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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Pourquoi l’indépendance kurde est loin de faire l’unanimité

L'opposition des États-Unis au référendum pour l'indépendance du Kurdistan irakien décrédibilise un peu plus une consultation qui fait déjà controverse.

Le président du Kurdistan irakien, Massoud Barzani. Photo archives/ALI AL-SAADI/AFP

Si l'avenir de l'Irak est loin d'être scellé, celui du Kurdistan irakien l'est encore moins. Après une longue attente, les Kurdes d'Irak, qui pourraient avoir l'opportunité de choisir, le 25 septembre prochain, entre indépendance et statu quo, doivent composer avec la demande de report récemment formulée par le secrétaire d'État américain, Rex Tillerson. « Le gouvernement des États-Unis voudrait que le référendum soit reporté », déclare-t-il, selon un communiqué de la présidence kurde, annonce qui vient s'ajouter à la liste de celles déjà formulées par les nombreux opposants à la consultation.

La Turquie, l'Iran, l'Irak refusent catégoriquement ce référendum et cherchent à en empêcher la tenue. Ankara, en proie à des troubles régionaux avec sa propre minorité kurde, craint que ce scrutin n'alimente un peu plus les tensions qu'elle peine à maîtriser au sein de son propre territoire. Partenaire économique privilégié du Kurdistan irakien et alliée du clan Barzani, elle cherche pourtant à convaincre le leader du PDK (Parti démocratique du Kurdistan) de repousser l'échéance au moyen de pressions amicales ou de déclarations choc, comme celles de son ministre des affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, qui affirmait sur la chaîne publique TRT qu'un « référendum sur l'indépendance peut mener à une guerre civile ». Pour les mêmes raisons, Téhéran s'y oppose. L'Iran est un voisin dont il ne faut pas sous-estimer la capacité de nuisance, puisqu'il « possède une influence considérable sur l'UPK et le Goran (deux partis kurdes), même si sa minorité kurde est moins développée politiquement », rappelle Gérard Chaliand, spécialiste des relations internationales, interrogé par L'Orient-Le Jour.

 

(Pour mémoire : « La Turquie se trompe de stratégie » sur la question kurde)

 

De leur côté, les États-Unis, qui entretiennent une relation ambivalente avec les Kurdes d'Irak, usent de leur influence pour empêcher la tenue du référendum et préconisent une plus grande coopération entre Bagdad et Erbil. Les Américains, qui misent sur l'État irakien, dont la situation est extrêmement préoccupante, cherchent à le renforcer, notamment pour contrer l'influence de Téhéran, et ne peuvent pas se permettre de le voir affaibli par une scission avec les Kurdes. « Aucun État n'aime se voir amputer une partie de son territoire, et cela le décrédibiliserait grandement », observe Didier Billion, directeur de recherche à l'IRIS. Mais si les Kurdes sont, sans contestation possible, le meilleur allié des États-Unis dans la lutte contre l'État islamique, ce qui justifie notamment le soutien militaire et financier accordés aux peshmergas, cette relation ne leur octroie pas de traitement de faveur des Américains sur la question de l'indépendance, souligne Gérard Chaliand. Washington la redoute même, conscient de la capacité de déstabilisation d'une telle scission dans la région.

Karim Pakzad, chercheur à l'IRIS et spécialiste de l'Irak, rappelle notamment que la diplomatie américaine n'en est pas à son premier coup d'essai, puisqu'elle a déjà obtenu le report de deux référendums similaires dont celui de 2005 et la question de l'avenir de Kirkouk, ville pétrolière que revendiquent toujours les Kurdes. Si le gouvernement irakien, résolument contre, ne peut pour le moment que constater et contester la préparation de la consultation par le PDK, il compte bien voir son allié américain s'imposer dans la bataille de l'influence. Bagdad sait d'ailleurs que les autres alternatives sont faibles puisque le Kurdistan irakien possède déjà un pouvoir considérable. « Difficile d'aller vers plus d'autonomie pour les Kurdes, le prochain pas ne peut être que l'indépendance », estime Didier Billion. « Dans tous les cas, si la question de l'indépendance est repoussée, elle rejaillira tôt ou tard », ajoute-t-il. Si le projet fait l'unanimité ou presque au Kurdistan, l'opposition qu'il suscite, les pressions turques et iraniennes et la demande de report américaine pourraient bien faire pencher la balance.

 

(Pour mémoire : Les enjeux du référendum d'indépendance au Kurdistan irakien)

 

Enjeux politiques
Le contexte est pourtant favorable à la prise d'une décision de cette ampleur et les Kurdes l'ont bien compris. Si l'autonomie de la région est établie depuis 1970, et si depuis les prérogatives kurdes n'ont cessé d'augmenter, avec en 2003 notamment l'avènement d'un Parlement kurde et l'instauration de la fonction présidentielle qu'occupait jusqu'en 2015 M. Barzani, le pas vers l'indépendance pourrait être franchi le 25 septembre. Mais au-delà de la création d'un État kurde, le référendum rassemble d'autres enjeux politiques qui dépassent l'analyse globale du Kurdistan irakien.

Depuis le début du problème posé par le groupe État islamique en Syrie et en Irak, les Kurdes, forts de leurs troupes de peshmergas et de leur unité, ont pu s'emparer de vastes pans de territoire, jadis en possession du gouvernement irakien, qu'ils revendiquent désormais avec la fuite de l'EI. La consultation comprend le maintien de ces nouveaux territoires sous leur influence et non leur restitution aux autorités de Bagdad, situation qui pourrait être confortée en cas de vote majoritaire en faveur de l'indépendance de la part des populations turkmènes et yazidites, habitants historiques des nouvelles provinces occupées par les Kurdes.

Ce contexte présente aussi une incroyable opportunité politique pour celui qui en est à la fois le promoteur et le garant, Massoud Barzani. Le fait que l'Union patriotique du Kurdistan, principal opposant au PDK, formation politique de l'ex-président du gouvernorat, soit affaiblie et divisée, tandis que l'autre grande force politique, le Goran, vient de perdre son leader, représente « une belle fenêtre d'opportunité pour M. Barzani », explique Gérard Chaliand. Pour le spécialiste, obtenir plus de 50 % de oui en faveur de l'indépendance offrirait un formidable outil de légitimation au leader kurde qui, depuis 2015 et la fin de son second mandat à la tête de la présidence, tente de ressurgir sur le devant de la scène politique. « La proposition d'un référendum pour l'indépendance, question très populaire chez les Kurdes, est destinée à présenter Massoud Barzani comme le champion de l'indépendance du Kurdistan et lui permettre de regagner l'influence perdue après les querelles politiques qui l'ont opposé au Goran et au Parlement », ajoute Karim Pakzad.

Le leader kurde a d'ailleurs affirmé dimanche, dans une interview au journal saoudien Okaz, « qu'un report était inenvisageable ». Pourtant, si garantir l'effectivité de la consultation est l'un des soucis majeurs de l'ex-président kurde, il n'en va pas de même pour la question de la mise en place du processus d'indépendance en cas de victoire majoritaire du oui. « S'il s'agit bien plus d'un calcul politique », conclut Gérard Chaliand, c'est aussi parce que M. Barzani sait combien il lui sera difficile de convaincre ses voisins et les grandes puissances qui y sont opposés de reconnaître le petit État kurde.

 

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