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Liban - Décryptage

Réforme du code pénal : Un (petit) pas vers la modernité

Les travaux de révision ont été guidés par la nécessité d'adapter la loi aux mutations sociales et assurer l'équilibre entre l'efficacité de la sanction et la garantie des droits individuels.

Ghaleb Ghanem. Photo Claude Assaf

À bientôt soixante-quinze ans, le code pénal libanais n'a subi, malgré son âge avancé, que des amendements épars. Pourtant, la nécessité d'accompagner et réguler les transformations de la société en actualisant ce texte promulgué en 1943 se ressent depuis de nombreuses années. Une commission de modernisation des lois s'était attelée à le rénover dès 1996, présentant en 2001 une première mouture de réforme devant le Parlement, qui l'a renvoyée pour étude à la commission de l'Administration et de la Justice (CAJ), présidée alors par l'ancien député Mikhaël Daher.

Le 23 mai dernier, l'actuel président de la CAJ, le député Robert Ghanem, a annoncé la version définitive de l'avant-projet, dont la préparation se sera ainsi étendue sur plus de 20 ans et aura requis près de 170 séances de travail auxquelles ont participé des magistrats et autres hommes de droit. Lors d'une conférence de presse tenue au siège du Parlement, conjointement avec Nada Dakroub, présidente de la Chambre d'accusation de Beyrouth et de l'Institut d'études judiciaires, Samir Hammoud, procureur général près la Cour de cassation, et Ghaleb Ghanem, ancien président du Conseil d'État et ancien président du Conseil supérieur de la magistrature, qui ont tous trois activement participé à l'élaboration du texte, le député de la Békaa-Ouest a affirmé que la proposition de réforme est près d'être soumise au Parlement en séance plénière.

Dans un entretien avec L'Orient-Le Jour, Ghaleb Ghanem évoque l'esprit de renouveau dans lequel le code pénal a été réexaminé. Il se penche sur les modifications principales proposées pour concilier le droit de la société à la sécurité et les droits de l'homme consacrés par la Constitution, notant toutefois que n'ont pas été abordées les dispositions sur certains crimes et sanctions relevant de la politique pénale générale de l'État. Il ne faut donc pas s'attendre à une révolution dans le système pénal libanais, celle-ci ne pouvant résulter que d'une décision politique.

« Au regard de l'évolution du monde, les besoins et exigences de la société nécessitent un droit pénal modernisé, basé sur une révision des notions de crime et de sanction », affirme M. Ghanem, feuilletant, dans son bureau, une copie de la proposition de loi. Il indique, dans cette logique, que les travaux de préparation se sont penchés sur les moyens de s'éloigner autant que possible du concept de punition au sens de répression, dans l'esprit de favoriser la réhabilitation du criminel au sein de son milieu social, lequel serait alors davantage préservé de l'instabilité et de l'insécurité.

 

Peines alternatives, distinction entre crimes, abolition de la mort civile
« L'idée est de parvenir à un équilibre entre les droits de l'homme et ceux de la société dans laquelle il vit », précise M. Ghanem, soulignant que « les artisans de l'avant-projet ont mis l'accent sur la nécessité de favoriser les peines alternatives à celles de privation de liberté ». « Si les premières ne peuvent s'appliquer sur les crimes, les autres ne paraissent plus comme les seules possibles pour punir des infractions », note M. Ghanem, indiquant que la loi pénale proposée stipule que « pour les délits mineurs, passibles de moins d'un an de prison, il est désormais permis au juge de substituer à la mesure d'emprisonnement une condamnation à accomplir un travail d'intérêt social non rémunéré, dont le nombre d'heures dépend de la durée de la peine initialement due ». Une manière de contraindre l'individu sans toutefois l'exclure de la société et le pousser à lui nuire à nouveau.

Interrogé quant à une éventuelle application de ces peines alternatives sur les délits d'usage de stupéfiants, M. Ghanem a indiqué que ceux-ci n'ont pas été évoqués, sachant qu'ils ne relèvent pas du code pénal mais de la loi sur les stupéfiants.

Une autre forme de réduction de la répression adoptée par les auteurs du projet de réforme consiste à soustraire de la peine de droit commun certains délits aujourd'hui fréquents dans la vie civique et à les grouper sous l'appellation de crimes à caractère politique. « L'intérêt de cette distinction est que, dans un État libéral comme le nôtre, les infractions politiques sont soumises à un régime de faveur par rapport à celui de droit commun », indique M. Ghanem, citant comme exemple de délit politique « les slogans scandés par des manifestants qui appellent à la chute du régime et portent donc atteinte aux affaires de l'État ». Ce traitement plus avantageux se justifie par le fait que les infractions politiques sont généralement commises avec des mobiles sociaux qui s'inscrivent dans le registre des préoccupations à caractère collectif, dépassant le cadre strict des intérêts individuels égoïstes qui prévalent dans les crimes de droit commun.

