Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Festival de Tyr

Le raï de Cheb Khaled : rassembler les jeunes à l’heure où tout les sépare

Aucune musique arabe n'a pu aller aussi loin au-delà de sa terre d'origine que le raï. Dans le cadre du festival de Tyr* ce soir, Cheb Khaled lui rend hommage dans un esprit moderne et affranchi de tout tabou.

Cheb Khaled : « Le raï sort des tripes pour atteindre bien des cœurs. » Photo Michel Sayegh


À trop l'avoir prononcé à la façon européenne (ray), on a négligé son sens premier et intrinsèque. Cette musique traditionnelle issue d'Algérie, qui porte aux nues aujourd'hui son maître en la matière, Cheb Khaled (arrivé hier soir au Liban), est d'abord une « opinion » dans le langage arabe.

Révélatrice des humeurs de la société, elle était porteuse de messages pour exprimer des attentes, des frustrations, des plaies profondes et des peurs. Un des principaux genres musicaux d'Algérie, le raï est utilisé dans les années 30 pour aborder des sujets difficiles : la politique (contre l'occupation française), la société (assez conservatrice à l'époque), la religion (sujet intouchable) et pour dénoncer les interdits (les plaisirs de la chair, l'alcool).

Si pour gagner la Seconde Guerre mondiale il a fallu Enigma, les interprètes de la musique raï sont aussi contraints dans un premier temps de recourir à un langage codé et seront vite considérés comme des gens peu fréquentables, des parias de la société. Pour les écouter, il faut se rendre dans les bars cachés où se produisent des chanteurs oranais comme Ben Yamina ou Doubahi. La reconnaissance fut longue et difficile. Elle devra attendre après l'indépendance pour s'étendre à l'ensemble de l'Algérie, et 1985 pour que l'État algérien reconnaisse officiellement le raï à l'occasion du premier festival à Oran. Auparavant, cette musique n'avait jamais eu droit de cité à la radio ou la télévision d'État. D'un symptôme anodin, elle se transforme en virus. Écoutée quasiment partout par une bonne partie de la jeunesse oranaise et algérienne, elle se répand dans le monde entier et verra ses aficionados se multiplier. Mélangée aux autres influences musicales arabes, mais aussi espagnoles, françaises et latino-américaines, elle fera son entrée dans le dictionnaire Larousse de 1998, où on peut lire au mot raï : « Genre de musique et de littérature moderne de l'Ouest algérien, ouvert sur les autres styles. »

 

De Cheikh à Cheb
De forme beaucoup plus libre que la musique traditionnelle, qui utilise des instruments traditionnels (nay, derbouka et bendir), le raï ne tarde pas à faire bon ménage avec de nouveaux venus, violon, accordéon, luth et guitare acoustique chez Mohammad Zargui, ou trompette et saxophone chez Bellemou Messaoud. Aux chanteurs de raï on attribuait le titre de cheikh ou de cheikha (maître, maîtresse, au sens de celui qui maîtrise son art). Quand ce genre musical prendra une nouvelle dimension en utilisant des instruments électroniques, les producteurs de disques, pour les différencier des cheikhs et cheikhas, accolent aux chanteurs le surnom de cheb ou cheba (jeune en arabe). C'est le raï moderne. La fin des années 80 marque le début de l'internationalisation du raï. C'est avec Didi, premier « tube » raï en France, que le public français découvre Cheb Khaled. Gros succès national et international, ce titre arrive en tête des classements en Europe et surtout dans le monde arabe. L'artiste récidive quelques années plus tard et tente une innovation en 1997 avec Aïcha, écrite dans la langue de Victor Hugo par Jean-Jacques Goldman. C'est un succès mondial qui obtient la Victoire de la musique et sera élu « meilleure chanson de l'année ». Depuis, Cheb Khaled ne cessera d'accumuler prix et récompenses (Victoires de la musique, Murex d'or, césar de la meilleure musique, etc.), et verra son public s'accroître et sa musique traverser toutes les frontières.

 

Chanter pour rassembler
Au cours d'une conférence de presse qu'il donne à son arrivée à Beyrouth, on décèle déjà dans la voix de Khaled Hadj Ibrahim, plus connu sous le nom de scène Cheb Khaled, donc, une intonation spéciale, jouissive et souriante. Quelque chose qui ressemble au bonheur, celui que l'on retrouve dans la musique maghrébine, que seule la culture berbère avait. Né le 29 février 1960 à Oran, il avoue que « cette musique sort des tripes pour atteindre bien des cœurs, ceux d'abord d'une jeunesse issue de la rue oranaise dont la richesse poétique a pour source l'oralité, pour ensuite toucher à l'universalité ». Une musique aujourd'hui qui parle de paix, qui veut « rassembler les jeunes à l'heure où tout les sépare ». Une musique qui n'a pas de portée religieuse, ni politique, mais qui est juste un message d'amour. Cheb Khaled affirme avoir été un des premiers à introduire la batterie, et plus tard le synthétiseur, au genre. La poésie du raï n'a pas d'égale dans la métaphore et la sincérité de ses propos. Mixer et brasser tous rythmes rencontrés avec une langue toute particulière et un tempo qui ne laisse pas indifférent, voilà comment l'artiste explique ce qu'est le raï aujourd'hui, après avoir annihilé la mauvaise réputation qu'on lui avait attribuée. Le raï, de l'avis de Cheb Khaled ? Une musique pour rassembler. Incontestablement.

Festival de Tyr Ce soir, samedi 5 août 2017.
Billets en vente au Ticketing Box Office de Virgin ; (01) 99 96 66.
www.tyreinternationalfestival.com

 

Lire aussi

Jamal Aboul-Hosn, faiseur de son et de lumière

À trop l'avoir prononcé à la façon européenne (ray), on a négligé son sens premier et intrinsèque. Cette musique traditionnelle issue d'Algérie, qui porte aux nues aujourd'hui son maître en la matière, Cheb Khaled (arrivé hier soir au Liban), est d'abord une « opinion » dans le langage arabe.
Révélatrice des humeurs de la société, elle était porteuse de messages...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut