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Nos Lecteurs ont la Parole - par Professeur associé Sami RICHA

L’autisme, chance de l’humanité ?

Le 2 avril est une journée consacrée à l'autisme dans le monde. Dès lors, il serait nécessaire de rappeler quelques vérités sur ce trouble dont la fréquence ne cesse d'augmenter et qui continue de narguer médecins et scientifiques sur son origine, son pronostic et son traitement.
Assimilé depuis l'an 1800 à Victor, l'enfant sauvage de l'Aveyron, un enfant de dix ans retrouvé seul vivant dans la nature, l'autisme est un trouble décrit l'année de l'indépendance de notre pays en 1943 lorsqu'un psychiatre autrichien Leo Kanner découvrit chez onze enfants des similitudes dans leur comportement. Ce handicap est majeur et il naît avec l'enfant dont on peut déjà reconnaître dès les premiers mois de vie des symptômes avant-coureurs. Il laisse l'enfant dans une indisposition concernant sa communication. Celle-ci peut être profondément défaillante chez certains enfants au point de les empêcher de parler totalement alors que d'autres enfants manifestent seulement des anomalies très légères dans le langage et la communication.
Cela a laissé définir ce qu'on appelle un spectre de l'autisme dont la sévérité est donc extrêmement variable. Longtemps reconnus dans leur diagnostic, les enfants avec autisme « sévère » partagent désormais l'autisme avec d'autres enfants dont la nature est nettement moins importante et peuvent même passer inaperçus dans leur condition d'autisme « léger ». Cependant, tous ces enfants ont en commun une fragilité, une incapacité à nouer des relations durables, des actes répétés et une fixation sur certains objets ou certains comportements dont on ne comprendra jamais l'utilité.
Dans ce contexte, un premier mystère se présente à nous. Pourquoi une telle augmentation de cas ? Comment expliquer une explosion de la fréquence qui est passée de 0,2 % à 1 % des enfants en l'espace de vingt ans ? Tout épidémiologiste digne de ce nom se garderait bien de dire que cela est dû au fait qu'on en parle plus et que par conséquent on diagnostique plus et mieux l'autisme.
La seule certitude qui existe à l'heure actuelle est qu'au cours de la grossesse, lorsque se constitue le cerveau du fœtus et de l'embryon, des connexions entre les neurones se mettent en place de façon fausse. Des facteurs génétiques surajoutés contribuent aussi à la genèse de l'autisme. On n'en sait pas plus. Il vaut mieux ne pas savoir plutôt que d'avancer des allégations erronées, comme par exemple que la relation mère-enfant serait à l'origine de l'autisme. Vérité avancée pendant de longues décennies, sans aucune base scientifique, et qui a laissé mères et parents en désarroi, réduits désormais à un rôle de responsables et donc de coupables.
Pourquoi dès lors plus d'enfants autistes qu'avant ? Peut-être qu'il existerait un phénomène propre à l'environnement des femmes enceintes, boivent-elles plus d'alcool pendant la grossesse? Fument-elles plus pendant la grossesse ? Sont-elles soumises à plus de stress pendant la grossesse ? Y a-t-il plus de pollution qui les entoure ? Prennent-elles plus de médicaments pendant la grossesse notamment pour se calmer? Toutes ces théories sont plausibles mais le mystère est encore entier.
Jusqu'à récemment, l'autisme a toujours été une maladie orpheline, c'est-à-dire une maladie peu étudiée, car on croyait que cela ne concernait que quelques enfants et que, par conséquent, il ne fallait pas déployer trop d'efforts pour essayer de comprendre ce trouble ou le traiter. Actuellement nous assistons à un engouement pour les découvertes sur l'autisme. D'innombrables équipes dans le monde essaient de chercher et à tout instant on peut découvrir un traitement salutaire. Mais ce traitement n'est pas prêt encore. D'où il faut faire attention aux fausses promesses, aux attentes déçues des parents qui ne doivent pas être trompés. Généralement lorsqu'en médecine on échoue à trouver des causes, on se tourne vers deux genres de théories, les aliments et les virus. L'homme a toujours cherché une cause à ses malheurs dans ces deux conditions. Malheureusement dans l'autisme ni l'une ni l'autre de ces théories n'ont laissé de traces valables pour expliquer ou améliorer ce trouble.
Les régimes sans gluten et tous les régimes alimentaires de quel qu'ordre qu'ils soient ne sont pas susceptibles d'améliorer l'autisme. De même que les virus, les bactéries et les vaccins ne sont responsables ni de l'émergence ni de l'augmentation de l'autisme. Il est étrange que dans un trouble dont on ne trouve pas de causes explicatives, on s'adonne à des théories pseudo-scientifiques disséminées par des charlatans (et Dieu sait s'ils ont pignon sur rue en médecine) et fortement relayées par internet et les réseaux sociaux. Tout cela fait beaucoup de mal et laisse des attentes de parents ruinées, des déceptions au quotidien, des parents déjà déboussolés se retrouvant complétement atterrés de voir leurs derniers espoirs s'évaporer.
