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Lebanons aux USA - Lebanon aux USA

New Lebanon, comme un rêve de ce qu'aurait pu être mon vieux Liban

New Lebanon, dans l'État de New York

Une ancienne affiche, vue dans le musée des "Shakers" et datant du temps où les membres de cette communauté exportait semences et mobiliers à travers le monde. Photo Fadi Boukaram

New Lebanon, dans l'État de New York, est la seule ville qui me rappelle si directement, depuis le début de mon road trip, mon Liban. Le Liban, néanmoins, ne sort pas à son avantage de cette comparaison.
L'histoire commence avec Ann Lee, une femme originaire de Manchester, en Angleterre, qui a émigré aux États-Unis en 1774. Anne Lee dirigeait la « United Society of Believers in Christ's Second Appearing ». Les membres de ce groupe étaient également connus sous le nom des « Shakers » à cause de la manière dont ils entraient en transe et s'agitaient lors des offices religieux.


Ann Lee et sa congrégation s'installent à Mount Lebanon, une région arborisée et vallonnée de New Lebanon. La congrégation est pacifiste et croit en l'égalité des sexes, chose plutôt rare au XVIIIe siècle. Dans un premier temps, la congrégation croît en s'agglomérant à d'autres congrégations installées dans le nord-est des États-Unis. Mais les membres de la communauté d'Ann Lee adhérant au célibat et ne croyant pas en la procréation, leur nombre décline au XXe siècle.


En 1975, alors que la communauté n'a plus besoin des terres et bâtiments qu'elle possède, le « Mount Lebanon Shakers Society » vend certains de ses biens à la « Sufi Muslim community », dirigée par Vilayat Inayat Khan. Le domaine est rebaptisé « la Demeure du message ». Les soufis, à l'évocation desquels l'on pense aux derviches tourneurs – une pratique qui rappelle celle des Shakers qui dansaient en cercle lors des offices –, croyaient que la terre sur laquelle ils venaient de s'installer était bénie et sentaient l'esprit bienveillant des Shakers s'infiltrer en eux.
Ironie de l'histoire, la même année, dans un autre Mont-Liban au Moyen-Orient, une guerre civile entre chrétiens et musulmans débutait, qui allait durer 15 ans.

 

 

 


Je suis arrivé à New Lebanon début décembre. Il n'y avait pas encore beaucoup de neige, mais les températures étaient déjà bien négatives.
Je venais de garer mon van derrière la caserne des pompiers pour me reposer un peu, quand j'ai reçu un message de Wyatt Erchak, le directeur des programmes et opérations du « Mount Lebanon Shaker Museum ». Il avait entendu l'interview radiophonique que j'avais donnée à Boston la semaine précédente et voulait savoir si j'avais prévu de visiter sa ville. Heureuse coïncidence ! Je l'ai immédiatement rappelé pour lui dire que j'étais là et nous nous sommes rencontrés, un peu plus tard, dans l'ancienne colonie des Shakers, transformée en musée.
C'est Wyatt, lunettes sur le nez et voix douce, qui m'a raconté l'histoire des Shakers et leurs accomplissements.


Les Shakers étaient connus pour la haute qualité de leurs semences agricoles qui ont été exportées partout à travers le monde. Une information qui m'a permis de comprendre l'affiche d'une ancienne publicité accrochée sur un mur du musée : « De Mount Lebanon vers le reste du monde ».
Les Shakers étaient aussi connus pour le style particulier de leur mobilier, centré sur l'efficacité et le minimalisme. Un style qui a survécu jusqu'à aujourd'hui, et avec lequel je suis familier en tant qu'amateur de travail du bois. Ce jour-là, j'en ai découvert les origines.


Après avoir visité le musée, Wyatt m'a demandé si je souhaitais visiter le domaine soufi, la Demeure du message. Devant mon enthousiasme, il a tout de suite appelé un ami, Ibrahím Pedriñán, directeur des programmes de la Demeure, pour voir si je pouvais passer.
Ma vision des soufis était peut-être influencée par ce que j'avais vu des Mevlevis à Istanbul. Ce qu'Ibrahim m'a montré fut une vraie surprise. Âgé d'une trentaine d'années, il ne portait ni tunique ni fez. Le crâne rasé, il avait des lunettes sur le nez, portait un pantalon et un sweat-shirt. Un autre type de soufisme assurément.
Nous avons fait le tour de la Demeure, qui comprend plusieurs petits bâtiments en bois disséminés entre les arbres et des allées vertes. L'ensemble ressemblait à ce que les Shakers avaient construit au début du XIXe siècle. Je relevais, toutefois, quelques différences. Sur la façade de chacun de la dizaine de bâtiments, il y avait une plaque en bois, portant l'un des 99 noms de Dieu selon la tradition islamique. J'ai pu repérer Alim, Mughni, Fatah et Rezak...
Le bâtiment Mughni, l'enrichisseur en arabe, était celui apposé, fort à propos, sur le bâtiment abritant la bibliothèque. « Entrez sans hésitez », pouvait-on lire aussi sur la porte. À l'intérieur, des centaines de livres étaient alignés sur les étagères, portant sur des sujets aussi variés que l'art, la religion ou encore la poésie. J'ai été surpris de découvrir que certains livres étaient rédigés en arabe. Je n'aurais pas dû l'être. J'ai trouvé la collection des enluminures de La Mecque d'Ibn Araby, ainsi qu'une collection de poèmes d'Abou Nawwas et de Jamil Buthayna, imprimés à Beyrouth.

