurer des « zones de désescalade » sous la houlette du trio d'Astana, et permettant ainsi aux Turcs d'empêcher une avancée kurde.

 

(Lire aussi : En Syrie, Moscou se vante de son rôle crucial dans la lutte antijihadiste)

 

« Lacune » militaire
« Cependant, il serait naïf d'interpréter cet achat uniquement sous le prisme politique car il y a également un besoin militaire du côté turc », poursuit M. Ülgen. Et pour cause, depuis le coup d'État manqué, l'armée a elle aussi été la cible de purges qui pèsent sur son fonctionnement : 22 000 militaires ont été exclus de l'armée sur un total de 450 000. L'armée de l'air turque, en particulier, fait face à un problème de taille, ayant désormais plus d'avions que de pilotes de chasse : 280 hommes ont été renvoyés sur 600, soit un pilote sur deux. Face à cette pénurie, Ankara s'est vu contraint de rappeler d'anciens pilotes de chasse reconvertis dans l'aviation civile et d'autoriser certains pilotes renvoyés à devenir instructeurs.

« Un soutien technologique pour combler cette lacune s'est révélé nécessaire », soulève l'expert. « La capacité de la Turquie à assurer la sécurité de sa zone aérienne est devenue une priorité après le putsch », rappelle-t-il.
Face au temps limité pour renflouer les moyens à la disposition des militaires, la date de livraison des missiles a par ailleurs été un élément décisif dans le choix de se porter sur Moscou. Une première partie du système de défense antiaérien devrait être livrée en 2020. Ceci est en accord avec les conditions d'Ankara, contrairement aux propositions de dates de livraison faites du côté occidental. Pourtant, Rosoboronexport peine déjà à tenir les délais de son agenda bien chargé avec des commandes déjà prévues pour les armées chinoise et russe.

 

Rapprochement à nuancer
La proximité affichée entre Ankara et Moscou n'est cependant pas à prendre pour argent comptant. « Cela ne veut pas dire qu'il y a un changement d'orientation en ce qui concerne la politique de sécurité de la Turquie », insiste M. Ülgen. « Il s'agit certes pour la Turquie de montrer aux partenaires occidentaux qu'elle peut mener une politique diversifiée, mais Ankara est conscient des limites à sa coopération avec Moscou », précise-t-il. Le matériel militaire russe acheté par la Turquie n'est, en effet, pas compatible avec l'arsenal de ses alliés de l'OTAN. Les négociations avec le consortium Eurosam se poursuivent, par ailleurs, alors qu'un accord préliminaire a été signé le 14 juillet dernier avec la Turquie pour définir « un système de défense aérienne et antimissiles qui sera lancé dans les mois à venir », avait annoncé Eurosam. Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l'OTAN, a par ailleurs confirmé la tenue des pourparlers entre la Turquie, l'Italie et la France pour l'acquisition d'armement similaire.

Et, malgré les propos de M. Erdogan pour défendre le contrat d'armement avec Moscou, le président turc n'a pas pour autant entamé un rapprochement diplomatique avec le Kremlin sur d'autres dossiers. En visite à Kiev la semaine dernière, il a notamment rappelé qu'Ankara ne reconnaîtrait pas l'annexion de la Crimée par la Russie et que la Turquie continuerait à soutenir la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine.

 

Pour mémoire

Ankara englué dans ses alliances contradictoires

Le rapprochement entre Moscou et Ankara ne semble pas prêt de s'interrompre. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, défendait récemment encore le contrat d'achat de missiles russes sol-air S-400 signé en septembre, pour un montant estimé à 2,5 milliards de dollars. « Dans nos discussions avec (le président russe Vladimir) Poutine, nous n'envisageons pas de nous arrêter aux S-400....
commentaires (3)

Allez Recep dis-le bien fort: « TURKEY FIRST »!!! ... (avec les deux bras en l’air faisant chacun le V de la victoire) Ça lui rabattra le caquet au donald...

Gros Gnon

22 h 07, le 12 juillet 2019

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Commentaires (3)

  • Allez Recep dis-le bien fort: « TURKEY FIRST »!!! ... (avec les deux bras en l’air faisant chacun le V de la victoire) Ça lui rabattra le caquet au donald...

    Gros Gnon

    22 h 07, le 12 juillet 2019

  • ET POURQUOI LA SAOUDITE FAIT DE MEME ? C,EST PAR CONSEIL AMERICAIN. IL FAUT APPATER LE RUSSE AVEC DES CONTRATS ALLECHANTS POUR L,AMADOUER AUX MARCHANDAGES EN VUE SUR LA REGION... ET CONTREBALANCER CEUX DE L,IRAN...

    LA LIBRE EXPRESSION

    21 h 15, le 20 octobre 2017

  • Au moyen d’alliances ciblées, la Russie de Poutine cherche clairement à accéder à un statut de dénominateur commun en Méditerranée Orientale et en Méditerranée du sud pour trouver la place dominante qu’elle convoite face à l’Europe. Dans l’esprit de Poutine l’intervention en Syrie, les alliances et les accords avec la Turquie, le Qatar, l'Arabie Saoudite, etc. n’sont que des paramètres dans son équation, où la fin justifie toujours les moyens.

    Moiffak HASSAN

    20 h 08, le 20 octobre 2017

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