Moscou et Washington ont récemment accéléré la cadence dans leur course à la (re)conquête de l'Est syrien.
Le régime syrien et ses parrains russe et iranien s'apprêtent en effet à lancer l'offensive pour reprendre la moitié de la ville de Deir ez-Zor encore aux mains de l'État islamique, après avoir brisé la semaine dernière le siège imposé par les jihadistes. Les forces loyalistes ont fait venir hier des renforts pour atteindre cet objectif alors que l'aviation russe a massivement bombardé la ville dans le même temps, tuant au moins 19 civils selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). L'axe Moscou-Téhéran-Damas a clairement pris une longueur d'avance sur son concurrent. Ce qui a, semble-t-il, obligé Washington à revoir ses plans.
Alors que les États-Unis étaient jusqu'à présent mobilisés pour la reconquête de Raqqa, leurs alliés au sol, les Forces démocratiques syriennes (FDS – une coalition kurdo-arabe), ont progressé ces derniers jours dans la province de Deir ez-Zor, afin de chasser l'EI des territoires sur la rive est de l'Euphrate. Les deux coalitions se retrouvant désormais à quelques kilomètres l'une de l'autre, une procédure de « déconfliction » a été mise en place par Washington et Moscou, afin d'éviter un incident entre eux.
La « division du travail » est assez nette jusqu'à maintenant. Moscou et ses alliés mènent l'offensive à l'ouest de l'Euphrate, tandis que Washington soutient l'avancée des FDS à l'est du fleuve. Il est peu probable que l'un des deux camps s'aventure pour l'instant dans la « partie » de l'autre. Mais la situation paraît risquée et difficilement tenable sur le long terme. La province de Deir ez-Zor est doublement stratégique pour le camp loyaliste. Riche en ressources, notamment pétrolières, elle est indispensable à la viabilité de l'État syrien et, par conséquent, à la survie du régime. Frontalière avec l'Irak, sa reprise permettrait aux Iraniens de consolider ce qu'on appelle le « corridor chiite », c'est-à-dire la présence de troupes pro-iraniennes de l'Iran jusqu'à la Méditerranée, en passant par l'Irak, la Syrie et le Liban. Le président syrien Bachar el-Assad a pour sa part affirmé à de nombreuses reprises sa volonté de reprendre le contrôle de la totalité du pays. Du point de vue du camp loyaliste, la division de la province en deux sphères d'influence ne peut donc être que temporaire. D'où la nécessité d'accélérer le tempo de l'offensive afin de gagner le plus de terrain possible sur son adversaire.
(Lire aussi : Appuyée par le Hezbollah, l'armée syrienne brise le siège de l'aéroport de Deir ez-Zor)
À l'Est comme au Sud
Les objectifs ne semblent pas êtres aussi limpides du côté de Washington. Depuis l'arrivée au pouvoir de l'administration Trump, les États-Unis ont fait de la lutte contre l'EI et de l'endiguement de l'influence iranienne leurs deux principaux objectifs en Syrie. S'ils ont clairement l'intention de mener à bout leur offensive contre le groupe jihadiste, des doutes persistent quant à leur réelle volonté d'affaiblir l'emprise de Téhéran sur le pays. Les Américains vont-ils durablement s'installer dans l'Est syrien – seule moyen a priori de contrer la montée en puissance de Téhéran – alors que l'administration Trump ne cache pas son désintérêt pour la région ? Rien n'est moins sûr.
La fin de la guerre contre l'EI devrait dans tous les cas donner lieu à de longues négociations entre les différentes puissances extérieures, qui ont déjà divisé la Syrie en plusieurs zones d'influence : une russo-iranienne, une turque et une américaine. Washington pourrait être tenté de jouer Moscou contre Téhéran dans l'Est syrien, comme il a essayé de le faire dans le Sud, pour s'assurer que les pasdaran (gardiens de la révolution) ne s'approchent pas de la frontière israélienne. Mais malgré la signature d'un cessez-le-feu dans le Sud syrien, en accord avec Moscou, les États-Unis ne sont pas parvenus à affaiblir Téhéran dans la région. Et ils risquent d'être confrontés au même problème dans l'est du pays. Pour le plus grand malheur de leur allié israélien, qui ne cache plus ses inquiétudes à ce sujet. La frappe israélienne contre un site militaire syrien la semaine dernière s'inscrit d'ailleurs pleinement dans ce jeu d'échecs entre Russes, Américains et Iraniens, et dans lequel l'État hébreu considère que ses intérêts ne sont pas représentés. Et qu'il doit donc prendre, lui-même, les choses en main.
Pour mémoire
« Partout à Deir ez-Zor c'est la joie. La victoire de notre armée nous rend heureux »
Le régime syrien et ses parrains russe et iranien s'apprêtent en effet à lancer l'offensive pour reprendre la moitié de la ville de Deir ez-Zor encore aux mains de l'État islamique, après avoir brisé la semaine dernière le siège imposé par les jihadistes. Les forces...
Une partie d'échecs entre américains et russes peut se terminer par un match nul. A suivre .
13 h 40, le 12 septembre 2017