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À propos de sel et autres bonnes choses

On a besoin de tous ses sens pour cuisiner, et d'abord du sens de la mesure. Jusqu'où peut-on aller avec le sel, le sucre, les épices, les condiments, jusqu'où pousser la cuisson, tout l'art est dans cette subtilité. Sachant que les goûts et les couleurs sont les domaines les plus capricieux qui soient, on n'est jamais sûr de satisfaire son monde. On a beau suivre à la lettre les recettes des grimoires familiaux, le résultat n'est jamais le même. Il suffit d'un rien, que l'on soit amoureux, ou triste, ou préoccupé, que l'on ait mal dormi, ou que l'on soit trop exalté, pour que tout change. L'équilibre des uns n'est pas l'équilibre des autres, et l'on comprend cet orfèvre qui inventa un jour la salière en forme de trébuchet où chacun puise le grain de plus ou de moins qui fera chanter ses papilles. En cette saison hédoniste où les fins de semaine sont consacrées à la convivialité et aux plaisirs de bouche, hommage à toute personne qui officie derrière les fourneaux.
Bénis soient les doigts qui découpent l'oignon, dépiautent l'ail, cisèlent les herbes aromatiques, font grésiller les viandes. Bénis les bras qui dans nos montagnes soulèvent encore le lourd pilon et l'abattent en cadence sur la kebbé qui rosit et s'attendrit au fond du mortier. Bénies les mains qui épluchent, évident, malaxent, mélangent, se brûlent, s'écorchent, « ce n'est rien », et puis servent, généreuses, en décorant les assiettes pour que les yeux aient aussi leur part de joie. Les dimanches matin, tout le monde est sur le pont. Les uns courent apporter les ingrédients qui manquent, les autres mettent la table, d'autres coupent le persil du taboulé, roulent les feuilles de vigne, surveillent le feu, et les retardataires soulèvent les couvercles pour respirer le fumet. Chacun goûte à son tour, préconise « un tout petit peu » de quelque chose, du citron peut-être, en fermant les yeux, en cherchant un parfum, un accord, une réminiscence qui ferait la différence. Il n'y a rien de plus gai, rien de plus hystérique parfois, que ces branle-bas d'avant-déjeuner où les tribus se bousculent. Les mouches du coche, les donneurs de conseils, ceux qui se dérobent, ceux qui en font trop et ceux qui font l'essentiel se réunissent enfin sous la treille autour de cette table immémoriale où se gravent les plus beaux souvenirs.
Ce chaos qui s'achève en apothéose dans les vapeurs anisées de l'arak, n'a pas ses droits dans la monotonie des saisons urbaines. Plus tard on essayera de refaire les mêmes plats dans les cuisines aseptisées des villes, mais ils feront exprès d'être ratés, tout est question d'ambiance. Voilà pourquoi la ville a inventé les traiteurs. Le plus ancien d'entre eux vient d'ôter sa toque. Noura continuera sans la famille Chaaraoui. En 70 ans, guerre ou paix, pas une réception, pas un anniversaire qui n'ait été couronné, d'Achrafieh au palais présidentiel en passant par toutes les venelles de la capitale et de ses environs, par un de ces gâteaux ou plats mythiques dont l'enseigne a le secret. Ce n'était pas seulement une question de recette, mais de transmission et d'attention à autrui. Pour Edwin, Habib, leurs épouses et Noura qui a donné son nom à l'établissement, il n'y avait pas d'autre sel que celui de l'amitié. Ce goût qu'ils laissent restera longtemps le goût de Beyrouth.

On a besoin de tous ses sens pour cuisiner, et d'abord du sens de la mesure. Jusqu'où peut-on aller avec le sel, le sucre, les épices, les condiments, jusqu'où pousser la cuisson, tout l'art est dans cette subtilité. Sachant que les goûts et les couleurs sont les domaines les plus capricieux qui soient, on n'est jamais sûr de satisfaire son monde. On a beau suivre à la lettre les recettes...

commentaires (2)

MADAME FIFI VOUS OUBLIEZ QUE LES HUMAINS MANGENT POUR VIVRE ET NE VIVENT PAS POUR MANGER...

LA LIBRE EXPRESSION

13 h 47, le 10 août 2017

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Commentaires (2)

  • MADAME FIFI VOUS OUBLIEZ QUE LES HUMAINS MANGENT POUR VIVRE ET NE VIVENT PAS POUR MANGER...

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 47, le 10 août 2017

  • Très vrai , le goût de Beyrouth ne devra pas changer le parfum des plats orientaux qui devront garder leurs saveurs libanaises, et l’arôme de Noura doit aussi garder son authenticité pour ses tartes à la mangue et sa mousse meringuée . Merci Noura et bonjour nouveau Noura .

    Antoine Sabbagha

    11 h 35, le 10 août 2017

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