Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Diplomatie

La Turquie « n’a plus de place de médiateur » dans le Golfe

L'alliée du Qatar a changé de ligne sur la question du blocus saoudien, se faisant plus virulente à l'égard des voisins de Doha.

L’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, et le président turc, Recep Tayyip Erdogan, à Ankara, le 19 décembre 2014. Adem Altan/AFP

Ankara continue de placer stratégiquement ses pions sur l'échiquier de la crise qui secoue la région du Golfe depuis maintenant plus de trois semaines. Le ministre de la Défense qatari doit notamment rencontrer son homologue turc aujourd'hui en Turquie, a annoncé hier l'agence Anatolie.

Cette visite intervient peu après l'exposé des doléances de l'Arabie saoudite et de ses alliés, conditions préalables à la levée du blocus contre le Qatar. Elle s'inscrit dans la continuité de la diplomatie turque menée depuis le début du mois. Celle-ci s'est efforcée de renforcer la relation entre Ankara et Doha, déjà particulière par leur proximité idéologique notamment (et le soutien aux Frères musulmans). Suite à l'éclatement de la crise, le Parlement turc a immédiatement ratifié un accord militaire datant de 2014 et permettant le déploiement de soldats turcs au Qatar à l'heure où Ankara exportait des denrées alimentaires en direction de Doha pour contourner le blocus.

Mais en parallèle, la Turquie a multiplié les gestes d'apaisement. Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, a enchaîné les déplacements et s'est ainsi rendu plus tôt ce mois-ci au Qatar pour rencontrer son homologue qatari, cheikh Mohammad ben Abderrahmane al-Thani, et l'émir cheikh Tamim ben Hamad al-Thani. À cette occasion, M. Cavusoglu avait déclaré que la crise devait être « surmontée par le dialogue et la paix », avant d'ajouter que « la Turquie y apportera sa contribution ». M. Cavusoglu s'est ensuite rendu en Arabie saoudite pour rencontrer le roi Salmane ben Abdelaziz. Négociations et entretiens se sont poursuivis avec Bahreïn ou encore le Koweït. Malgré ses liens avec le Qatar, la Turquie avait jusque-là tâché de nuancer ses propos à l'égard de Riyad, pour profiter d'une position de médiateur, mais également pour ménager ses liens avec le royaume wahhabite. Pourtant, en l'espace de quelques jours seulement, la stratégie diplomatique turque a viré de trajectoire.

 

(Pour mémoire : Crise dans le Golfe: le chef de la diplomatie turque se rend à Doha)

 

Pas de garantie
Suite à l'annonce des nombreuses conditions posées par l'Arabie saoudite et ses alliés, dont la fermeture de la base militaire turque au Qatar, Ankara a adopté une rhétorique plus virulente à leur égard. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a estimé dimanche dernier que ces requêtes allaient désormais « trop loin », étant « une attaque contre les droits souverains d'un pays ». En quelques mots, la Turquie a renversé la donne et les prédictions de nombreux commentateurs. D'aspirant médiateur, l'allié du Qatar a choisi son camp. Par ce soutien plus affirmé que jamais à Doha, « il n'y a plus de place pour le rôle de médiateur pour Ankara dans cette crise », confirme à L'Orient-Le Jour Sinan Ülgen, président du Centre d'études sur l'économie et la politique étrangère (EDAM) à Istanbul et chercheur associé à Carnegie Europe à Bruxelles. La position de médiateur « n'est plus réaliste aujourd'hui car la Turquie est vue par les pays du Golfe comme alignée sur le Qatar », précise-t-il.

Pour autant et malgré l'escalade de la crise, la protection de la Turquie d'Erdogan trouve certaines limites. Si la rencontre d'aujourd'hui a lieu entre les ministres de la Défense turc et qatari, elle n'envoie qu'un « message de soutien politique » et non « une garantie de protection militaire », anticipe M. Ülgen.

 

(Pour mémoire : Washington joue le médiateur entre Riyad et Doha)

 

Virulence risquée
En plus de l'intérêt économique que représente Doha – les exportations turques vers l'émirat ont triplé depuis le début de la crise le 5 juin – renforcer cette relation marque une opportunité pour « un retour dans la région pour la Turquie », alors que M. Erdogan garde le souvenir de la mainmise de l'Empire ottoman sur la péninsule Arabique, note Marc Lavergne, directeur de recherche au Centre nationale de la recherche scientifique (CNRS) et rattaché au laboratoire Etudes sur le monde arabe et la méditerranée (EMAM) à l'université de Tours, contacté par L'Orient-Le Jour.

Dans un pays au climat tendu au niveau interne et avec l'Union européenne, l'approche diplomatique d'Ankara vise à le repositionner comme acteur incontournable de la région aux côtés de l'Iran, soutien principal du Qatar dans le blocus. « Il faut prendre en compte la psychologie de M. Erdogan, qui se veut nouveau sultan », observe M. Lavergne.

Les ambitions d'Ankara ne sont cependant pas sans conséquences sur ses rapports avec Riyad, avec qui les relations s'étaient améliorées ces derniers temps. En février encore, le président turc s'était rendu en visite officielle en Arabie saoudite pour rencontrer le roi Salmane. Travaillant de concert sur le dossier syrien, le monarque saoudien avait ensuite félicité M. Erdogan pour le « succès » du référendum controversé sur la réforme constitutionnelle visant à instaurer un régime présidentiel.

La Turquie prend « un grand risque » en tenant des propos plus sévères à l'égard de l'Arabie saoudite et de ses alliés, estime M. Ülgen. Dans une interview accordée au Guardian de Londres mercredi, l'ambassadeur des Émirats arabes unis à Moscou expliquait que les pays du Golfe étaient prêts à réduire les liens économiques et commerciaux avec les pays continuant d'avoir des échanges avec Doha.
Cependant, « les pressions que peuvent exercer les pays du Golfe sur le Qatar ne sont pas les mêmes que celles sur la Turquie », souligne le chercheur. Sur Ankara, « elles peuvent viser les exportations ou encore les projets des sociétés turques dans la région », estime-t-il.

 

Lire aussi

Essor dans la diplomatie, action dans la médiation, la tribune de Mevlüt Çavuşoğlu

Quel rapprochement possible entre Israël, l'Arabie saoudite et Abou Dhabi ?

 

Pour mémoire

Le Qatar juge déraisonnable la liste des demandes de ses adversaires

Ankara continue de placer stratégiquement ses pions sur l'échiquier de la crise qui secoue la région du Golfe depuis maintenant plus de trois semaines. Le ministre de la Défense qatari doit notamment rencontrer son homologue turc aujourd'hui en Turquie, a annoncé hier l'agence Anatolie.
Cette visite intervient peu après l'exposé des doléances de l'Arabie saoudite et de ses alliés,...

commentaires (4)

j'espere que le jour viendra- tres bientot - ou mr erdogan subira les memes foudres que le qatar subit actuellement. mais des foudres aux effets quintuplees. il nous suffit l'ere des ottomans. FINIE cette ere honnie de tous. il nous suffit dans notre monde des dictateurs au pouvoir.

Gaby SIOUFI

13 h 52, le 30 juin 2017

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • j'espere que le jour viendra- tres bientot - ou mr erdogan subira les memes foudres que le qatar subit actuellement. mais des foudres aux effets quintuplees. il nous suffit l'ere des ottomans. FINIE cette ere honnie de tous. il nous suffit dans notre monde des dictateurs au pouvoir.

    Gaby SIOUFI

    13 h 52, le 30 juin 2017

  • Le proche orient est un panier de crabe disait le général de gaulle

    DAMMOUS Hanna

    13 h 33, le 30 juin 2017

  • Ces "bruits de bottes" n'annoncent rien de bon! En plus des différents politiques, il va s'y ajouter des "blessures d'amour propre" un des "biens propres" aux arabes Qui a intérêt à ce que les relations inter arabes s'améliorent? Qui a une vraie capacité de "conciliateur" Ne va t on pas vers des "relations inter arabes pourries " ... Au bénéfice de qui vous savez?

    Chammas frederico

    11 h 10, le 30 juin 2017

  • LE SULTAN AUX ABOIS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 19, le 30 juin 2017

Retour en haut