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Idées - Sport

Du XIXe siècle au transfert de Neymar, comment le statut des joueurs de football a évolué

Neymar assistant au match entre le PSG et Amiens le 5 août courant au Parc des Princes. Jacques Demarthon/AFP

 Les montants astronomiques envisagés pour le transfert de la star brésilienne Neymar témoignent d’un retournement des rapports de force entre clubs et joueurs, son salaire bonus compris atteindrait pas moins de 40 millions d’euros par an.

Certes, Neymar n’est pas un joueur ordinaire : souvent considéré comme le troisième meilleur joueur mondial derrière Messi et Ronaldo, il représente, à vingt-cinq ans, un énorme potentiel. Sa position lui permet d’exiger non seulement une revalorisation salariale, mais même d’influer sur le recrutement de ses partenaires.

Dans l’histoire du football, on peut distinguer plusieurs phases dans l’évolution du statut des joueurs : une première, marquée par le monopole de l’amateurisme, et une seconde, par la naissance de véritables clubs professionnels. Enfin, on peut considérer une troisième phase, avec la conquête d’un statut plus protecteur pour le footballeur professionnel.

Aux origines du sport professionnel

Dans la Grèce Antique, Plutarque rapporte qu’en 480 avant Jésus Christ, Solon fit promulguer une loi récompensant les vainqueurs athéniens aux Jeux Olympiques de 500 drachmes. 100 Drachmes représentaient alors une année de travail, et les Jeux Olympiques avaient lieu tous les 4 ans. L’objectif était aussi bien de donner une motivation supplémentaire aux athlètes athéniens, que des moyens aux meilleurs champions, afin qu’ils puissent vivre de leur sport et qu’ils s’entraînent encore plus. Le but étant d’augmenter le prestige d’Athènes sur les autres cités.

Des joueurs du jeu de paume, illustration du XVIIIᵉ siècle. Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers/SMcCandlish/Wikimedia

Sous François Ier, c’est une lettre patente datant du 9 novembre 1527, qui ordonne que « tout ce qui serait engagé et perdu au jeu de paume, serait payé à celui qui l’aurait gagné comme dette raisonnable et acquise par son travail. »

Malgré ces exemples, les rétributions offertes aux sportifs restent anecdotiques ; il faut attendre 1885 pour que la professionnalisation du football soit autorisée en Angleterre, et 1932 en France.

Amateurs et professionnels : la guerre des statuts

Le football moderne apparaît au cours du XIXe siècle en Grande-Bretagne, on note l’existence d’une règle à Cambridge dès 1848. Il s’exporte en France vers 1870 et, deux ans plus tard, est fondé le Havre Football Club, considéré par beaucoup comme le plus vieux club français.

Au début du football français, la professionnalisation est rejetée au nom des valeurs de l’amateurisme et du fair-play qui l’accompagne. Cette position est par exemple défendue par Pierre de Coubertin. Pour lui, l’important dans la pratique sportive est l’esprit avec lequel on la pratique : le désintéressement, le respect de règles, et de son adversaire.

Le Baron Pierre de Coubertin. Bibliothèque du Congrès/Bain News Service/Wikimedia

Mais contrairement aux sports pratiqués par l’aristocratie ou la haute bourgeoisie, tels l’escrime ou l’équitation, le football se démocratise rapidement et est alors pratiqué par les classes populaires. Or, les ouvriers et les employés ne peuvent se permettre l’absence de contreparties. Ils ont besoin d’argent pour pouvoir s’entraîner et se déplacer dans les stades.

Durant cette période d’illicéité du football professionnel, les rétributions sont officieuses, c’est l’amateurisme marron. Finalement, c’est « l’affaire Jules Ladoumègue » qui permettra de changer les mentalités. « Julot », vient d’un milieu populaire, et est parvenu au sommet de sa discipline, la course de demi-fond. Il est 6 fois recordman mondial, et jouit d’une immense popularité dans la France des années folles. Mais en 1932, il est radié à vie pour avoir enfreint les règles de l’amateurisme.

La même année, le football professionnel est autorisé. Les joueurs signent alors des contrats qui les lient à vie à leurs clubs. Mais les tensions se poursuivent entre football amateur et football professionnel qui coexistent de manière distincte, sans la moindre passerelle entre les deux, celle-ci n’apparaîtra qu’en 1970.

Sous Vichy, la méfiance envers le professionnalisme atteint son paroxysme, et c’est seulement après la libération qu’une véritable ligue professionnelle se forme. Aujourd’hui encore, certaines cicatrices de cette rivalité entre professionnels et amateurs ne se sont toujours pas refermées.

« L’esclavage » des professionnels du ballon rond

Dans la France des Trente Glorieuses, Eugène N’Jo-Léa, un footballeur diplômé de droit, a l’idée de créer un syndicat pour défendre les forçats du ballon rond. Accompagné de Just Fontaine, toujours recordman du nombre de buts marqués en une seule coupe du monde, et du juriste Jacques Bertrand, il donne naissance à l’Union National des Footballeurs Professionnels (UNFP).

