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Lebanons aux USA - Lebanon aux USA

Lebanon aux USA : quand le roadtrip vire Breaking Bad

Dans ce pick-up, les femmes qui avaient volé la caravane de Fadi Boukaram avaient jeté des affaires appartenant au photographe. Photo Fadi Boukaram

Mercredi 1er mars. Je conduis mes amis à l'aéroport de la Nouvelle-Orléans, en Louisiane. Nous étions neuf amis à nous être retrouvés à la Nouvelle-Orléans pour photographier les festivités de la semaine du mardi gras, et le moment est venu de nous séparer. Ils rentrent chez eux, je m'apprête à partir vers Seattle. 4 000 kilomètres à couvrir en cinq jours. 800 km par jour.


Le premier jour, je ne vais pas loin. Je suis fatigué. La nuit précédente a été courte. Jeudi, j'arrive tout de même à Wichita Falls, Texas, et vendredi à Albuquerque, New Mexico. J'ai entendu qu'Albuquerque n'est pas une ville très sûre. D'habitude, je gare ma caravane sur le parking du Wall Mart de la ville et y dors. À Albuquerque, j'opte pour un motel.


En me réveillant vers 6 h 30 le lendemain matin, je jette un coup d'œil par la fenêtre à ma caravane, puis je rassemble mes affaires et descends dans le lobby pour y petit-déjeuner avant de prendre la route pour la ville de Lebanon dans le Colorado. La dernière destination de mon road trip.
Il ne s'est pas écoulé plus d'une heure entre le moment où je me suis réveillé et celui où je suis sorti du lobby. J'allais réaliser qu'en même pas une heure tout peut basculer.


Quand j'arrive sur le parking, ma caravane a disparu. J'ai dû faire cinq fois le tour du parking. Je me dis : « Ce n'est pas possible, tu as dû chercher au mauvais endroit. » Il me faut plusieurs minutes pour réaliser qu'on m'a volé ma caravane.
Pendant un moment, je suis complètement sonné. Je n'entends plus rien, je ne sens plus rien. Je vais à la réception du motel, paniqué, pour expliquer à la manager ce qui m'arrive. La manager, après m'avoir dit qu'il n'y a pas de caméras de sécurité autour du motel, appelle la police. Dix minutes plus tard, une patrouille arrive. Les officiers Fitzpatrick et Mares me demandent de décrire la caravane, prennent ma déposition, me donnent un numéro de dossier et me disent qu'ils appelleront en cas de nouvelles. Ils n'ont pas l'air très optimistes.


L'autre femme travaillant à la réception me raconte que sa voiture a été volée, devant chez elle, des mois plus tôt. « Les vols de voitures sont très fréquents à Albuquerque », poursuit-elle. Quand je lui dis que moi c'est une caravane qu'on m'a volée, elle secoue la tête : « Alors, elle est probablement déjà en route pour le Mexique. » La frontière est à 4 h 30 de route.

 

Crise de paranoïa
Je reviens dans ma chambre après avoir réservé pour une nuit supplémentaire. Je m'allonge sur le lit et commence à faire la liste, mentalement, de ce que j'ai perdu. Au moins, j'avais mon ordinateur et mon disque dur avec moi. Si j'avais perdu ça, je pense que je serais devenu fou. Mes vêtements sont dans la caravane, mes appareils photo, mes livres, les clichés que des photographes m'ont donnés pendant mon road trip. Et tous les souvenirs rassemblés dans les différents Lebanon traversés lors de mon voyage. Ça, c'est une grosse perte. Vraiment.
J'appelle le propriétaire de la caravane. Il n'est pas aussi en colère que ce à quoi je m'attendais. Il est assuré. Moi pas. Je passe quasiment toute la journée sur mon lit. Quand je commence à avoir faim, et qu'il faut bien sortir pour manger, je suis pris d'une crise de paranoïa. Mes fichiers informatiques sont tout ce qui me reste. Que faire ? Les laisser dans la chambre ? Et si quelqu'un les vole ? Les prendre avec moi ? Et si quelqu'un m'arrache mon sac, dans la rue ?
Ma seule source de réconfort, à ce moment-là, sont les messages de mes amis, sur Facebook. En lisant toutes ces messages de soutien et ces propositions d'aide, je me sens moins seul.


Vers 22 h 30, mon téléphone sonne. Le propriétaire m'informe que la caravane a été retrouvée ! Les policiers lui ont dit que le véhicule est à la fourrière, sans plus de détails. Après ce coup de fil, impossible de dormir. Je veux que les heures s'envolent, sauter au lendemain et avoir plus de détails. Dimanche, à 8 h du matin, je reçois un appel de l'officier Fitzpatrick. Il me confirme que ma caravane a été retrouvée et me demande de lui indiquer toutes les affaires qui s'y trouvaient quand elle a été volée. Puis il me demande de le rejoindre à un endroit dont il me donne l'adresse.