Mais le drame de l'autisme n'est pas seulement à ce niveau. Il est aussi et surtout dans l'incapacité qu'ont les familles à trouver les bons endroits pour leurs enfants.
Dans l'enfance, les écoles rechignent à prendre des personnes qui peuvent perturber une classe ou avoir besoin d'une aide éducative particulière.
Quelques-unes des écoles au Liban acceptent ce défi mais là aussi le poids financier sur les parents est de taille et souvent rébarbatif. Ces écoles sont souvent pionnières et douées d'une grande humanité. Elles ont compris que la base de l'éducation est en premier une égalité de chances et non pas une égalité de savoir. Quelle chance aux élèves non autistes qui partagent une classe avec des enfants autistes : ils n'auront eu de cesse de comprendre le monde tel qu'il est réellement avec ses différences et ses dissemblances.
Si toutes les écoles du Liban acceptent de laisser une place, une seule, dans chaque classe pour un enfant autiste, la cause serait gagnée. Cela n'est pas trop demander quand on sait que bon nombre de ces enfants ont un haut niveau d'intelligence. Dans les écoles spécialisées, il existe peu de places, des listes d'attente très longues, des professionnels souvent peu formés et très largement dépassés par le flot des nouveaux venus. Le 2 avril est aussi une date pour rendre hommage à toutes ces personnes qui font l'impossible dans ces institutions pour rendre les personnes autistes plus réceptives, plus autonomes.
Certains parents décident d'émigrer pour améliorer le sort de leur enfant et lui trouver les meilleures écoles possibles dans le monde. Régulièrement nous recevons leurs appels de l'étranger, du Canada, de France, d'Australie pour nous signifier leurs regrets. À Sesobel, à Zawrak, à Kafaat, et dans tant d'autres institutions libanaises, ils étaient mieux servis et leurs enfants allaient mieux. Non pas que les techniques et les thérapies manquent à l'extérieur du Liban et surtout dans des pays développés, mais ce sont les parents qui n'arrivent pas à parler aux éducateurs et aux thérapeutes, qui obtiennent des rendez-vous lointains, se laissant ainsi submerger par leurs angoisses.
Plus l'enfant grandit et plus les places se font rares dans des écoles ou des lieux spécialisés. C'est comme si la société refusait que ces enfants puissent grandir comme les autres. Malheureusement bon nombre d'adolescents et d'adultes autistes se retrouvent à la maison faute de pouvoir intégrer une école, une université ou un travail. Sur ce dernier point le bât blesse et les opportunités qui s'offrent aux personnes autistes notamment lorsqu'elles sont de haut niveau et donc très capables sont extrêmement peu fréquentes.
Doués d'une sensibilité extrême, d'une rectitude sans pareille et d'un caractère obsessionnel qui rend leurs actions souvent impeccables, ces hommes et ces femmes ne retrouvent ni école, ni université, ni travail pour les accueillir. C'est dire l'obsolescence de notre monde actuel. Dans ce contexte, les parents et les familles se retrouvent généralement entre eux pour témoigner, partager leur douleur et surtout rechercher les meilleurs intérêts pour leurs enfants en matière d'éducation, de rééducation et de soins. Ils défendent aussi le droit de ces derniers à la dignité, au respect et à la considération. Au Liban, nous pouvons êtres fiers d'une association qui travaille depuis 1999 pour cela, la Lebanese Autism Society. Malgré la souffrance profonde des parents qui l'ont fondée et qui la constituent, cette association fait un travail remarquable de sensibilisation sur l'autisme.
À la vertu de la loyauté, s'ajoute encore une autre caractéristique que nous offrent les personnes autistes : la patience. Attendre, ralentir, prendre son temps, voilà le vrai trépied autistique. Attendre que naissent et se développent peu à peu leurs facultés. Alors que d'habitude les parents relèvent très vite n'importe quelle évolution de leur fille ou fils, les enfants autistes laissent attendre plus longtemps leurs parents. C'est comme s'ils recherchaient que les parents soient mis à l'épreuve, à rude épreuve... Ralentir le monde extérieur, prendre le temps de les retirer un peu pour les apaiser beaucoup, telle est la devise de certaines thérapies et surtout prendre son temps pour voir l'amélioration. Cette vertu cardinale de patience que tous les parents des enfants autistes acquièrent avec le temps dans leur vécu tranche également avec le monde qui nous entoure devenu rapide, très rapide, avec son lot d'inconsolés et d'éternels plaintifs que nous sommes.
Voilà pourquoi l'autisme est une chance pour notre humanité. En nous réconciliant avec des valeurs que l'évolution de l'homme a fait disparaître, l'autisme, malgré le handicap souvent très lourd, cacherait-il des éléments qui peuvent améliorer l'espèce humaine ?

