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Culture - Portrait

Jad el-Khoury, passeur de mémoire

Écolier, il remplissait les pages de ses cahiers de petits personnages farfelus*; aujourd'hui, ses « potato noses » habillent les façades des derniers immeubles de Beyrouth marqués par la guerre.

Jad el-Khoury, l’artiste derrière le nez de patate (« potato nose »). Photo DR

Beaucoup de Beyrouthins détournent leurs yeux des buildings qui portent encore les stigmates de la guerre, comme pour s'en protéger. Les promoteurs immobiliers, quant à eux, les font détruire et érigent à leur place des gratte-ciel sans âmes et sans histoire(s). Pourtant, « ces immeubles hérités de la guerre font partie de notre identité, ils sont une représentation de notre histoire, de nos vies à tous », affirme Jad el-Khoury. Et le caricaturiste d'ajouter : « Je n'ai pas vécu la guerre, je n'avais que deux ans quand elle s'est terminée, mais j'ai vu ce qu'il en est resté : les traces des combats, la corruption qui gangrène le pays, les rivalités entre les différentes communautés, le chaos généralisé. » Aussi l'artiste part-il à l'assaut de ces morceaux de mémoire, à qui il redonne vie à coups de pinceau noir et de bombes de peinture colorée. De loin, on ne perçoit que des façades d'immeuble maculées de sang et trouées par les balles. Mais en se rapprochant, on découvre des colonies de minuscules créatures noires en forme de poire, qui se coagulent autour des trous béants provoqués par les roquettes ; ce que l'on croyait être de grandes taches de sang se transforment en personnages fantaisistes informes, qui semblent prêts à avaler les trous noirs laissés par la mitraille. Ses graffitis sont autant d'actes de résistance adressés à un pays « qui n'arrive plus à se regarder en face, à regarder son histoire, et qui oublie qu'une nouvelle guerre peut éclater à tout moment, que la paix est fragile, et qu'il faut la préserver », affirme-t-il. Peut-être l'artiste dénonce-t-il aussi l'arrogance d'une société qui vit dans un présent inconsistant et précaire, et qui a besoin de gardiens de la mémoire susceptibles de préserver cette paix fragile. Mais, bien que ses fresques urbaines soient joyeuses, n'y a-t-il pas quelque chose de violent à imposer aux passants cette mémoire douloureuse ? « Libre à chacun de ressentir ce qu'il veut, la réaction des passants n'est plus de mon ressort, certains souriront et se remémoreront des souvenirs d'avant-guerre, d'autres ne pourront pas regarder et seront malheureux », répond l'artiste. Toujours est-il que les « potato noses » de Jad el-Khoury suscitent des débats parmi les Beyrouthins, éveillent les consciences, amorcent chez eux une réflexion sur la mémoire de la guerre, sur l'identité libanaise. Et une société capable d'interroger son histoire est une société saine. En ce sens, qu'elles nous amusent, qu'elles nous gênent ou qu'elles nous blessent, les œuvres de l'artiste sont d'intérêt public.

*Jad el-Khoury expose ses œuvres à la Laetitia Art gallery à Beirut Souks (jusqu'au 12 juillet).

Beaucoup de Beyrouthins détournent leurs yeux des buildings qui portent encore les stigmates de la guerre, comme pour s'en protéger. Les promoteurs immobiliers, quant à eux, les font détruire et érigent à leur place des gratte-ciel sans âmes et sans histoire(s). Pourtant, « ces immeubles hérités de la guerre font partie de notre identité, ils sont une représentation de notre...

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