 

 

 


Je pensais me rendre au poste de police. Mais quand j'arrive, je découvre que l'adresse correspond à celle d'un quartier résidentiel clos. Sur le parking, des voitures de police bloquent un camion. Je demande à l'officier Mares : « Où est ma caravane ? » Parce qu'à ce moment-là je m'attendais tout de même à voir ma caravane.
« Les choses sont plus compliquées », m'explique l'officier, avant de me demander d'examiner les affaires posées au fond du pick-up. Je reconnais mon sac à appareil photo, mon manteau, mes jeans et l'une de mes valises. J'ai listé mes affaires volées à l'officier, il sait donc qu'elles m'appartiennent. « Le problème, c'est que, pour le moment, je ne peux pas toucher à ces affaires », m'explique l'officier. Je suis complètement perdu : ces affaires m'appartiennent, alors pourquoi ne pas me laisser les reprendre ?
Ses explications m'envoient directement dans un épisode de Breaking Bad, cette série TV au succès retentissant, qui, coïncidence incroyable, se déroulait à Albuquerque...


En début d'après-midi, la veille, quelques résidents de la communauté avaient remarqué le pick-up circuler dans la rue puis se garer dans le parking. L'activité du véhicule leur avait semblé assez étrange pour alerter la police. Quand les policiers sont arrivés, ma caravane était garée à côté du pick-up. Les plaques d'immatriculation avaient été enlevées, mais le véhicule correspondait à la description que j'en avais donnée. Les policiers ont donc frappé à la porte arrière du véhicule. Une femme totalement défoncée leur a ouvert la porte.

 

Le fin mot de l'histoire
Voici le fin mot de l'histoire : deux femmes ont volé la caravane sur le parking du motel ainsi que le pick-up. Puis, elles ont conduit les deux véhicules sur le parking sur lequel je me trouve. Elles ont enlevé tous les objets de valeur, selon elles, de la caravane, et les ont jetés dans le pick-up. Une fois ce tri effectué, elles se sont employées à transformer ma caravane en labo de fabrication de méthamphétamine. En laboratoire de drogue en somme. Quand les policiers ont trouvé la caravane, ils n'ont pas réussi à la faire démarrer. Elle a donc été remorquée à la fourrière. Et, tout ça, tout ce condensé du scénario de Breaking Bad, s'est déroulé en moins de 12 heures.
Comme le pick-up a également été volé et que son propriétaire n'a pas pu être retrouvé, la police doit émettre un mandat de perquisition pour que je puisse récupérer mes affaires.


Quelques minutes plus tard, un détective rejoint les deux officiers sur la « scène du crime » : le détective Donald Clipp. Il m'explique qu'il va être compliqué de récupérer rapidement mes affaires. Il a laissé un message au juge pour qu'il signe le mandat de perquisition. Mais nous sommes dimanche... L'on ne peut qu'espérer que le juge ait, sur lui, où qu'il soit, son iPad dédié à la signature des mandats. Un développement technologique dont je n'ai jamais entendu parler. Malheureusement, le juge n'a pas son « iPad spécial mandat » ce dimanche. Il faut attendre jusqu'à lundi.


Je quitte la scène du crime, soulagé que rien n'ait été perdu. Mais je veux voir ma caravane. Alors je commande un Uber, direction la fourrière. En chemin, je raconte mes mésaventures au chauffeur. Il est désolé, s'excusant pour l'état dans lequel se trouve la ville. Mais il ajoute : « J'aime Albuquerque. Je n'ai été agressé qu'une seule fois depuis que j'ai emménagé ici ! » Un cas d'école du syndrome de Stockholm.
À la fourrière, je n'ai pas le droit de photographier la fourrière. Le manager, un homme d'une cinquantaine d'années, assez désagréable, me dit que j'ai cinq minutes pour inspecter ma caravane et récupérer mes affaires. Dans cette fourrière, il y a un nombre incalculable de caravanes. Toutes volées. Je trouve tout de suite la mienne. De loin, elle a l'air O.K. En fait, les pneus avant sont à plat. Pas grave. J'entre dans la caravane. Le choc est terrible. Tout est chamboulé. Le tableau de bord a été arraché, des fils pendent ici et là. Les meubles de rangement ont été vidés, le sol est couvert de débris. Je mets tout ce que je peux prendre dans deux valises et je me dépêche de sortir. Ce spectacle de chaos dans ce qui était devenu ma maison temporaire me fait mal. Je n'ai vécu que cinq mois dans cette caravane, et pourtant je m'y suis attaché. Il m'est particulièrement pénible de penser que je vais devoir laisser, dans cet état-là, ma caravane. Mais je n'ai pas le choix.