Professeur associé Sami RICHA
Chef de service de psychiatrie à l'Hôtel-Dieu de France

Le 2 avril est une journée consacrée à l'autisme dans le monde. Dès lors, il serait nécessaire de rappeler quelques vérités sur ce trouble dont la fréquence ne cesse d'augmenter et qui continue de narguer médecins et scientifiques sur son origine, son pronostic et son traitement.Assimilé depuis l'an 1800 à Victor, l'enfant sauvage de l'Aveyron, un enfant de dix ans retrouvé seul...

commentaires (2)

Merci Professeur Richa, pour ce bel article à la fois simple, clair et accessible mais aussi complexe,dense et ouvrant la voie de multiples réflexions sur divers axes. Il est une ode à la beauté de notre métier, difficile spécialité qui essaie de trouver un équilibre entre une rigueur scientifique et des exigences morales,éthiques et sociétales. Merci de rappeler certaines valeurs oubliées et merci de garder l'espoir. Patience et Patience,encore et toujours... Dr Marie-Claire Asmar(psychiatre,France)

asmar marie-claire

11 h 59, le 02 avril 2017

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Commentaires (2)

  • Merci Professeur Richa, pour ce bel article à la fois simple, clair et accessible mais aussi complexe,dense et ouvrant la voie de multiples réflexions sur divers axes. Il est une ode à la beauté de notre métier, difficile spécialité qui essaie de trouver un équilibre entre une rigueur scientifique et des exigences morales,éthiques et sociétales. Merci de rappeler certaines valeurs oubliées et merci de garder l'espoir. Patience et Patience,encore et toujours... Dr Marie-Claire Asmar(psychiatre,France)

    asmar marie-claire

    11 h 59, le 02 avril 2017

  • ETUDES... CONSTATS OU NOTES ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 30, le 02 avril 2017

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