 

L'histoire de Noor Inayat Khan
J'étais stupéfait par ce que je découvrais, mais ce qu'Ibrahim m'a dit ensuite m'a laissé pantois. J'avais remarqué, dans un cadre accroché au mur dans la salle de prière, la photo en noir et blanc d'une femme, ainsi qu'une icône dorée de la même femme posée sur une cheminée dans un salon. Quand j'ai demandé à Ibrahim qui était cette personne, il m'a raconté l'histoire de Noor Inayat Khan.
La Demeure du message a été fondée par Vilayat Inayat Khan et Noor, sa sœur. Leur père était Hazrat Khan, un Indien musulman qui avait fondé l'ordre soufi de l'Ouest, et leur mère était Ora Ray Baker, une Américaine d'Albuquerque, dans l'État du Nouveau-Mexique.
Noor est née en 1914 à Moscou, a été à l'école en Angleterre, avant d'étudier la psychologie infantile à la Sorbonne, en France.
Quand la Seconde Guerre mondiale a éclaté, elle s'est engagée dans la résistance contre les nazis, à travers la British Royal Air Force. Elle a été envoyée en France en tant qu'espionne, sous le nom de code de Madeleine, une infirmière dotée du pseudonyme Jeanne-Marie Renier. En 1943, elle est trahie par un agent double, arrêtée par les nazis, interrogée pendant des mois avant d'être envoyée au camp de concentration de Dachau, en Allemagne. Elle y sera exécutée d'une balle dans la nuque en 1944. Son dernier mot a été : Liberté.
J'ai alors compris le sens de l'icône dorée, Noor était une martyre.

 


Je voulais en savoir plus sur cette communauté. Alors, quand Ibrahim m'a invité à participer à leur soirée de méditation, je n'ai pas hésité une seconde.
La session du soir était dirigée par Netanel Mu'in ad-Din Miles Yépez, le leader spirituel de la Demeure. Ce long nom aux différentes références ethniques a une raison : Netanel enseigne la tradition Inayati-Maimuni, qui fusionne le soufisme musulman et les principes hassidiques juifs de spiritualité.
L'un des participants a ouvert la session en prononçant la profession de foi des musulmans « La Ilaha illa el-llah », il n'y d'autre dieu que Dieu. Mais elle n'était pas dite de la manière que je connaissais. Elle a été chantée plusieurs fois, pendant plusieurs minutes, comme un mantra. Les autres participants avaient les yeux fermés, ils méditaient.
Netanel a ensuite expliqué les différents aspects de la spiritualité soufie, je n'ai pas compris la plupart d'entre eux. Ce que j'ai compris, ce sont les citations de Jésus, tirées de la Bible, et quand Ibrahim a expliqué l'importance dans le soufisme de la phrase en hébreu « Gham zeh ya'avor », c'est-à-dire « This too shall pass », une phrase qui exprime comment notre présence dans ce monde est éphémère. Les problèmes passeront, la joie passera, tout passera.


Voilà, j'étais dans un Lebanon qui se disait « New », assis au milieu de personnes célébrant une religion se voulant unificatrice et non source de divisions. Quand notre guerre civile a commencé, les soufis acceptaient la sainteté d'un endroit où avaient vécu les Shakers, bien qu'ils se revendiquent d'une autre religion.
Dans un monde alternatif, ce « New Lebanon » représentait ce que mon vieux Liban aurait dû être. Peut-être ce rêve se réalisera-t-il. Ou peut-être pas. Gham zeh ya'avor.

 

 (Cet article fait partie du road trip de Fadi Boukaram, sur la piste des villes baptisées Lebanon aux Etats-unis. Découvrez ses précédents récits de voyage ici)

 

New Lebanon, dans l'État de New York, est la seule ville qui me rappelle si directement, depuis le début de mon road trip, mon Liban. Le Liban, néanmoins, ne sort pas à son avantage de cette comparaison.L'histoire commence avec Ann Lee, une femme originaire de Manchester, en Angleterre, qui a émigré aux États-Unis en 1774. Anne Lee dirigeait la « United Society of Believers in Christ's...

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