Le lendemain, le lundi 6 mars, je reçois un coup de fil du détective Clipp. Il a obtenu un mandat pour le pick-up, qui a été transféré dans la même fourrière que ma caravane. Retour à la frontière, où se trouve le détective en compagnie d'une représentante de la police scientifique Megan Maestas, qui a photographié les preuves. Le détective Clipp me confirme qu'une des femmes a été directement arrêtée après le vol, une certaine Ashley Leah G., mais il ne peut me dire comment l'autre femme, a priori sa mère, est impliquée. Il me dit qu'une troisième personne, un homme, pourrait être impliquée. Le travail d'enquête dans le camion a permis de lever le voile sur la triste vie d'Ashley.


Je suis très soulagé de récupérer tous mes appareils photo et tous mes livres. Un sac dans lequel j'ai rangé des photos imprimées et les souvenirs venant des différents Lebanon traversés a disparu. Une perte relativement mineure, étant donné les circonstances. Quoi qu'il en soit, je suis toujours fasciné par la vie d'Ashley. Sur le siège passager, nous avons trouvé un grand sac à main. À l'intérieur se trouvent un permis de conduire, des photos d'elle avec son fils et mon carnet de notes. Les pages sur lesquelles j'avais écrit ont été déchirées. Sur les pages restantes, elle a fait la liste de tous mes biens, avec le numéro de série des équipements et une estimation du prix de revente. Elle a été arrêtée avant d'avoir pu mettre son plan à exécution.

 

Le kit de l'héroïnomane
J'ai aussi retrouvé un classeur dans lequel se trouvaient des documents. Ces derniers, pas très importants, ont disparu, mais les pochettes des classeurs sont remplies d'aiguilles, de tourniquets, de coton-tige : le kit de l'héroïnomane. Ashley est une personne très organisée. Les aiguilles sont bien alignées les unes à côté des autres, l'inventaire de mes biens est fait avec méthode. Et, bizarrement, quand j'ouvre une valise qui restait encore dans la caravane, j'y découvre mes T-shirts et sous-vêtements bien pliés, bien alignés et bien rangés. J'imagine ce qu'une personne tellement organisée aurait pu faire de sa vie, notamment professionnelle, si elle n'avait pas basculé dans la criminalité. Son casier montre que ma caravane n'était pas son premier coup.
Outre le kit de l'héroïnomane se trouve également, dans le classeur, un journal intime, avec une entrée à la date du 1er mars. Ashley habitait à Winnebago, dans une caravane. Comme moi. Mais elle allait perdre sa caravane, pour des raisons non spécifiées, quatre jours plus tard. Elle a volé ma caravane le jour où elle a perdu la sienne.


Je peux dire, honnêtement, malgré les heures infernales vécues après le vol, que je n'ai pas de rancœur envers Ahsley. Peut-être parce qu'elle allait perdre sa maison, parce qu'elle a un jeune fils, ou parce que la vie ne lui a pas fait de cadeaux. J'espère qu'elle trouvera sa voie, et qu'au moins, en prison, elle sera désintoxiquée.
La plupart de mes biens récupérés, il est temps de quitter la ville. Le propriétaire de la caravane a trouvé un garagiste local et a pris le dossier en main. Je n'ai plus de raison de rester à Albuquerque. Je loue une petite voiture, j'y fourre mes valises et me mets en route pour San Francisco où je dois passer une semaine avec ma tante et mes cousins. Avec un peu de chance, toute l'excitation est derrière moi, au moins pour l'avenir proche.

 

 (Cet article fait partie du road trip de Fadi Boukaram, sur la piste des villes baptisées Lebanon aux Etats-unis. Découvrez ses précédents récits de voyage ici)

Mercredi 1er mars. Je conduis mes amis à l'aéroport de la Nouvelle-Orléans, en Louisiane. Nous étions neuf amis à nous être retrouvés à la Nouvelle-Orléans pour photographier les festivités de la semaine du mardi gras, et le moment est venu de nous séparer. Ils rentrent chez eux, je m'apprête à partir vers Seattle. 4 000 kilomètres à couvrir en cinq jours. 800 km par jour.
Le...

commentaires (3)

lamentable.Mais le road trip est fantastique

Juan Chalouhi

17 h 43, le 16 mars 2017

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Commentaires (3)

  • lamentable.Mais le road trip est fantastique

    Juan Chalouhi

    17 h 43, le 16 mars 2017

  • RIEN DE SPECIAL... DE TELLES HISTOIRES ON ENTEND TOUS LES JOURS ET MEME PIRES...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 32, le 16 mars 2017

  • Si c'est une histoire vrai elle m'a capturé !

    Hind Faddoul FAUCON

    08 h 20, le 16 mars 2017

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