Ensembles, ils réclament des contrats à temps, bientôt rejoint par Raymond Kopa, qui en 1963, déclare : « Les joueurs sont des esclaves ! », écopant de 6 mois de suspension avec sursis pour cette audace. Finalement, les footballeurs français obtiennent gain de cause en 1969.

En Angleterre, il faudra attendre près d’une décennie de plus et le courage de Billy Bremner, international écossais et auteur d’un texte célèbre : « l’esclave blanc » pour obtenir les mêmes droits que leurs voisins d’outre-Manche.

La reconnaissance du contrat de travail en droit européen

En 1995, l’arrêt Bosman clôt par le droit communautaire le débat engagé au début des années 1960. Entre-temps, le statut des footballeurs avait progressé dans la plupart des pays européens et le contrat à temps était devenu la règle, contrairement à la Belgique où jouait Bosman.

Le litige concernait un footballeur belge, Jean‑Marc Bosman et son club, le Royal Football Club de Liège. Le footballeur est arrivé au terme de son contrat de travail mais se voit empêché de signer ailleurs sans la permission de son club. Ce dernier vient de faire échouer son transfert au FC Dunkerque mettant en doute la solvabilité du club ; Bosman se tourne alors vers la Cour de Justice des Communautés Européennes.

La Cour de Justice tient alors le raisonnement suivant : le football ayant une dimension économique, l’affaire entre bien dans son champs de compétence ; ensuite, un footballeur correspond aux critères du travailleur en droit européen ; enfin, les quotas qui obligeaient un club à aligner une équipe avec un minimum de joueurs nationaux sont prohibés, car ils constituent des entraves au marché communautaire. Ils seront remplacés par des quotas limitant les joueurs extra-communautaires encore en vigueur aujourd’hui.

Cet arrêt est souvent présenté comme une révolution dans le football européen. Si on lui prête souvent une action fondatrice, il est aussi parfois rendu responsable de toutes les « dérives actuelles ». Ce serait oublier que l’arrêt s’inscrit dans un mouvement pour la reconnaissance des droits des footballeurs. Quant à la question des quotas, elle se situe logiquement dans la volonté de construction européenne, réaffirmée à Maastricht trois ans plus tôt.

Le contrat à temps et la fin des quotas nationaux vont permettre de faciliter les transferts dans le football européen, et les meilleurs joueurs vont tirer profit de cette évolution. Aujourd’hui, les joueurs sont très souvent transférés avant la fin de leurs contrats.

Le siège de la Cour de justice de l’Union européenne, anciennement Cour de justice des Communautés européennes, situé à Luxembourg (Luxembourg). Gwenael Piaser/Flickr, CC BY-NC-SA

Le cas Neymar ou le renversement du rapport de force

Parmi les exemples de ce nouveau rapport de force, on note l’existence de clauses libératoires. Elles permettent à un club d’acquérir un joueur encore sous contrat avec un autre club, à condition de payer une somme particulièrement élevée définie dans le contrat. Interdites en droit français, elles existent en revanche en Espagne.

Dans le cas de Neymar, la clause est fixée à 222 millions d’euros. Ainsi, elle écarte le club du Barça des négociations engagées entre le Paris Saint-Germain et le joueur brésilien. Le club catalan est réduit à un rôle de spectateur, cherchant désespérément à s’immiscer dans des négociations auxquelles il n’a plus aucune prise juridique.

Maître Thierry Granturco, avocat spécialisé dans le droit du sport, estime au contraire que ces clauses sont en réalité des « clauses d’emprisonnement » et dénonce leurs montants « abominablement élevé » comme une « atteinte aux droits des joueurs ». Il est vrai que la clause libératoire ne correspond pas à la valeur réelle du joueur sur le marché des transferts (par exemple Ronaldo et Benzema, avec une clause à 1 milliard d’euros).

D’autres éléments démontrent une certaine émancipation des joueurs vis à vis de leur club, comme le montage imaginé par le Paris Saint-Germain, pour contourner la réglementation du fair-play financier. Celui-ci s’appuie sur une astuce juridique qui dissocie les revenus propres à l’image du joueur, du salaire versé par le club. Cette société qui gère l’image de Neymar est dirigée par son père et participe aux négociations.

L’évolution juridique du statut joueur professionnel ne peut justifier à elle seule les montants investis dans le foot. D’autres facteurs économiques comme les droits télévisés ou le merchandising doivent bien sûr être également pris en compte, mais cette évolution permet aujourd’hui aux meilleurs joueurs de dicter leurs conditions à des clubs mis plus que jamais en concurrence. Que Neymar choisisse de rester à Barcelone ou d’aller à Paris, il restera le grand gagnant de ce mercato.

*Guillaume Bagard, Doctorant contractuel en Histoire du Droit, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

 

 

 

 Les montants astronomiques envisagés pour le transfert de la star brésilienne Neymar témoignent d’un retournement des rapports de force entre clubs et joueurs, son salaire bonus compris atteindrait pas moins de 40 millions d’euros par an.
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