Si le texte est voté par le Parlement, les auteurs de crimes politiques ne seront d'ailleurs plus passibles d'exil. « Nous avons supprimé la mesure d'éloignement que prévoit la loi en vigueur », affirme le magistrat, comme pour témoigner de la considération due aux libertés publiques.
Toujours dans l'esprit de respecter les droits de l'homme, les membres de la Commission de modernisation du code pénal se sont en outre prononcés pour l'abolition de la mort civile. « Le code actuel stipule dans certains cas la perte pour un condamné de toute sa personnalité juridique, alors qu'il est vivant physiquement », déplore M. Ghanem, affirmant que si la nouvelle loi est adoptée, « ce détenu pourra conserver quelques droits civils ».

 

Renforcer des peines, intégrer de nouveaux crimes
À cette volonté d'assouplissement de sanctions s'ajoute, à l'opposé, le souci de renforcer les peines relatives à des crimes hautement néfastes à la société. Tel l'acte terroriste dont la notion a d'ailleurs été élargie par le nouveau texte. « Désormais, ce ne sont plus les seuls crimes commis au moyen d'explosifs ou de matières toxiques qui sont concernés, mais aussi les moyens de violence et de terreur utilisés pour exécuter un plan criminel, individuel ou collectif, visant à attenter à l'ordre public, à la sécurité de la société et à la vie des gens », indique M. Ghanem, citant également « l'invasion des édifices publics et l'entrave à l'action des pouvoirs publics et des lieux de culte ».

Le projet du code pénal amendé a par ailleurs introduit de nouvelles infractions liées à des actes que le texte en vigueur ne pénalise pas. « Dans le domaine du numérique, tout individu qui altère un système informatique, vole des services de communication, pirate des sites internet ou propage des virus sur la toile est passible de peines d'emprisonnement et d'amende », explicite M. Ghanem.
Sur un autre plan, il évoque également l'introduction d'une disposition criminalisant le délit de diffamation contre le pouvoir judiciaire. « Ce n'est plus seulement l'atteinte à la réputation du juge qui est pénalisée, mais aussi l'attaque contre la justice en tant qu'institution », souligne-t-il.

 

Inspiration et limites
Concernant le mécanisme de travail utilisé pour procéder à l'amendement du code pénal, Ghaleb Ghanem indique que les 773 dispositions légales qui le composent ont été examinées une à une et comparées à celles du code pénal français. « La France est une démocratie qui fonde sa législation tant sur les droits de la société que sur les droits fondamentaux de l'homme », rappelle-t-il, soulignant que « les modifications ont été effectuées en veillant à ce que les nouveaux articles s'inspirent des lois modernes françaises ».

« L'ajustement au code français s'est toutefois fait dans des limites que nous ne pouvons dépasser », précise le magistrat, évoquant notamment la peine de mort, la criminalisation de l'avortement et les sanctions contre l'homosexualité – que le droit actuel inclut dans les relations contre nature –, qui, note-t-il, ne sont pas du ressort des artisans du projet. « Notre commission ne s'est pas penchée sur ces mesures punitives car elles font partie intégrante de la politique pénale de l'État », révèle M. Ghanem, qui estime que « la suppression de ces condamnations ne semble pas être pour bientôt, la société et les mentalités n'étant pas encore être prêtes à l'accepter ».

Autre source d'inspiration du document législatif bientôt soumis à la Chambre, les conventions internationales. « Dans le système pénal proposé, nous avons introduit des normes qui s'harmonisent avec l'esprit et la teneur des accords internationaux ratifiés par l'État », indique M. Ghanem, citant dans ce cadre les sujets qui ont fait l'objet de changements, en référence notamment aux traités relatifs aux droits de la femme et de l'enfant, ainsi qu'au trafic humain.

 

Style et terminologie
Pour que la loi puisse s'appliquer dans l'esprit voulu par le législateur, les artisans du projet d'amendement se sont par ailleurs efforcés d'adopter un style clair, utilisant une terminologie méticuleusement choisie. « En matière criminelle, il faut des lois très précises pour ne pas donner aux juges une trop grande liberté d'interprétation, ce qui risquerait, d'une part, de rendre des jugements erronés et, d'autre part, de porter atteinte à la séparation des pouvoirs. Nous avons, dans cette logique, comblé les quelques failles de formulation qui entachent le texte actuel et qui sont de nature à générer sa mauvaise application », indique M. Ghanem.

Il ajoute que « ce souci des mots s'inscrit en même temps dans l'esprit de considérer le criminel comme un être humain », notant, à titre d'exemple, que dans la réforme proposée, on n'use plus des termes « répressif » et « travaux forcés », ce dernier mot ayant d'ailleurs été remplacé par « détention criminelle ».
Enjambée franche ou timide dans la modernité, cet avant-projet de réforme est venu pallier quelque peu la stagnation d'un code pénal figé face à une société en perpétuel développement. Une immobilité toutefois rompue récemment par l'abrogation de l'article 522 qui stipulait qu'un violeur peut échapper à la condamnation s'il reconnaît son crime et épouse sa victime. Il reste à espérer que l'avancée se poursuivra.

 

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