En ces temps de tractations politiques sur une nouvelle loi électorale censée remplacer la loi de 1960 éminemment confessionnelle, il est opportun de rappeler aux Libanais que la laïcité est un droit constitutionnel fondamental. L'article 9 de la Constitution libanaise pose le principe de la liberté totale de conscience et de croyance personnelle. Au Liban, ce principe constitutionnel est appliqué de manière constante dans la vie juridique et quotidienne et nul ne cherche à imposer sa foi aux autres ou à empêcher les autres de pratiquer la leur. N'importe quel citoyen libanais peut d'ailleurs décider du jour au lendemain d'abandonner sa confession d'origine et d'adopter une autre confession. Il suffit de quelques formalités fort simples pour que, en droit, administrativement, politiquement et même dans la vie sociale, ce changement de confession soit effectif et accepté.
Par contre, ce même droit est refusé aux citoyens désireux d'abandonner leur confession d'origine et d'opter pour la laïcité ! Or au regard du droit, il n'y a aucune différence entre un Libanais qui décide d'abandonner sa confession maronite pour devenir sunnite, et celui qui décide d'abandonner sa confession pour devenir laïc, ou même athée si telle est sa conviction personnelle. Il n'y a strictement aucune base légale pour interdire à un citoyen d'opter pour la laïcité juridique, administrative et politique si tel est son choix. Mais les gouvernements successifs l'ont toujours refusé, commettant ainsi un abus de droit gravissime en privant le citoyen d'un droit constitutionnel fondamental dans le seul but de préserver un système confessionnel perpétuant la division artificielle du peuple libanais.
Or la construction légale de 1943 qui délègue aux tribunaux religieux la compétence du droit du statut personnel est en elle-même anticonstitutionnelle. Elle est en contradiction avec le principe fondamental de l'égalité des citoyens devant la loi, consacré par l'article 7 de la Constitution en ce qu'elle les rend inégaux devant la loi. Elle est surtout en contradiction avec le principe fondamental de la souveraineté du peuple selon lequel seules des lois votées démocratiquement par le Parlement libanais sont applicables aux citoyens. Les droits religieux ne sont pas des droits votés par un Parlement démocratique. Aucun Parlement libanais n'a voté de loi qui enlève systématiquement un enfant de 9 ans à sa mère pour le confier à son père en cas de divorce ou de loi successorale discriminante entre filles et garçons ! Ces lois n'ont pas de légitimité démocratique et sont donc contraires au principe de souveraineté du peuple.
Dans les faits, les Libanais acceptent depuis 73 ans de se voir appliquer par des tribunaux religieux qui ne rendent de comptes à personne des lois qui n'ont jamais été votées par un Parlement libanais ! De nombreux Libanais veulent pourtant le mariage civil et un droit du statut personnel civil. 400 000 personnes sont descendues dans la rue pour réclamer ce droit. Dans un pays où 120 000 mariages de Libanais ont été célébrés à Chypre, où les tribunaux civils libanais appliquent plus le droit chypriote du divorce que le droit libanais, et où de nombreux musulmans changent de confession ou organisent leurs avoirs à l'étranger pour pallier aux conséquences d'un droit successoral discriminatoire, le malaise est profond, sociétal et fondamental. La construction constitutionnelle et juridique libanaise est malheureusement bancale depuis sa création en 1943, et c'est ce point précis qui explique l'échec libanais ! L'affaiblissement de la nation et des organes politiques libanais par la division confessionnelle – pourtant artificielle – du peuple libanais.
Le problème n'est pas d'interdire le droit religieux, et tout citoyen qui souhaite assujettir son mariage et son statut personnel au droit religieux en conserve l'entière liberté, de par l'article 9 de la Constitution. Le problème est de vouloir imposer un droit religieux à des citoyens qui n'en veulent pas. Il pose la question cruciale de la primauté du droit constitutionnel et du principe de la souveraineté du peuple par rapport à des droits accessoires par nature, puisque non applicables à l'ensemble des citoyens. Contrairement à une notion largement répandue au Liban et régulièrement entretenue dans les discours politiques, la laïcité n'est pas l'abandon de sa foi.
La laïcité repose sur trois principes : la liberté de conscience et la liberté de culte, la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses, et l'égalité de tous devant la loi quelles que soient leurs convictions religieuses. La laïcité garantit aux croyants et aux non-croyants le même droit à la liberté d'expression de leurs convictions. Elle garantit le libre exercice des cultes et la liberté de religion, mais aussi la liberté vis-à-vis de la religion : personne ne peut être contraint par le droit au respect des dogmes ou prescriptions religieuses. Elle devrait donc être le socle de la société dans un pays multiconfessionnel comme le Liban, le socle qui s'applique à tous les citoyens par défaut, sauf à ceux qui optent pour l'assujettissement au droit religieux par choix personnel.
Or au Liban c'est malheureusement l'inverse qui a été mis en place, rendant le système juridique bancal et divisant les Libanais dans la religion au lieu de les unir dans la laïcité. La solution est simple : rendre aux Libanais leur droit constitutionnel de choisir la laïcité ! Et cela ne requiert aucune loi nouvelle. Il suffit au président de la République, garant de la Constitution, d'instruire le gouvernement de faire appliquer la laïcité administrative dans les faits, et au ministre de la Justice d'instruire les magistrats et les tribunaux d'appliquer le droit civil du statut personnel en vigueur depuis 1926.
Et toute loi électorale prônant la proportionnelle à circonscription unique ne peut fonctionner que sur la base de la laïcité.
commentaires (14)
Avec grand intérêt et plaisir, et je vous en remercie.... Sincèrement.
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
13 h 52, le 10 mars 2017