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Moyen Orient et Monde - Commentaire

Vers un nouveau commencement pour l’opposition turque ?

La manifestation de l'opposition turque, à Istanbul, le 9 juillet 2017. Yasin Akgul/AFP

En Turquie, les partis d'opposition n'ont guère de raison d'être optimistes, car le gouvernement du président Recep Tayyip Erdogan centralise tout le pouvoir. La grande manifestation qui a lieu récemment à Istanbul constitue une exception.

Le 9 juillet, après une marche de 25 jours depuis Ankara, la capitale, le principal leader de l'opposition, Kemal Kiliçdaroglu, a appelé ses sympathisants à résister au recul des libertés démocratiques. « Nous briserons le mur de la peur », a-t-il déclaré devant une foule de plusieurs centaines de milliers de personnes. Et d'ajouter : « Le dernier jour de notre marche pour la justice est un nouveau commencement, une nouvelle étape. »
Néanmoins, l'opposition politique turque est divisée. Dans ces conditions, pourra-t-elle aller au-delà des grandes déclarations, s'unifier et remettre en question l'hégémonie politique d'Erdogan ?

Le parti de Kiliçdaroglu, le Parti républicain du peuple (CHP), dispose d'un soutien important dans la population qui se sent dépossédée par la règle majoritaire d'Erdogan. Mais dans un contexte de liberté politique limitée et avec un président populaire mais clivant au pouvoir, les dirigeants d'opposition auront de la difficulté à maintenir l'élan qu'ils ont créé.

Quand j'ai parlé avec Kiliçdaroglu quelques jours avant son arrivée à Istanbul, au moment où il s'approchait de la ville, il paraissait surpris comme tout le monde de l'ampleur du soutien autour de lui et paraissait parfaitement conscient des difficultés sur son chemin. Sa marche était une réaction spontanée à l'arrestation de Enis Berberoglu, un ancien rédacteur en chef du quotidien bien connu Hürriyet, élu du CHP au Parlement.

Les objectifs plus concrets de la marche ont été véritablement médiatisés seulement sur la fin, une fois Kiliçdaroglu arrivé à Istanbul après un périple de 450 kilomètres. Les manifestants réclamaient alors plus d'équité économique, un meilleur accès à l'éducation, l'égalité pour les femmes et la non-discrimination sur une base ethnique, religieuse ou culturelle. Kiliçdaroglu a déclaré qu'il voulait remodeler l'État turc, avec une limite claire imposée au pouvoir exécutif en renforçant le rôle du Parlement, une justice impartiale et la liberté de la presse. La création d'un projet politique cohérent à partir de cette diversité d'objectifs constituera un test pour la direction du CHP.

 

(Lire aussi : La Turquie remplace des chefs militaires un an après le coup d'Etat avorté)

 

Ces dernières années, des manifestations spontanées comme celle qui vient d'avoir lieu n'ont pas débouché sur les réformes souhaitées par les protestataires. En mai 2013, par exemple, il y a eu d'énormes manifestations pour s'opposer à la destruction du parc Gezi à Istanbul, mais elles n'ont pas eu de véritable impact politique et il pourrait en être de même cette fois-ci.

Néanmoins les sondages montrent que Kiliçdaroglu bénéficie d'un soutien croissant. Selon un sondage de Research Istanbul réalisé le jour de la manifestation de masse, 43 % des personnes se disaient favorables à la marche de Kiliçdaroglu, soit 17 points de pourcentage de plus que le taux d'approbation en faveur du CHP.

Autrement dit, les marcheurs du CHP ont attiré de nouveaux sympathisants – un signe de la désillusion croissante du pays à l'égard du statu quo. Parmi eux, on compte des membres du Parti démocratique des peuples (HDP) prokurde, dont 83 % des membres approuvent la manifestation. Et signe étonnant, 10 % des membres du parti d'Erdogan, le Parti de la justice et du développement (AKP), se disent d'accord avec les objectifs de la marche. Grâce à son mouvement spontané de désobéissance civile, Kiliçdaroglu semble avoir consolidé son rôle de dirigeant d'un large front d'opposition, certes fragmenté.

Depuis l'échec du coup d'État de juillet 2016, la réaction brutale mais inévitable du gouvernement a choqué toute une partie de la population. En raison de la prolongation de l'état d'urgence, une partie croissante de l'opinion publique est sensible à l'appel de l'opposition en faveur d'un renforcement de l'État de droit.

En avril dernier, la victoire de justesse du « oui » lors du référendum sur la réforme de la Constitution a accordé un pouvoir sans partage à Erdogan, notamment le droit de dissoudre le Parlement, de gouverner par décrets et de nommer les juges. Mais elle a renforcé la résolution de l'opposition et poussé nombre de Turcs à la rejoindre. Selon un sondage de Research Istanbul, 85 % de ceux qui ont voté « non » sont favorables à la marche de Kiliçdaroglu, contre 7 % de ceux qui ont voté « oui ».

Il est encore trop tôt pour savoir si la marche de Kiliçdaroglu aura un impact durable sur l'orientation politique de la Turquie. Quoi qu'il en soit, elle modifie les perspectives de la prochaine élection présidentielle turque qui devrait avoir lieu en novembre 2019. Cependant, même si l'on prend en compte la modeste avancée de l'opposition de début juillet, Erdogan reste un adversaire de taille. Le chemin est encore long avant que le « nouveau commencement » évoqué par Kiliçdaroglu ne se concrétise.

 

© Project Syndicate, 2017.
Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz

 

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