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Moyen Orient et Monde - Crise humanitaire

Les enfants, premières victimes au Yémen

Un enfant de moins de cinq ans meurt toutes les dix minutes de causes qui auraient pu être évitées, selon le BCAH.

De petits Yéménites à Sanaa, le 24 janvier 2017. AFP

« Les besoins sont immenses, ils sont partout. » Saara Bouhouche, chef de mission au Yémen au sein de Solidarités International, les énumère les uns après les autres. La liste ne finit plus de s'allonger face à une population qui agonise à travers le pays. « Il n'y a pas de zones sans besoin et il est difficile de répondre à tous car les capacités des organisations sont limitées vu l'ampleur de la crise », déplore-t-elle.

Le conflit yéménite, qui a débuté il y a deux ans et demi, oppose les rebelles houthis et les forces de l'ancien président Ali Abdallah Saleh au gouvernement de Abd Rabbo Hadi. Et ce sont les civils qui payent le prix fort. Enlisé dans une guerre qui s'est désormais installée dans le temps, le Yémen subit « la pire crise humanitaire » depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, selon Stephen O'Brien, le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires des Nations unies. « Toutes les parties au conflit refusent arbitrairement un accès durable aux humanitaires et instrumentalisent l'aide à des fins politiques », avait-il ajouté en mars dernier. La situation n'a fait que s'aggraver depuis. Au mois d'août, ses propos sont devenus bien plus alarmants devant le Conseil de sécurité : « Je suis dans l'incapacité de rapporter des changements significatifs dans la déplorable, mais complètement évitable catastrophe créée par l'homme qui ravage le pays, déclarait-il. Au contraire, la souffrance des Yéménites n'a cessé de s'intensifier. »

 

(Lire aussi : La guerre au Yémen a un visage, celui d'une fillette à l'œil tuméfié)

 

Les plus vulnérables
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU (BCAH), 20,7 millions de personnes ont besoin d'un type d'aide humanitaire. Sept millions de personnes sont au bord de la famine et près de seize millions d'individus ont besoin d'assistance pour avoir accès à l'eau potable.

Bien que l'ensemble de la population soit concernée, les personnes les plus vulnérables sont les premières touchées de plein fouet par la crise, à savoir les enfants et les personnes âgées. Un enfant de moins de cinq ans meurt toutes les dix minutes de causes qui auraient pu être évitées, rapporte le BCAH et près de 462 000 enfants souffrent de sévère malnutrition aiguë.

S'ajoute à cela l'épidémie de choléra qui sévit à travers le pays. Près de 690 000 personnes ont déjà été touchées et le seuil des 850 000 cas de choléra pourrait être atteint d'ici à la fin de l'année, a averti la Croix-Rouge de Genève. Selon Save the Children, un enfant est touché par le choléra chaque minute. Les moyens médicaux sont largement insuffisants alors que près de 50 % des infrastructures de santé ne sont pas fonctionnelles et que le personnel médical est en sous-effectif face à la crise, rapporte l'Unicef. Désespérés, de nombreux parents choisissent de retirer leurs enfants des structures de santé, faute de moyens pour payer les traitements.

Et au-delà de la crise humanitaire, les enfants sont également exposés aux bombardements constants de la coalition menée par l'Arabie saoudite, alliée du gouvernement Hadi. Selon le rapport annuel du secrétaire général de l'ONU de 2016 sur les enfants et les conflits armés, au moins 785 enfants yéménites ont été tués dans les violences armées et 1 168 ont été blessés. 60 % des cas sont le fait de la coalition. Ces éléments avaient valu pour Riyad d'être inscrit sur la « liste de la honte » de l'ONU, qui répertorie les pays et groupes armés qui violent les droits des enfants en temps de conflit. Mais le royaume saoudien a été retiré de la liste peu après suite à ses menaces de geler ses financements de plusieurs agences des Nations unies. Pour autant, de nombreuses organisations continuent de faire un décompte des violations des droits de l'enfant par la coalition. La semaine dernière, HRW a dénoncé à nouveau les attaques menées en juin « de manière délibérée ou irréfléchie » de la coalition tuant 26 enfants, s'apparentant à des « crimes de guerre ». « Les promesses de la coalition pour améliorer la conformité avec les lois de la guerre n'ont pas entraîné une meilleure protection pour les enfants », a poursuivi l'organisation.

Les enfants sont également recrutés par les rebelles houthis principalement. En février, le Haut-Commissariat de l'ONU répertoriait près de 1 500 enfants soldats.

 

(Pour mémoire : « Crimes de guerre » contre les enfants yéménites, dénonce HRW)

 

 

« Fardeau émotionnel »
Pour le BCAH, « la situation humanitaire est susceptible de se dégrader plus encore ». Mais certains chiffres sont encourageants. Avec l'aide des 124 partenaires du BCAH, plus de 5,9 millions d'individus ont reçu un type d'aide humanitaire à travers les 22 gouvernorats du pays, bien que cela reste bien insuffisant.

Les enjeux pour les jeunes générations actuelles et futures sont de taille. Pour le moment, « la priorité n'est malheureusement pas à l'éducation car ils ont besoin d'abord de survivre : il s'agit de marcher jusqu'au puits d'eau qui est à deux heures de leur maison, de travailler pour gagner de l'argent afin de nourrir la famille », explique Saara Bouhouche à L'Orient-Le Jour. Les enfants de cette guerre oubliée sont-ils condamnés à être une génération perdue ? La chef de mission veut rester malgré tout optimiste. « La jeunesse ne peut pas être complètement perdue : les Yéménites ont une capacité de résilience phénoménale », bien que cette tranche de la population soit extrêmement vulnérable, observe-t-elle.

Mais qu'en sera-t-il des traumatismes psychologiques des ces enfants et adolescents ? « En plus de la crise humanitaire, de nombreux enfants assistent à des scènes horribles », souligne Kristine Berckerle, chercheuse spécialisée sur le Yémen et les Émirats arabes unis au sein de HRW. Bien qu'il existe des cellules d'accompagnement psychologique, « beaucoup d'entre eux, une fois devenus adultes, hériteront d'un lourd fardeau émotionnel en raison de la violence physique et mentale vécue pendant l'enfance », écrivait Unicef Canada en 2016. Aujourd'hui, les séquelles psychologiques n'en sont que décuplées.

Une fois le conflit terminé, « il faudra leur laisser l'opportunité de se reconstruire et leur laisser des options pour aider à remettre le pays sur pied », explique Saara Bouhouche. Mettre un terme au conflit dans un premier temps est cependant indispensable. Pour cela, les ONG s'en remettent à la communauté internationale. « Bien que des États soient montés au créneau pour condamner les violations du droit international, les réactions restent trop dispersées », souligne Kristine Beckerle. « Il faut être clair sur le fait que ces comportements sont inacceptables et que l'impunité ne doit pas régner », insiste-t-elle.

 

 

Pour mémoire

Au moins 14 personnes, dont des enfants, tuées dans un raid aérien visant Sanaa

« Les besoins sont immenses, ils sont partout. » Saara Bouhouche, chef de mission au Yémen au sein de Solidarités International, les énumère les uns après les autres. La liste ne finit plus de s'allonger face à une population qui agonise à travers le pays. « Il n'y a pas de zones sans besoin et il est difficile de répondre à tous car les capacités des organisations sont limitées...

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